1

Élise Turcotte, La Forme du Jour

Les différentes sections de ce recueil sont constituées avec un grand soin. Les titres pourraient sembler être les assises de la voix de la poète et les jalons de sa quête si ce n’était cette extraordinaire douceur qui lui est propre et l’entraîne par sa poésie vers un lieu où domine le consentement.

Le livre s’ouvre sur Les Jours composé de vingt-quatre poèmes (eux-mêmes scindés en trois semaines couvrant les années 2009 à 2013), suivent deux parties : Photo-paysages (Squelettes, Fleuve et Fuite) et Une Nuit où un seul poème clôt l’ensemble. Je pensais au temps comme à une clé que j’aurais perdue, nous dit l’auteure, pourtant la trame de l’œuvre liée à la douloureuse acceptation de soi, font de la forme du jour un paysage existentiel où la vie de la poète peut s’incarner et le poème quitter son ombre déliquescente.

Élise TURCOTTE, la forme du jour, Editions Le Noroit, 2016, 20,20 € ;

Élise TURCOTTE, la forme du jour, Editions Le Noroit, 2016, 20,20 €

Dans Sombre ménagerie dominait l’étrangeté des images diluée dans une évanescence fantasmagorique où la puissance de la poésie était poussée à son extrême pureté. On retrouve la même douceur du ton jamais cependant exempte de gravité. L’écriture d’Elise Turcotte ressemble à nulle autre. La réalité, que ce soit dans l’environnement immédiat, l’actualité dramatique ou l’Histoire, crie des faits monstrueux. J’ai vu une patte de chevreuil dans la rue est-il écrit au début du recueil, le ton est calme, l’image ne surprend pas, le doute n’est pas permis, le lecteur sait qu’avec cette patte coupée, ce sont les forêts qui ont disparu et le moi de l’auteure. Elle ne se plaint pas. Elle n’attend rien des autres, elle désire s’habiter, recouvrer une forme je me souvenais maintenant de ma mort, les ombres qui l’effacent à elle-même vont peu à peu se diluer, et à défaut d’être mises en retrait ou de disparaître, vont être connues, écrites :

J’ai déplié le secret de ma maladie

j’ai posé des rideaux à mon corps.

Certes, la solitude est terrifiante je pleurais sans amis mais peu à peu, se distingue une échappée possible vers les autres :

Les êtres remuaient
dans l’ombre de la forme du jour.

Ils sont pressentis et peu à peu vus, jusqu’à cette caresse vitale : tu as pris mes os froids entre tes mains. Sans vouloir concéder au mensonge, mais peut-être pour s’octroyer à elle-même une paix où respirer, elle admet :

je ne collectionnerai plus
les petits squelettes
 je le jure

avant de dire non
je dirai oui
comme vous le souhaitez

Tout est parfait (…)
même(…) les  fleurs empoisonnées
qui grimpent sur mon dos.

Guérison impossible mais la beauté s’est infiltrée, elle est vue, enfin. Je voyais sans yeux écrivait la poète, désormais le monde sensible transparaît, le mouvement perpétuel (et inaccessible) offre sa présence jusque dans l’univers proche de l’auteure :

Le fleuve miroite
à la fenêtre
du douzième étage.

Élise Turcotte nous fait  le don d’elle-même et de la poésie. Elle a su sans trembler, biaiser, ou se voiler la face écrire : la vision noire faisait toujours de moi/ l’ennemie de la poésie et  J’ai attendu des jours entiers avant que le poème naisse. Avec ce recueil, nous est offert la forme du jour, image sublime où la poésie ne fait pas reculer la mort mais l’efface ad vitam.