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Rodrigue Lavallée, Quelqu’un/Peut-être

Le texte de Rodrigue Lavallé est celui d’une quête. Dans ce recueil au titre mystérieux, à l’écriture fragmentée, où les vers se disloquent, s’arrêtent parfois net, comme on viendrait se fracasser au sol après la chute, la première ( et la plus grande ) des énigmes, c’est Elle.

Une femme confrontée au vide, à la faille, en « rupture de la voix et des membres », absente à elle-même. Ce « si peu » qui l’habite,  l’anime (au sens latin du terme) s’étend dedans comme dehors.

On saisit dans les mots qu’Elle est la mère, qu’elle manque à son enfant « posé là », qui l’attend, immobile et oublié du monde, dont le seul repère est le rythme des départs sans retours : « elle part à cinq heures tous les jours …elle disparaît comme ça je crois chaque matin ».

Une mère éloignée d’elle-même, désincarnée « elle eut un corps avant la chute », dont on se demande si elle a existé. Le titre prend alors tout son sens. Quelqu’un, secret, indéfini, peut-être…

Entre cette mère et son enfant, l’amour est là, mais le point de rendez-vous n’a pas été trouvé. Le silence règne : «  juste qu’elle n’entend d’autre voix que la sienne et jamais son prénom d’une pièce à une autre des appartements blancs ». Le vide des lieux la ramène à celui de son ventre : « ce vide au ventre/alors  en faire son lit ».

On ne lui en voudra pas de ce gouffre en elle, autour d’elle, perdue dés l’enfance «  petite dernière/ un peu fragile ». Et ce que l’auteur enfant ne comprenait pas, il l’évoque avec la douleur du fils qui saisit l’abîme a posteriori : « savait pas/ trop petit pour ».

Tout au long du texte, il la cherche, rêve d’atteindre le « Pays de retour », « visage de ma mère/érodé par le temps /… jamais si proche non jamais/si loin ».

Mais le lecteur plonge, avec le texte, dans le constat terrible de la mort irrattrapable, prolongeant sans pitié le manque et l’absence.  Le livre de Rodrigue Lavallé refermé, on a le cœur serré, la tête pleine de questions ( sans réponses). On a lu un texte fort, cruel et nostalgique, dans lequel l’amour à la mère est, a été si vaste qu’il n’a pas encore la place pour s’étendre.