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Sy Hoahwah

 

Né en 1973, Sy Hoahwah est membre de la nation Comanche. Les origines de sa famille sont à la fois Kwaharu (bande de Comanches), et Arapaho (bande des « Bad Faces » - vilains visages). Il a effectué ses études à l’université de l’Arkansas où il a obtenu un « MFA » (master de Beaux-arts). Sy est l’auteur de Night Cradle (berceau de la nuit, USPOCO Books, 2011) et du recueil de poésie Velroyand the Madischie Mafia (Velroy et la mafia de Madischie, West End Press, 2009). En préparation un troisième livre dont le titre est Ancestral Demon of a Grieving Bride (démon ancestral d’une mariée en deuil).

présenté et traduit par Béatrice Machet

Sy confesse que des auteurs comme Adrian C Louis (Païute), Joy Harjo (Muskogee), Lance Henson (Cheyenne) ont motivé sa volonté de devenir poète. Il raconte que, parce que la maison d’édition West End Press ne réclamait aucun argent pour le dépôt et l’examen des manuscrits, il a envoyé son premier livre à John Crawford. Il était pauvre dit-il encore, mais il a eu de la chance. Maintenant qu’il a trouvé une audience pour son travail personnel, il désire de toutes ses forces que, parmi la nouvelle génération de jeunes Indiens, se trouvent des personnalités assez courageuses pour partager leurs regards sur leur univers tribal, avec une honnêteté aux confins de la brutalité s’il le faut, afin de faire connaître leurs expériences de vie dans de monde. Il pense que les auteurs indigènes tels que les Indiens d’Amérique devraient trouver plus de lecteurs car il en va de l’harmonie et de la santé du monde en général.

Sa poésie est imprégnée de l’Histoire prestigieuse des Comanches, surnommés « seigneurs » ou encore les « Princes des plaines du sud » au 19ièmesiècle, mais elle se veut aussi le reflet, voire le témoignage fidèle, de ce qui se passe sur les réserves qu’il connaît bien. Ainsi Velroy and the Madischie Mafia décrit une communauté Comanche située dans le sud-est de l’Oklahoma, et plus précisément dans le voisinage du quartier de Madischie, qu’on pourrait comparer à une cité HLM. Ses rues sont prises par une bande de jeunes Indiens Comanches, Arapahos et Kiowas dont le leader se nomme Velroy. Ils sont pris au piège d’une réalité dans laquelle le passage de l’ancienne vie nomade, libre et fière, des Indiens des plaines, à une forme de vie sédentaire, les laisse sans espérance de participer à la société dominante qui les rejette et qu’ils méprisent, (sauf à profiter des gains du casino dont la communauté est propriétaire). Ces jeunes vont donc chercher à exercer un pouvoir et à remporter une gloire de « guerriers » en obéissant aux codes de la sous-culture du crime organisé. Pour décrire cela, Sy Hoahwah choisit une poésie narrative dont la syntaxe est peaufinée quand la grammaire parfois est malmenée, reflétant un parler du registre familier. Il nous plonge dans un imaginaire fantaisiste et « sauvage », il nous « éclabousse » de temps à autre d’un jet de lyrisme. On peut parler de réalisme magique ou plus précisément de vérisme mythique, deux expressions qui rendent compte de la capacité pour les Indiens de vivre dans plusieurs mondes comme « parallèles » et qui interagissent (ce, grâce par exemple à la voix du « Trickster » dans les cultures Indiennes). L’image que l’auteur montre n’est rien en soi, elle n’opère que parce que le lecteur en fait quelque chose. 

Sy Hoahwah, Velroy and the Madischie Mafia, West End Press, 2009, 64 pages, 12,95 $.

