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Sylvie Brès, Cœur troglodyte

 

Cœur troglodyte est composé de deux volets. Le premier, Et soudain le pas manque, est le journal d'une maladie qui n'est jamais nommée mais que le lecteur devine. Journal aussi de la lutte contre le mal, présent depuis des années, sans doute… Sylvie Brès explore avec ses mots cette lutte, ce moment où tout bascule, où la vie est en danger. Avec une précision d'horloger, Sylvie Brès dit les soins, les tentatives du corps médical : ces poèmes (ou plutôt ces bribes d'un discours ininterrompu) qu'on peut lire de la page 26 à la page 32 sont d'une froideur clinique mais diablement émouvants et d'un suspens difficilement supportable : "Champ opératoire / pose de boîtier / termes / barbares. […] Les veines ne tiendront / pas ! dit-on." Et plus loin : "Et l'échec ! / Voici / il faut renoncer / au boîtier…" Tout est dit, mais il faut résister, le corps résiste. Cependant, la douleur et l'inquiétude n'excluent pas les jeux de mots : "stridente stridulante… impérative impératrice" est la voix de la douleur. Mais ce jeu sur les mots n'a pour but que de traquer au plus près cette douleur. Sylvie Brès cerne également avec justesse la fragilité du corps, le dérisoire même quand la maladie et la lutte contre cette dernière se sont installées et sont devenues comme une routine (pp 57-58). C'est l'horreur de la survie qui se dit : "l'horreur du / néant qui guette". Mais l'espoir n'est jamais bien loin. La coupe n'est pas seulement dans le vers, elle est aussi entre les poèmes. Si un poème s'arrête au milieu d'une question (p 75), celle-ci reprend à la page suivante. Discours haché, morcelé comme la vie qui se confond avec les soins et les essais. L'écriture met à distance la douleur par l'utilisation de la deuxième personne (celle à qui l'on s'adresse) mais aussi de la troisième réputée neutre, objective… La première étant réservée au souvenir du temps passé, celui des "illusions ensoleillées".

 

    Après la souffrance et la révolte, vient le temps de l'accalmie et de l'acceptation. Celui de la rémission. Cœur troglodyte est l'occasion de l'observation de soi et du discours, des discours pourrait-on même affirmer. Mais la prudence est de mise : "Regarde, / observe, démêle / mais je t'en prie / ne tire pas / sur le fil / toute la vie / viendrait avec !" Rien n'est jamais acquis… L'un des derniers poèmes du recueil résonne comme une leçon (?) : "Et quand viendra / notre dernier baroud d'honneur / contre la maladie de vivre - / que personne ne songe à critiquer / nos illusions et notre tentative !"  Aussi n'est-il pas étonnant que le poème À mes funérailles soit rimé, non sans ironie… Comme si le chant revenait après le sombre et le gris… Maladie que vivre ? Mais vivre est irremplaçable : ce recueil est, lui aussi, irremplaçable.