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Réginald Gaillard : L’échelle invisible

 

Ce recueil, par sa composition, rend visible les barreaux transversaux du temps à travers visions et dépouillements. L'ellipse travaille à évider toute subjectivité jusqu'à atteindre la nervure du vers, ligne saillante de la traversée. Elle prend naissance d'une manière sombre par La montée au calvaire, poème inaugural qui fonde et fige dans un présent atemporel, l'épreuve décisive d'un enfant foudroyé par le deuil. Les kinderszene, première section du recueil, témoignent et traduisent sous la tristesse d'un vieillard d'un jeune garçon, statue de sel accroupie, une longue catabase de l'esprit au royaume des morts.

Cette mort dévastatrice n'en est pas moins une initiation, qui par le feu de la colère et du retranchement, ouvre la voix d'une odyssée intérieure, brûlant peu à peu sur son passage les scories des écarts comme de l'acédie. Des tensions au sein même du vers sont alors visibles, entre attirance vers une sensualité qui captive Cette femme - une belle âme ! / Pour une aubade à la gorge / me prend et une aspiration à une terre intérieure dans les pas de Celui qui est le chemin. Mais la patience tenace, maintes fois présente dans le recueil, ainsi que l'invasion de la langue Lame de fond hissée au travers de la gorge / magma de mots qui me décolle de la chair / me promet à la décollation permet d'endurer le temps et de s'y confronter. S'opère alors un mouvement inverse, ascensionnel où le retour d'une vie absente dans la présence constitue l'anabase. Un envoi, pièce ultime du recueil peut désormais ouvrir la clôture, apostrophant tout dédicataire pour témoigner de la victoire sur la mort.

Le poète dans un lien transmué sait avancer en aveugle avec pour clarté cette flamme intérieure / jaillie d'une vieille tombe toujours chaude en terre froide.