De même n’y a pas « d’au-delà » mais d’autres mondes et d’autres façons d’aborder l’immense de la « réalité » au sein d’une réalité insaisissable dans son entier. Il n’y a pas de naturel ou de surnaturel, il n’y a que des regards multiples et des points de vue diversifiés à faire cohabiter dans une conscience qui rend compte des expériences vécues. Il semblerait que l’image et l’imaginaire ainsi que Sy Hoahwah les utilise, est une façon de guérir : l’écriture devenant un rituel de guérison. Ou pour le dire autrement, l’imaginaire et la dimension mythique que recèlent les cultures amérindiennes nous permettent de déconstruire la réalité telle que présentée dans la culture occidentale et ses discours en appelant au scientifique et au rationnel. L’Occident apparaît comme la culture de la domination de la « nature » et de son effort à toujours plus de contrôle sur ladite « nature ». Il est alors salutaire d’être plongé dans une forme de « chaos » qui mette en question et qui sape la construction d’un réel, qui autorise des jeux de langage, qui valorise le chaos contre la toute-puissance de la bureaucratie ambiante. L’écriture de Sy Hoahwah, comme celle d’autres auteurs Indiens — Gerald Vizenor (Anishinabee), Michael Wasson (Nez Percé), Sherwin Bitsui (Navajo), Santee Frazier (Cherokee) — dérange, irrite, ou même outrage volontairement l’ordre établi, mais il y a un bénéfice à tirer de cet inconfort : faire l’expérience d’une forme de bonté inhérente à l’abondance que le hasard fournit.

Avoir recours au vérisme mythique nous permet de ne pas sombrer dans le dogmatisme, en rendant au cours des choses qui arrivent, leur complète et libre fluidité. Il en va de l’appartenance à une « Indianité » sans pour autant s’enfermer ni dans une identité ni dans une revendication identitaire dont le lieu se situe dans les marges, entre villes américaines et Réserves Indiennes. Le vérisme mythique ressort comme possibilité d’échapper au modèle de « l’Indien », qui est une invention occidentale et qui enferme les peuples et tribus indiennes américaines dans une gamme étroite de stéréotypes étouffants. Il n’y a pas d’identité originaire, il n’y a pas de « pureté » d’une « race», ce sont là des abstractions mortifères, et c’est bien ce que montrent les auteurs Indiens d’Amérique : Sy Hoahwah le fait à sa manière qui ne fait pas exception.

 

 

Trois textes inédits pour illustrer mon propos (merci à Sy Hoahwah pour son aimable permission de reproduire ces poèmes).

Sy Hoahwah, Night Cradle, Uspoco Books, 2011, 36 pages, 8$.

Biography

 

This is more valuable as my talisman rather than as my biography.

As a child, father told me I hatched out of a pearl partially dissolved in wine.

Mother always reminded me, I reminded her of father

and I made the milk curdle in the stomach of other newborns.

Father had a low wage body and pushed around a coffin full of Kahlua and coke.

Mother read Scripture backwards in a tone between poetry and prayer.

A high ceiling was our family’s dining table where light was easy to swallow.

Our first winter in the city, my brother became clairvoyant after he sipped accumulated frost

off a mausoleum. I remember the weave of the sun etched across his face.

Me, my whole life, determined to read the Devil’s mind.  To reach, pull out brain,

open to a random page, and read about my future from bottom to top. 

 

Biographie

 

Ceci a plus de valeur en tant que talisman que de biographie.

Mon père m’a dit qu’enfant j’avais fait éclore une perle partiellement dissoute dans du vin.

Ma mère me le rappelait toujours, je lui rappelais mon père

et faisais cailler le lait dans l’estomac des autres nouveau-nés.

Mon père avait un corps de petit salaire et malmenait un cercueil plein de Kahlua((boisson mexicaine à base de caféine, de rhum et de vanille.)) et de coca.

Ma mère lisait l’histoire sainte à l’envers sur un ton entre poésie et prière.

Notre table familiale était un plafond élevé et la lumière y était facile à avaler.

Durant notre premier hiver en ville, mon frère devint clairvoyant après avoir siroté le gel

accumulé au sortir d’un mausolée. Je me souviens du tissage que le soleil avait gravé sur son visage.                                                                                                                               

Moi, ma vie entière, déterminé à déchiffrer l’esprit du diable. Atteindre son cerveau, l’

extraire, ouvert au hasard sur une page, et lire mon avenir du début à la fin.

 

 

 

It’s Been 143 Years, I am Still Surrendering To Ft. Sill

after Charles Simic

 

It’s been 143 years, I am still surrendering to Ft. Sill.

The Quohada went one way, the Kiowa another.

The Cheyenne even another way,

We all cutting off fingertips, leaving trails of direction.

The moon, barefoot and gagged, limps off to lie down with the other captive.

Red River is the body and funeral.

Thistle tall enough to be silence.

We all been chased to this genocidal beauty once or twice,

surrendering at a fast food table with free wi-fi.

The stench of the run our beaded kicks,

unable to tell the difference between the glow of Google map lies

and campfires of all who is closing in with atm cards and 4G in hand. 

