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Sur le Fleuve, de Silvia Baron Supervielle

L’œuvre poétique de Silvia Baron Supervielle, éditée en grande partie par Thierry Bouchard, Granit, José Corti et depuis quelques années Arfuyen, est œuvre conséquente, à lire en parallèle de ses livres parus au Seuil ou chez Gallimard. L’ensemble formant un tout et faisant justement œuvre. Ce qui, dans le travail de Silvia Baron Supervielle, est tout aussi inséparable de son atelier de traduction, autour entre autres de Juarroz, Campo, Pizarnik ou Cortazar. Ou encore… Thérèse D’Avila. Nous sommes ici en terres de feu. Silvia Baron Supervielle est née à Buenos Aires et s’est installée en France en 1961. Elle commence à écrire directement en langue française peu après, et ses textes sont publiés dans Les Lettres Nouvelles de Maurice Nadeau. Ce n’est pas rien.
Dans ce récent recueil, le ton et la voix du fleuve sont donnés d’emblée :

 

par les sursauts
du vent qui ramènent
le rivage opposé

par la distance tendue
et la vie arrachée
que l’amour replante

 

un pays unanime
entraîne la mer

La silhouette du Rio de la Plata, fleuve qui marque la vie et l’écriture de la poète. Une figure centrale. Mais la forme ou l’ombre du fleuve ne sont pas seulement ce fleuve précis, plutôt le fil rouge d’une écriture plongeant dans les profondeurs de la vision poétique de l’écrivain, là ou se nouent les éléments du tout de ce qui est :

 

au-delà de la flamme
aiguë du cierge
qui plie la haute
quête et déplie
la prière fragile
brûle le mystère
partagé

Une poésie verticale, cependant ancrée dans le corps/matière de la Terre :

 

malgré les coups d’aile
de la ligne
blessée en vol

de l’aigle de l’astre
qui la trace
et l’abandonne

 

un sillage résistant
remorque

Une poésie comme un arbre – enracinée. Les poètes profonds sont faits de cette eau-là, comme l’encre d’une vision plongeant ses racines simultanément dans le ciel et la terre. Ils accompagnent leurs lecteurs tout au long du fleuve. Dans les eaux d’une poésie / harmonie :

 

le flûtiste
de l’espace
se promène
en scrutant
l’accord
disparu

Une poésie cependant « réaliste » :

 

puisque qui
me rêve
ne réussit pas
à me créer

Dix mots qui contiennent toute l’histoire authentique du monde.
La poésie de Silvia Baron Supervielle parle ainsi de ce « pays où l’aube ne meurt pas », poésie d’Espérance malgré de trompeuses apparences, poésie de qui sait combien futiles et illusoires sont des mots sans cesse répétés, « temps », « histoire »… Qu’est-ce donc que tout cela ? Peu face au silence. La poète peint des mondes en traçant au fusain mots et vers, le chevalet du peintre/poète est devant nos yeux, la poésie est image. Et au centre de ce monde, au travers du chevalet, passe le fleuve… sur lequel nous passons. Simultanément. Il faut avoir beaucoup vu en dedans de soi pour écrire le long du fleuve de l’axe du monde. Pour écrire, cela :

 

si j’éteins
de mes paumes
la combustion
blanche

rejailliront
les flammes

 

Ou bien ceci :

la mer propulse
le désir et se replie
dans le désert

 

après la nuit
l’aube remonte
au firmament

seul l’amour
sans nom retient
son secret

 

Sur le fleuve livre majeur d’une poète authentique.
 

Ce recueil a obtenu le Prix de littérature francophone Jean Arp 2012