1

Port Saïd

 

Sentez-vous, en frissonnant, la lame de couteau du monde ?
Regardez, traversez la ville, écoutez les rues métalliques,
Traversez le pont noir et voyez les lavandières échevelées
          sur les galets, elles font de la peine, battant
          le linge taché, se cassant
          les reins, écoutez ces pieds

 

Montant tristement le sentier ombragé au-dessus de l’eau ;
Les voyageurs tirant des sables les augures de la guerre ;
Les espions aux aguets et sur leur garde
          Comme dans les tournois ; les chants douloureux
          Des nègres, avec à leurs côtés
          Ceux qui de leur longue main blanche

 

Ni masculine ni féminine tracent l’emblème d’Hermès
En bas, leurs seins comme il se doit : en haut leurs yeux,
Perles dans la blanche coquille des visages, et pensent :
          « Est-ce si dur de mourir ? La mort
          Est-elle une douce amante ? » Et les filles étendues
          Par deux murmurent des mensonges.

 

Pas très agréable ; pensez aux autres villes ; les villes mortes
Les prêtres en robes teintes précédant les urnes et les vierges
De soie portant des nectarines gelées,
          Ceux que l’on conduit au sacrifice, ceux
          Qui souffrent, les filles bouclées
          Aux yeux comme des perles,

 

Malades d’un monde disparu, et sur la rivière les rameurs
Nus et rasés, appellent les bergers, vieillards centenaires
Et sages ; les plongeurs saignent, les veuves brûlent,
          Les conseillers mettent en garde,
          Les poètes chantent les princes
          Idéaux, ainsi parlent-ils

 

D’un autre âge, l’âge d’argent, et de ce couteau
Qui entaille la race, cet âge de glace qui drape
Les tours terrifiées, les falaises vitrées et
          Les corps comme des fleurs mortes
          À l’esprit envolé, protégeant
          Tendrement leur solitude comme un amant.