Even the dead land surveyor from Subiaco is right.

There is no sanctuary in the subdivisions

we edge closer to with our bowstrings cut.

 

 

Cela fait 143 ans, je me rends toujours à Fort Sill ((allusion à la reddition de Quanah Parker obligé de mener son peuple, menacé de mort par famine, sur une réserve. Fort Sill se situe en Oklahoma, territoire de déportation de nombreuses tribus Indiennes.))

d’après Charles Simic((poète américain d’origine yougoslave.))

 

Cela fait 143 ans, je me rends toujours à Fort Sill.

Les Quohadas ((bande des Comanches du sud.)) ont emprunté un chemin, les Kiowas un autre.

Les Cheyennes un autre encore,

Nous tous nous coupons l’extrémité des doigts ((allusion au rituel pratiqué  par certaines tribus des plaines : en plus des cheveux, les femmes se tailladaient jambes, bras et mains en signe de deuil, jusqu’à parfois se mutiler d’un doigt.))  laissons des traces signalant notre itinéraire.

La lune, nu-pied et bâillonnée, sort en boitant pour s’allonger avec l’autre captif.

Red River ((Rivière longue de plus de 1000 km qui traverse le Texas, l’Oklahoma et l’Arkansas avant de se jeter dans le Mississipi en Louisiane, a servi un temps de frontière entre les Etats-Unis et la nouvelle Espagne.))est corps et enterrement.

Sifflet assez grand pour être silence.

Nous tous talonnés par cette beauté génocidaire une ou deux fois,

capitulons à la table du fast-food avec wi-fi gratuite.

La puanteur de la course nos coups de pieds perlés,     

incapables de dire la différence entre la lueur des mensonges de Google map    

et les feux de camp de tous ceux qui s’approchent cartes bleues et 4G en main.

Même le géomètre de la contrée morte de Subiac((Subiaco est une petite localité située en Arkansas))la raison.   

Il n’y a pas de sanctuaire dans les lotissements     

nous nous en approchons doucement munis de la corde coupée de nos arcs.    

 

 

THE LAST COMANCHE ALOTTMENT IN THE WORLD

 

Inside an unearthed skull, the bee tries to construct its own allotment:

God

Sky

Farmhouse stands like dusk on the hill.

Sunset slides back into its blood bucket.

Around the living room window, the deceased’s hair pressed inside books,

a portrait of Quanah Parker with Jesus as a water bird.

Barnyard swallows the flies.

The barn, itself, a question.  Hay and fire have sex.

Lips surface to taste the ash.  Horses confused with smoke.

The one hog packs its belongings into its floppy hat.

They are having one experience in a darkening field.

The buzzing to pin all of this:

what the bee believes in

what it hopes for

what it leaves behind.

Through the county the skull rolls.

Half asleep, the bee convinces the skull of what eternity to graze.

 

 

LE DERNIER LOTISSEMENT COMANCHE DU MONDE

 

A l’intérieur d’un crâne déterré, l’abeille essaie de

construire son propre lotissement :

Dieu

Ciel

La ferme comme le crépuscule debout sur la colline.

Le coucher du soleil glisse dans son sceau de sang.

Autour de la fenêtre du salon, les cheveux du défunt pressés entre les pages de livres,

un portrait de Quanah Parker ((Quanah Parker (1845-1911) était l’un des chefs Comanches les plus connus (et qui se battit contre les exterminateurs de bisons)) avec Jésus en oiseau aquatique.

Basse-cour avale les mouches.

La grange, elle-même, une question. Foin et feu s’accouplent.

Lèvres en surface pour goûter la cendre. Chevaux désorientés à cause de la fumée.

L’unique porc fourre ses affaires dans son chapeau à bords flottants.

Ils font une expérience dans un champ de plus en plus sombre.

Le bourdonnement pour épingler tout ça :

ce en quoi l’abeille croît

ce qu’elle espère

ce qu’elle abandonne.

Le crâne en roulant parcourt le comté.

A demi-endormie, l’abeille décide le crâne à choisir quelle éternité ((Peut-être une allusion aux squelettes et cadavres de bisons qui jonchaient les plaines à l’époque où la politique d’extermination des troupeaux fut décidée afin d’affamer les Indiens pour les réduire à se rendre sur les réserves et abandonner leurs territoires.)) brouter.