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Siècle 21 n°22, printemps/été 2013

La revue Siècle 21 s’est imposée dans paysage littéraire contemporain. Et de belle manière, nous en parlions il y a quelques mois : http://www.recoursaupoeme.fr/revue-des-revues/passage-en-revues/sophie-dalen%C3%A7on-0.

Une des très belles revues littéraires et poétiques, en France. Les volumes s’organisent autour de dossiers consacrés aux littératures contemporaines d’un pays en particulier, la Finlande ici, un « hors cadre », consacré pour ce numéro à Armand Gatti, et un espace plus thématique, cette fois au sujet de L’arbre (dossier coordonné par Gabrielle Althen et Jean Guiloineau).

Le dossier « Hors des sentiers battus » nous emmène donc en Finlande, sous la conduite d’Harri Veivo. Ce dernier donne en préambule un texte qui vaut plus qu’un texte de présentation de dossier : c’est une éclairante mise en perspective historique de ce qu’est la littérature finlandaise, littérature et pays récents qui se vivent et s’écrivent en finnois et en suédois. Veivo termine en insistant sur la vigueur du marché et de la vie littéraire dans un pays où les écrivains vivent de leur plume, poètes compris. Grâce aux choix du maître d’œuvre, on découvrira ou redécouvrira, c’est selon, les travaux de romanciers et de poètes, j’insiste évidemment sur ces derniers. Kari Hotakainen, Rakel Liehu :

 

Je suis toujours aussi curieuse. Curieuse de découvrir le fond caché de l’homme, qui surgit en vieillissant. Sur le visage en particulier. Dans le regard.
En dévoilant tout le vécu.
Les pensées, les leitmotive restent imprimés sur le visage, comme des pas sur le sable mouillé. Non seulement le temps, mais aussi l’homme lui-même façonne son apparence.

   [Rakel Liehu]

 

Le superbe « Brise-lame » de Paulina Haasjoki, dont le début est comme un prolongement du texte de Liehu :

 

L’homme ne peut se cacher dans la nuit, son espérance le trahit.
L’homme se tourne vers les lumières, la lumière scintille comme si elle
Etait à portée de main et pourtant elle est loin.

[Paulina Haasjoki]

 

Catarina Gripenberg, Tytti Heikkinen, Henriika Tavi  ou Marten Westö. On le voit, ce dossier offre de belles incursions en terres de poésie, en particulier de poésies très contemporaines, plusieurs des poètes ici traduits étant nés après les années 70 du 20e siècle. Riche dossier qui se termine par de très utiles orientations bibliographiques.

Place ensuite, « Hors cadre », à Armand Gatti. Une place qui revient clairement au dramaturge / poète, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il sort du cadre ! Homme de théâtre engagé, anarchiste, libertaire, poète et cetera. La silhouette de Gatti porte sur les murs de l’underground, du hors et / ou de l’anti système (fou) de notre époque. Nous aimons sa Maison de l’Arbre, et Jean-Philippe Gonot parlera bientôt de cela en nos pages. Ici, Catherine Brun donne, aux côtés d’une belle photo de l’écrivain attablé, lisant ou relisant, un texte qui ouvrira l’horizon de quiconque ne connaît pas encore la poétique théâtrale de Gatti. Car poésie et théâtre sont inséparables en cette œuvre, rien d’ailleurs de ce qui touche à la vie ne peut être séparé de cet atelier. Ensuite, Olivier Neveux propose un texte complémentaire, étudiant la spatialité du théâtre de Gatti et donc, en cette matière, sa politique. Neveux insiste fort justement sur le « progressisme » du poète, un drôle de « progressisme » où « le regard n’est pas tourné vers l’avenir mais préoccupé, aimanté par ce qui précède. C’est le passé qu’il faut, avant tout, changer et réécrire. Ce sont les promesses qu’il recèle et qui furent tues, massacrées, ignorées à qui il convient de donner une nouvelle chance. Son théâtre se bat, en quelque sorte, contre l’inéluctabilité de la mort ou, plus précisément, contre la mort des morts ». Ces trois derniers mots me semblent (je sais, cela surprendra ceux qui ne sont pas réellement familiers de l’atelier du poète Gatti) traduire avec exactitude l’anarchisme mystique de l’homme / poète Armand Gatti, plongé dans les profondeurs alchimiques ou chamaniques de l’être bien plus que dans les apparences du politique, autres choses cependant inséparables là aussi. Gatti, mystique. Et politique, au sens aristocratique de ce terme. Ou véritablement démocratique, c’est-à-dire éthique. Cela ne fait aucun doute. Personne n’a écrit le mot « religieux », n’ayez pas peur. Isabelle Marinone évoque d’ailleurs cela en filigrane, au sujet du cinéma du poète. Qui a vu L’enclos sait combien Gatti est un cinéaste majeur. Vient ensuite un texte de l’écrivain Michel Séonnet, qui a été l’éditeur de Gatti chez Verdier. Quelle est la parole de Gatti : « Nous dirons : ici l’univers ». On lève les yeux vers le ciel, c’est-à-dire au plus profond des racines de l’arbre fait homme.

En 1997, Gatti s’installait à la Maison de l’Arbre. Et la revue Siècle 21 propose un dossier sur ce même arbre, dont la symbolique en forme d’axe du monde n’échappe à personne. On lira ici des textes, poèmes et/ou proses poétiques de Nikolaï Zabolotski (traduit par JB Para), l’un des fondateurs de l’Obériou, groupe de poètes russes égarés en soviétisme (voir dans nos pages : http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/la-baignoire-d%E2%80%99archim%C3%A8de/andrzej-taczy%C5%84ski), Franck Evrard, par ailleurs fondateur de la revue Contrevox, Matthieu Baumier, Eric Sarner, Pascal Commère, Volker Braun (traduit par Alain Lance), Florence Delaporte, Jean-Paul Bota, Thérèse Fournier, Zakaria Tamer, Mauro Novelli, Gwen Garnier-Duguy et son arbre des Annonciations :

 

Un charme ouvert
Les branches déployées au plein azur
Et pour feuillage
Des lettres
Toutes les lettres de l’alphabet.

 

Le dossier se termine par un texte fortement évocateur de Nimrod.

Ce numéro de Siècle 21, un bel ouvrage. La revue annonce un prochain numéro autour des littératures et poésie de Syrie. Car Siècle 21 n’est pas une revue en dehors du monde concret.

Revue Siècle 21. 2 rue Emile Deutsch de la Meurthe, 75014 Paris.

revue.siecle21@yahoo.fr

http//siecle21.typepad.fr

Le numéro : 17 euros