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Sur un cahier perdu de Lucien Noullez

Je voudrais bien qu’on me raconte l’accident
qui a défiguré le monde.
Lucien Noullez

 

Lucien Noullez est l’auteur d’une œuvre conséquente, publiée chez divers éditeurs belges et pour une bonne part dans cette belle collection, La petite Belgique, dirigée par Jean-Baptiste Baronian et Jacques Booth aux éditions L’Age d’Homme. Ses livres et son Journal paraissent régulièrement dans cette collection depuis l’orée du siècle. Ce récent recueil de poèmes s’inscrit dans nos actuelles turpitudes, ce que Lucien Noullez explique en préface :
« Les poèmes qui suivent sont souvent nés d’une révolte contre la frénésie à laquelle les obligations de ces derniers mois m’entraînaient et pas seulement… Car ces derniers mois ont vu également exploser la misère en Europe et croître avec elle sa sœur fétide : la bonne conscience des nantis. Voici donc des poèmes qui portent en eux les stigmates de la hâte et, je l’espère, d’une certaine urgence ».
Des poèmes de la révolte intérieure :

Nous n’étions pas arrivés
nous n’avions pas touché la terre
quand ils nous ont avalés
dans l’œil d’ombre
et pourtant tout
allait commencer :
l’amour et la jeunesse
et les pétales, les vertiges, les plongées.
Nous n’étions pas encore arrivés sur le monde,
nous n’avions pas même appris les mots
quand ils sont venus nous cacher
sous leurs paupières insatiables,
pour nous changer
en larmes.

Une révolte qui ne dédaigne pas ce recul authentique qu’est l’humour :

L’orage à mon poignet faisait monter
La pluie et ses odeurs.
Il tombait gouttes
puis grêlons
et puis tonnerre
à mon poignet : toujours fidèle et indécent
quand je passais dans le monde frivole
en faisant mine d’ignorer
que ma montre allait tout détruire.

Le visage du Breton de l’anthologie de l’humour noir vient à l’esprit.
Une révolte qui en appelle aussi au sérieux :

Depuis longtemps,
la petite tortue de l’impossible
m’implore les yeux doux.
« Voudrais-tu bien me suivre, s’il te plaît ? »
Depuis longtemps, j’ai les oreilles en berne
et je n’écoute rien.
Le vent siffle.
Depuis longtemps la petite tortue me parle
et j’ai peur.
   

La poésie de Lucien Noullez, une bien belle découverte pour le jeune lecteur que je suis.