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Regards sur la poésie française contemporaine des profondeurs (10) Arnaud Bourven

 

La poésie d'Arnaud Bourven appartient à la terre. Et c'est en cette appartenance que ses poèmes sont faits de mots de terre, de mots de tourbe, rythmés par une grammaire interne. Cette terre est tissée des paysages extérieurs, ceux qui offrent leurs beautés et leur secrets à qui se rend attentif à leur enseignement. Ce sont les forêts, dont nous lirons ici une traversée hautement sémantique, les plages et les étendues agricoles qui sont l'essentiel du paysage français. A partir de ces présences s'étendant à la vue de chacun, la poésie d'Arnaud Bourven va déployer des correspondances avec un paysage intérieur trouvant son souffle et sa respiration dans les profondeurs de la psyché du poète. Le surgissement du dehors est relié, par son entrelacs de rhizomes, au monde souterrain. Comme par une opération alchimique, le poète va transmuer ces zones naturelles, leurs sortilèges et leur silence, en une magie du dedans, traduisant les grands échos que les mouvements psychiques dont ils sont porteurs construisent comme monde intérieur.
Bien qu'il affirme, dans son ensemble Marnage : "Mon monde/Ne lance aucun appel", son attention portée à la possibilité du poème, puissante parce qu'habillée de discrétion et de mesure, lui fait dire, quelques vers plus loin : "Laisser un espace/Voies d'eaux/Rendre habitable/Le poème".

La parole de Bourven est concise. Elle est précise. Il use du mot juste, et retire de l'essentiel à dire tous les mots inutiles. Reste-t-il quelque chose au bout de cette contrainte ? L'indispensable. La forme de ces poèmes tient parfois du haïku : "Vrombissement du frelon/La branche/Longtemps/Se balance/Déjà loin/L'oiseau". Dans leur splendeur sémantique et leur économie de souffle, elles portent peut-être l'héritage inconscient de Celan. Ainsi ce poème, issu de la troisième partie de Marnage, intitulé Vivier : "Toute l'amertume/S'y engouffre/Goulet grouillant/Salines/A reprendre souffle".

Dans notre époque de schizophrénie, de zapping, de clics, d'antidépresseurs, d'overbookisme et de trois mille à l'heure, lire la poésie d'Arnaud Bourven permet un recentrement. Son poème relève de la contemplation, et la richesse de son imaginaire, au plus juste de l'image à saisir, à fixer et à livrer au monde, lui est un précieux compagnon. Il devient le nôtre, à mesure que nous le lisons.