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Regards sur la poésie française contemporaine des profondeurs (2)

Comment se reconnaitre à travers les éléments d’une biographie ? Peut-on demander au poète s’il a des recettes à révéler, des secrets à dévoiler ?

Il aimerait peut-être laisser dans une zone d’ombre cette part anecdotique ou critique de lui-même. Elle n’est pas l’essentiel. Mais qu’est l’ « essentiel » ? En posant cette question le poète s’aperçoit qu’elle entraine d’autres questions qui reculent sans cesse la définition exacte. Il sait que son domaine n’est pas celui du discours rationnel. Pourquoi emprunterait-il aux critiques ou aux philosophes leur langage ? Il n’aura pas assez d’une vie pour se créer un langage, désespérant de lui donner cette perfection dont il rêve, et il tenterait d’en chercher un autre ! Aussi, ne pourra-t-il que dire : voici mes œuvres, c’est en elles seules que peut se trouver une réponse.

Quelques notes cependant peuvent essayer d’éclairer le problème. Veille, sommeil,  importe, les images affluent, mais ne constituent pas encore une « écriture ». Celle-ci n’existera qu’après une plus nette émergence, née d’une décantation. Ces images s’insèrent dans un rythme qui nait avec elles. Les refuser serait mentir

Les mots viennent et leur cours les assemble. Il ne faut jamais oublier que les mots ont souvent moins d’échos pour ceux qui les lisent ou les écoutent que pour celui qui les écrit. Ce dernier doit toujours y penser et se méfier, en particulier, de ce que le sens commun qualifie de « poétique ». rien de plus horripilant que ce qualificatif, qui parait enfermer le poème dans un domaine réservé. Réservé à quoi ? En général, à sa négation même. La poésie doit désacraliser le langage et rester vraie, toujours plus près possible des êtres et des choses.

En résumé : le poème n’a pas de destination préétablie. Il est, dans le monde, un objet parmi les autres objets. Avec une différence, essentielle : cet objet, parfois, irradie sa lumière sur les autres et surtout sur lui-même. Il se dénude en s’éclairant. Du moins telle est l’ambition de celui qui le crée.

Paul Pugnaud, texte préparé pour l’émission de FR3 du 22 avril 1983

 

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Brouillon d’une lettre à Henri Frère, 25 novembre 1967

En réponse à une lettre dans laquelle celui-ci critique les poèmes de P Pugnaud à la suite de l’envoi de « la nuit ouverte »

Extraits

Il est évident que ce que tu me dis d’une certaine obscurité de ma poésie me surprend. Je ne nie pas, remarque-le, qu’une telle impression puisse s’en dégager pour certains lecteurs mais vraiment cela m’étonne, naïvement sans doute !

En aucun cas je ne recherche cette obscurité -si obscurité il y a- pour elle-même. Il me semble au contraire tenter toujours de suivre la ré   alité au plus près dans ses manifestations les plus simples, les plus évidentes, les plus « concrètes ». Mais est-ce « un langage clairement accordé » ? Peut-être pas car, en effet, comme tu le prévois je ne pense pas que la poésie doive être un langage « logiquement articulé ». Il me semble même que c’est un des éléments qui la différencie de la prose. Tout certes est une question de mesure. A tes yeux je dois souvent dépasser cette mesure. Que sais-je ?

Je serai mois ferme pour la ponctuation quoique à vrai dire il me semble que l’absence de ponctuation doive particulièrement s’accorder avec cette conception de la poésie. Si l’image et la musique (une musique qu’il s’agit-sans doute très prétentieusement- de vouloir « personnelle » non appuyée sur des « moules » de musique anciennes) priment je ne vois pas bien le rôle que peuvent jouer ici les points ou virgules normalement à leur place dans un discours destiné à se « faire comprendre » alors qu’ici il s’agit simplement d’ « être ».

Un poème, à mes yeux, est un objet à prendre tel quel, un tout, qui n’explique rien, mais qui « touche » (ou du moins qui vise à cela).

Cette question de la ponctuation – non essentielle je te l’accorde - n’est donc pas aussi gratuite qu’on pourrait croire et le fait que depuis cinquante ans (depuis Apollinaire je pense) bien des poètes la suppriment n’est pas seulement une mode mais un trait entre autres, d’une expression de la poésie.

Je dis bien une expression. La poésie ne change pas mais son expression oui qui est liée à chaque époque et c’est en cela seulement qu’elle peut avoir des racines. 

 

Recours au Poème remercie chaleureusement Sylvie Pugnaud.

L'oeuvre de Paul Pugnaud est disponible auprès des éditions Rougerie

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Poèmes inédits de Paul Pugnaud

 

 

(8 )                            

11 janvier 1985

 

L’objet enfermé en lui-même
Finira par répondre
A la question
En roulant dans le feu
Une bûche éparpille
Des étincelles qui ressemblent
A la poussière de la vie

(83)                          

 6 mai 1985

 

De ces vielles murailles
Les pierres se détachent
Leur chute nous menace
Quand toutes les poussières
Se groupent en nuages
Un feu les habille et ses flammes
Transfigurent le jour

 

(233)  

 

7 décembre 1985

 

Piqué par les éclaboussures
Le feu s’étale sur le sable
Il éclaire les mains
Qui se tendent vers un visage
Marqué par un autre désir

(31)       

20 février 1986

 

Voir le jour
La paille ardente enflamme l’air
Ce feu couvre la mer
Où les vagues n’éclatent pas
Mais bercent l’insomnie soumise
Aux retombées de la lumière

 

 (115)      

18 septembre 1986

 

La paresse de l’herbe
Accueillera la chute
Des pierres descellées

La réunion des ombres
Groupera les regards
Qui éteindront le feu

 

(134) 

9 octobre 1986

 

Le poids de la lumière
Est plus lourd que celui
Qui s’appuie sur ces flammes

Prisonnier du sommeil
Un écran s’interpose
Et permet de calmer
La violence du feu

 

(153)

29 octobre 86

 

Traversons les brasiers
Où crépitent les flammes
Ils entourent aussi
Les corps qui se délivrent
Lorsque les mots perdus
Calcinent nos désirs

 

 

Ces poèmes sont publiés avec l'aimable autorisation de Sylvie Pugnaud.