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Sur deux livres récents d’Alain Raguet

noir, racine de l’origine
Alain Raguet

 

« tout poème naît d’un germe, d’abord obscur, qu’il faut rendre lumineux pour qu’il produise des fruits de lumière ». Ce sont des mots de René Daumal, le poète que nous aimons ici, qui viennent refermer Chaos d’éclats, plus récent ouvrage d’Alain Raguet. Oui, il faut avoir beaucoup expérimenté la poésie pour écrire cela, qui plus est dans un volume absolument extraordinaire intitulé Poésie noire et poésie blanche. On comprendra un jour à quel point Daumal est le poète qui a inventé, hier, la poésie de maintenant, on le saura quand le tri sera effectué entre le bon grain et l’ivraie de ce qui se publie aujourd’hui. En une époque où, tout de même, il se publie tout et n’importe quoi. Comment peut-on écrire de la poésie sans avoir vécu avec les mots de René Daumal ?

Et parfois, une étincelle.

La poésie d’Alain Raguet ne se place pas seulement sous l’égide de Daumal. Elle en appelle aussi à Pierre Soulages.

Le noir. Monolithes noirs. Ces mots de Soulages : « Avec le noir c’est la vie de la lumière qui apparaît ». La vie est un travail et ce travail se nomme poésie, un autre mot pour dire l’alchimie du réel (plutôt que du « verbe »). Outre la profondeur symbolique des mots de Daumal et de Soulages, on saisira immédiatement celle de l’engagement du poète qui se place dans ce sillon. Ce n’est pas de poésie au sens « littéraire » dont il s’agit ici mais bien de poésie. Ce lieu que nombre de poètes contemporains ou reconnus vaguement comme tels ont des difficultés à percevoir : l’au-delà du voile des apparences, le réel en son entier. Cela même qui est la poésie, pas celle des poètes, la poésie qui n’a pas même besoin de poètes pour être, la poésie/chant, athanor du réel. Là, en ce lieu, le poète n’est pas poète. Il est simplement lieu de passage de ce qui le dépasse amplement. La poésie, c’est l’abandon. Et cela ne signifie immobilité que pour qui veut croire en une telle fadaise.

Nous parlons ici du travail des simples.

De ce qui constitue le réel même de ce que nous tentons difficilement de percevoir quand nous regardons autour de nous.

Il y a tout de même bien de la prétention à croire écrire ce qui vous écrit, et cette prétention – ma foi – parait, à l’observateur que je suis, assez largement partagé dans ce qu’il est de coutume de nommer « le milieu poétique ». Milieu… Les mots ne sont jamais insensés.

Rien de tout cela dans l’écriture d’Alain Raguet, poète et bon homme, simplement au service du Poème. Et c’est déjà beaucoup.

Non ?

Ici, l’univers est campé, si l’on ose dire.