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Robert Desnos, Nouvelles Hébrides suivi de Dada-surréalisme 1927

Recevoir cet ouvrage de Desnos dans un paquet scotché avec rigueur ((Par le service expédition de Recours au poème, alias Marilyne Bertoncini !)) n’est finalement pas un hasard. Ce  livre bigame (Nouvelles Hébrides et Dada surréaliste), empaqueté dans un article sur l’histoire des émotions (Vigarello, Corbin, Courtine) du numéro 1168 du NQL, suscite une interrogation imprévue. Comment vivre « un état de privation de la conscience» (émotion, esmaier)  lorsque toute lecture impose d’être éveillé ?

Pourquoi ne pas choisir un des deux textes ? Écartons d’emblée le premier produit des délires imaginés par l’écriture automatique (Nouvelles Hébrides, 1922), pour  retenir égoïstement  le second à option réaliste (Dada-surréalisme, 1927). Ce dernier est écrit à la demande du couturier-mécène Jacques Doucet, avide de saisir les tenants et les aboutissants du surréalisme. Croustillant et parfois rageur, il étale avec naturel les pinailleries et les rivalités dadaïsto-surréalistes.

Robert DESNOS, Nouvelles Hébrides suivi de Dada-surréalisme 1927, L’imaginaire, Gallimard, 2016, 10,50€

 Robert DESNOS, Nouvelles Hébrides suivi de Dada-surréalisme 1927, L’imaginaire, Gallimard, 2016, 10,50€

Il classe d’emblée  les surréalistes selon leur obsession (Dieu ou la révolution), laquelle se décompose selon  la dialectique sectariste du pour ceci et du contre cela et se décline en catégories (liberté, amour, histoire, poésie). Avec de telles luttes littéraires, le « sort de l’occident est en jeu » – du moins l’auteur le croit-il. Après un listing des stars (Tzara, Aragon, Breton, etc.) et de leur « rencontre » capitale (Breton-Aragon à l’hôpital, etc.), suit un panorama historique : d’abord « dada 1,2 et 3 (1919 à 22) », puis « après dada », et  enfin « surréalisme (1924-1927) ». Faisant fi des « querelles personnelles » (dixit Desnos), ces hommes (peu de femmes, même aucune !)  travaillent sur le « sens ». Par pure provocation, nous retiendrons ce qui éclaire les mauvais penchants de ces novateurs (seule Frida Kahlo pesta contre « ce tas de fils de pute lunatiques et tarés » trouvant, si besoin est, le soutien d’opportuns mécènes).

Desnos propose ensuite  des fiches biographiques nominales d’une fraîcheur  parfois critique! Aragon, médecin d’état-major à la « cervelle sentimentale », est ébloui par l’élève médecin André Breton rencontré à l’hôpital. Il se méfiera désormais du « spectre dangereux et accusateur » de sa propre intelligence. Benjamin Peret, jadis cuirassier, quasiment mutique devant Breton ou Picabia. refuse de les présenter  à Desnos et néglige même un rendez-vous avec lui. De surcroît, ses écrits n’apportent « rien de nouveau » car ils imitent l’un ou l’autre poète. Salacrou, lui,  est « vain et prétentieux ». Delaunay ne sait faire que des Tour Eiffel, les  recopie « éternellement en grand, en petit, à l’huile, à l’aquarelle, au crayon, au pastel ». Vitrac est un ni plus ni moins « coureur de grue », Radiguet un « gigolo enrichi dans le vagabondage spécial », et Tzara fait dans la « scatologie misogyne ». Le voyage de Duchamp en Amérique se fait à pile ou face (pour prendre une rue, se lever, se coucher, etc…).  Rigaut,  ce «  cas dada », assomma un chauffeur de taxi qui l’avait insulté, mais paya ensuite pour éviter les suites judiciaires. 

 L’histoire la plus significative reste celle du « portefeuille volé » sur une table de bistrot. Rigaut veut boire son contenu, Aragon songe à le partager, Breton qui n’a pas mangé depuis plusieurs jours veut se faire « rembourser » les cadres de l’expo Max Enst. Mais Eluard qui en a la garde le rapportera au bistrot : le portefeuille est celui d’un garçon de café.

L’épisode la plus surprenante est celle de l’exposition Sans Pareil :  Péret, caché dans une armoire nomme les invités un à un en adjoignant « un épithète désagréable ».  Un coup de bluff dadaïste a enfin lieu lors d’un matinée de la revue Littérature au  Salon des Indépendants (1919). On y annonce ni plus ni moins la venue de Charlot. Tous les journalistes en attente découvrent la supercherie et en font un article qui fera enfin connaître l’excentricité dadaïste. Coup de pub, finalement, sans service de presse !

Reste une énigme : Qui donc a inventé le mot dada ? Quels grands dadais  de l’intellect ? Arp ? Tzara qui fait signer les copains pour le reconnaître ? Arp ? etc.? Même en fouillant entre les lignes de l’ouvrage, le lecteur restera dans une ignorance toute chevaline !  Après tout ce mouvement artistique audacieux – il l’était par son désir de  secouer les cocotiers  de la raison – n’a donc pas d’inventeur breveté SGDG. Ni EDF, ni P et T, ni LR, ni PS, ni LREM, ni… ni….Quelle « émotion » !!!  Voila qui nous ramène au point de départ dadaïen ((Le néologisme ne me déplaît pas, sans doute parce qu’il ne figure pas dans le dictionnaire.)) du merveilleux poétique présidant à cette notule !