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Sous la robe des saisons de Philippe Mathy

Philippe Mathy n'a pas un mot plus haut que l'autre : c'est une voix discrète, modeste qui se donne à entendre, tant dans les chants qui célèbrent le monde ou l'amour que dans les poèmes interrogatifs où se dit une certaine angoisse ou une sombre lucidité. Sous la robe des saisons est un recueil où sont offerts au lecteur notes (qui confinent parfois au poème en prose) et poèmes clairement identifiables par le fait d'aller à la ligne de façon irrégulière. Trois ensembles constituent ce livre ; trois ensembles qui regroupent chacun des sous-ensembles de notes et/ou de poèmes.

    Le livre (le carnet comme le désigne Mathy) s'ouvre sur une citation de Thomas Tranströmer, une citation très spatiale dans son esprit (il y est question du ruban d'une machine à écrire et d'une ligne d'horizon) : on pense alors à Congo, Poème pygmée de Pierre Garnier où ce dernier entend, par le biais de l'écriture spatiale, capter le flux linéaire de la pensée. On se dit alors que le projet de Philippe Mathy est du même ordre par le biais du carnet où il consigne notes et poèmes comme autant de fragments du flux temporel qui l'emporte, un projet qui est une forme de résistance par la sauvegarde d'instants choisis…

    Philippe Mathy s'attache à noter toutes les impressions ou sensations, tous les faits ou événements, toutes les pensées qui lui viennent à l'esprit qui constituent l'arrière-plan du poème qui ne manquera pas de naître. Mais, déjà, car ces notes sont quasiment de petits poèmes en prose, le lecteur devine ce poème. Ailleurs, le carnet regroupe des notes qui scandent le temps écoulé au long d'une année (Carnet de contre-nuit) ; et c'est la vie, tendre et douce, et striée d'éclairs, de taches ou de blessures qui se donne à voir. Philippe Mathy fouille sa mémoire à la recherche de ce qui est disparu mais il semble échouer car ça débouche sur le silence : c'est que le présent est irremplaçable. C'est peut-être ce qu'affirment ces mots : " Le temps long d'un court moment hors du temps … "  Mais ces notes dévoilent la méthode du poète : il essaie de voir au-delà des apparences ; bribes de souvenirs, bribes de vie, bribes de jardin ou de nature, bribes du temps qui passe : c'est le monde, mode d'emploi, pourrait-on dire. Mais un monde et une vie rebelles car l'homme reste libre dans les limites que lui impose l'existence : " Toujours [le GPS] reconduit vers la destination finale " (même si on lui désobéit !).

    Dans ses poèmes (vers ou proses), Philippe Mathy célèbre l'amour : il s'agit de jouir du présent, des choses les plus humbles, de la nature, même et surtout quand la conscience de la finitude taraude l'individu. Je relève ces mots : " Peut-être faudrait-il partir pour que miroite l'eau vive d'une présence dans l'obscur du regard ". Tout est dit, et le lecteur accepte alors que ces poèmes soient traversés d'une sombre inquiétude. Lucidité aussi du poète : " J'aimerais tant quitter ce silence pour aller à la rencontre du monde dans ce que le silence m'apprend de lui… " ou "  [La poésie] refuse de se laisser circonscrire par sa propre parole, consciente d'une présence qui la dépasse." Philippe Mathy a l'intelligence de ne pas définir cette présence, laissant ainsi le lecteur libre de la désigner comme il l'entend : la porte reste ouverte. Or, quelques pages plus tôt, le poète écrit, dans le souvenir des chants désespérés de Musset, que ses propres poèmes sont trop lumineux, trop confiants… On aimerait y croire, même fugitivement.