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Quelqu’un a déjà creusé le puits

La poésie nous est donnée, selon Marc Dugardin. Le poète n’y est pas pour grand-chose. La poésie lui vient de l’enfance – la sienne, mais aussi celle de l’humanité. La légende, de ce fait, joue un rôle important. La citation placée en exergue y fait d’ailleurs référence :

Tous les pays qui n’ont plus de légende

Seront condamnés à mourir de froid…

(Patrice de la Tour du Pin)

 

Le poète se laisse emporter, guider, sans connaître vraiment le chemin qu’il emprunte.

 

j’avance pour être dérouté

 

Souvent, ceux qui le précèdent sont eux-mêmes poètes. Patrice de la Tour du Pin fait plusieurs apparitions. Nous suivons aussi les pas d’Octavio Paz, Henry Bauchau, Arthur Rimbaud. Ce sont parfois des musiciens : Beethoven, Bach ou Ravel.

 

Lulu

 

la musique nous dit cela –

qu’un crime se prépare

 

qu’il y a dans le miroir des grimaces

pour la victime et pour l’assassin

 

elle dit le sang

elle crie les cris

 

bien sûr –

en fait elle ne dit rien

 

elle nous laisse muets devant notre

violence

 

mais elle continue à nous aimer

humains que nous sommes

et nous

à lui faire dire ce que cherchent nos mots

 

La musique dit et ne dit rien. Il y a, ici et là, quelques autres paradoxes. Le vers sur lequel s’ouvre le recueil en est un bel exemple :

 

tout ne tient que par ce qui le défait

 

Il est question ailleurs d’un mensonge qui dit vrai, d’une voix vive qui défaille… Rien ne dit mieux que ces paradoxes l’infinité des possibles. Les conclusions hâtives, les définitions immuables sont, elles, rejetées du côté de la mort, du néant. Tant que nous sommes en vie, nous sommes à la croisée de plusieurs chemins, inachevés. Le poète cherche plus qu’il ne trouve. Il est en mouvement, saisit quelques bribes au passage, s’égare surtout, et écrit avec des mots qui se sont eux-mêmes égarés. C’est un voyageur qui préfère le voyage à son but, la soif à ce qui l’étanche.

 

 

En se laissant guider…

 

les mots remontent

d’une mémoire de catacombes

 

ils lorgnent

vers la lumière du soupirail

refusent

de remettre la fête à plus tard

 

dans l’attraction de l’étoile

leur légende est heureuse

éblouissante

comme une stricte vérité

 

 

Le vers qui donne son titre au recueil est tiré d’un poème intitulé paradoxes. Il y est question d’un désert et d’un puits déjà creusé où nous allons. Tout est donc déjà là. Il nous suffit de nous mettre en mouvement, de suivre le chemin de notre soif. Le recueil de Marc Dugardin est une sorte d’hommage à tous ceux qui ont laissé des traces sur ce chemin. Grâce à elles, il n’avance jamais seul. Il est à chaque instant plein des autres.