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Richard BLIN, Jean-Paul Michel.

 

 

La collection « présence de la poésie » aux éditions des Vanneaux, s’attache à faire connaître l’essentiel de l’œuvre de poètes choisis. Elle reprend le principe de la série qui a fait les beaux jours de Seghers, en permettant au lecteur à chaque fois une double découverte : celle du poète dont le volume (souvent épais, lourd de grands textes) propose l’anthologie ; celle du poète qui signe l’essai qui ouvre le volume. Des figures comme Pierre Dhainaut, Matthieu Gosztola, Laurent Albarracin signent des présentations lumineuses sur leurs pairs, comme Pierre Peuchmaurd, Ariane Dreyfus (dont sort ce mois de novembre 2016 le dernier recueil chez Flammarion), Jean Malrieu, James Sacré etc.

Le livre de 373 pages que Les Vanneaux offre à la présentation et diffusion du travail de Jean-Paul Michel vers un public plus large, on le souhaite, est conduit par Richard Blin. Rassemblés dans l’ordre de publication des grands recueils du l’auteur, depuis « Les fils apprêtent à la mort son chant » (1981) jusqu’au « Je ne voudrais rien qui mente dans un livre » (2010), les poèmes y précèdent les textes théoriques de Michel sur la poésie, textes qui ont fait l’objet d’un volume complet chez Flammarion. Presque un demi-siècle d’écriture donc, rassemblé dans ses formes les plus significatives et ses étapes importantes : poèmes dictés, poèmes de vers irréguliers centrés, proses coupées, poèmes à respiration longue. Le recueil des Vanneaux est fidèle à l’exigence et à la haute tenue de la recherche poétique de Jean-Paul Michel, de son travail sur le vif de la langue, sur l’espace de la page, et la matérialité typographique du texte.

C’est de la naissance sur les terres de Corrèze que Michel tire sans aucun doute l’énergie d’une poésie qui a revendiqué au seuil d’une œuvre aujourd’hui incontournable et essentielle, le droit de se vouloir Héros et Forban. Richard Blin rappelle l’itinéraire de celui qui s’est nourri, endurci et lancé par une rencontre fondatrice avec André Breton qu’il était allé rejoindre, d’abord du refus, de la révolte, voire de la fuite. Fuite d’un destin tout tracé dans ces campagnes de l’après-guerre (prêtre, soldat ou paysan) pour choisir l’aventure de la Forme et du langage opposés au grand réel, silencieux et indifférent. Ce désir primitif d’intensité est la veine profonde qui dessine la voie de l’écriture chez Michel. Très vite sommé de répondre par le profond, le juste et l’écriture comme sacrifice, à l’évidence éblouissante du réel, au présent de ce qui est présent, au face à face avec la Beauté violente, la poésie de Michel s’oriente vers l’accueil bienveillant de la Chance d’être (« le vrai nom d’Être est Chance »), prend le parti du lumineux qui est double : l’éclat du Beau impénétrable d’abord, l’audace de respirer, d’écrire, de vivre à cette mesure, ensuite. Car la beauté « poigne, oriente, embrase et voue ». Une telle hauteur de visée et d’existence donne aux poèmes de Michel cette musculature puissante, drue, bandée dans l’effort de dire quand dire est produire, inventer (comme on invente une nouvelle terre, un nouveau monde qui est le nôtre rendu habitable) ces formes d’art, poèmes centrés, dictés, coupés qui font advenir la Beauté, une beauté vivante, virile, positive. Pas de celle qu’on enferme dans les musées. Un forme, des Signes, qui opposent leur nécessité à la présence du mal : exorcisme, conjuration, cérémonial. Il y a de tout cela dans les poèmes de Jean-Paul Michel, car

 

«  Quelle nécessité
contraire devant le mal qui déjà mord
dresser
comme une herse ?

 

Je n’en vois qu’une C’est d’aimer »

 

Restituer sans tricher, ni rater sa cible, quelle gageure ! Faire entendre dans une voix, tout à la fois le Chant  (qui est rythme, syncope, violence d’une musique profonde) le mystère du réel impénétrable qu’on peut dire « sacré » (Bataille), ou « divin » (Hölderlin), la joie (qui est énergie, mise à nu, inventaire émerveillé) et une pensée, quel impossible ! Et pourtant, Blin souligne avec clarté et admiration combien haute est cette exigence et grande sa réussite réalisée dans l’œuvre bonne et grande, chez Michel pour qui l’Art est volonté d’ajuster l’impossible aux dimensions de l’homme. On comprend donc les admirations de Jean-Paul Michel pour Hölderlin (qu’il publie chez lui, dans sa maison William Blake & Co) et Hopkins. Même exigence, même pénétration, même quête d’un langage dépouillé de ses afféteries, de ses ornements inutiles, même invention d’une langue autre, neuve, vibrante de vie, de présence et d’énigme. Michel est donc, on ne peut le nier, une voix unique, rare dans le paysage poétique français. Car la persévération dans ce dessein inouï, le refus de la demi réussite, ou de la facilité exigent, on le sent bien, une méthode, une ascèse, seules aptes à conduire le poète vers cette profonde connivence avec le réel, l’autre, lui-même. Michel écrit ainsi dans ses textes consacrés à la poésie

 

 « J’appelle « Poème », toute manière humaine de faire face au grand réel ; tout geste esquissé pour lui répondre, toute forme risquée pour lui donner contrepartie. »

 

Ce sérieux de la joie et du vrai, il faut prendre le temps de le dire ici, Michel le met aussi dans l’exercice qu’il fait de l’amitié et de la rencontre. L’homme et le poète sont un. On sent dans la rencontre et l’échange la générosité d’un vivant, la disponibilité intelligente et sensible d’un homme qui s’est arraché au destin, taillé, construit dans ses refus et ses admirations.

 

« Il n’y a pas de dernier mot possible à un poème de vérité.
Mais l’examen de ton empreinte fait assez connaître l’énergie de ton pas. » écrit-il.

 

L’empreinte de Jean-Paul Michel laisse entrevoir en effet la méthode, le travail qui offrent à ses poèmes de ne pas « manquer à l’être ». « Pour moi, j’écris des ciseaux à la main » répète-t-il souvent. La formule magnifique mérite d’être éclairée. Qu’il s’agisse des poèmes dictés au volant de sa voiture lorsque, enseignant, il roulait dans la forêt landaise vers ses élèves ou des textes écrits chaque soir, le secret de Michel tient à l’oubli et aux… ciseaux. Oublié longtemps dans un tiroir, puis exhumé des années après, le poème est juste et vrai s’il résonne encore, de loin, s’il brille toujours de l’éclat qui lui a donné naissance. C’est là, alors que les ciseaux coupent, taillent, sacrifient dans le vif de la page, des mots, des vers, pour n’en garder que le mica, le grain, l’angle, la force. Chez Michel, Richard Blin souligne combien le poème est fruit de cette violence qui coupe et sculpte au sens propre dans le langage la forme juste et pleine du poème ; d’autant pleine qu’elle s’établit sur le vide, le silence, la syncope. Tailler ou couper c’est rythmer, faire entendre et voir (n’oublions pas que Jean-Paul Michel est typographe) la nudité à vif du réel. Débarrassé de l’inutile, du joli. Ouvert à l’Ouvert, à la morsure du vrai.

 

« Serions-nous si vains que puissions
de quelque façon prendre
notre parti d’échouer
quand cette tâche – seule – peut valoir
que l’on trace, incise, grave,
prie ?

 

D’avoir été seulement nommé
dans la juste cadence d’un vers
sacre
ce qui ne doit périr. »

 

Ce qui ne doit périr : l’amitié, le face à face avec la mer en Sicile d’un temple grec, même ruiné ; la femme aimée et l’enfant se baignant dans les vagues et le soleil ; les poissons sur le quai ; les Dieux, les lectures, « toutes choses, les mauvaises même » qui se doivent dans la mort regretter. Vouer ainsi sa vie à des Signes pour adresser au réel sa propre joie d’être qui l’ouvre à notre présence, dans un face  à face brutal, érotique comme le Forban sur son vaisseau aborde, tranche, saute dans le vide et prend d’assaut en hurlant « Défends-toi Beauté violente ! ». Dans cette image, c’est  toute l’œuvre de Jean-Paul Michel, dont Richard Blin écrit pour conclure son second essai qu’elle est « une œuvre qui resacralise la poésie, témoigne de rencontres et d’enchantements dont Jean-Paul Michel, en artiste de la vie, nous dit tout ce qu’ils doivent aux coups de foudre silencieux de l’improbable et à ces présences – sans transcendance – que sont capables de susciter les puissances d’art de la langue et du beau dans leur confrontation à la morsure du vrai. »

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