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Tant de soleils dans le sang d’André Velter

On ne présente plus André Velter, encore moins à l’heure d’internet, heure où les biographies se construisent en vitrines pour tout un chacun. Ainsi, l’on se tournera ici ou ici au sujet du parcours du poète/voyageur.  Velter fait partie de ces poètes que l’on critique aisément dans les bistrots ou l’arrière cour des médiathèques. Je commence à penser que c’est cela la vraie reconnaissance contemporaine, en France : être critiqué sans être lu, uniquement pour ce que l’on est. Donc, l’on entend des bribes de phrases ici et là au sujet de Velter, ses prix, Gallimard et cetera, parce qu’il est Velter. C’est assez récent d’ailleurs. En gros, depuis qu’il n’officie plus à la radio et que ses micros sont devenus inaccessibles à celui-ci ou celui-là. Aujourd’hui, tout le monde aime bien Sophie Naulleau, Alain Veinstein ou Marie Richeux. L’humain en continent « littéraire », ce n’est pas de la tarte. On n’aime guère ceux qui « réussissent » socialement, y compris au sein de la société littéraire. Tout cela est de peu d’importance. Je veux simplement dire que j’avais envie de lire André Velter, en son plus récent opus. Et que, moi, j’admire Gallimard, la Blanche, la NRF, l’immensité de ce travail fait pour la littérature en général, la poésie en particulier, depuis plus d’un siècle. Eh oui, les grincheux, c’est peu de choses à côté de cette aventure et de ce qui est né sous l’or des couvertures Gallimard. Cela n’empêche d’ailleurs pas la critique (littéraire) parfois.

Qui plus est, Velter met depuis très longtemps la poésie au cœur des arts, et les arts dans le creuset de la poésie. Sous cet angle 2014, c’est un précurseur. Les lecteurs attentifs noteront que je mesure mes propos. Je suis un tendre.

Rencontre entre les arts, avec l’art du voyage, la poésie au cœur, voilà l’œuvre de Velter. Et ce livre, Tant de soleils dans le sang, ne dépareille pas, bien au contraire, dans cette poésie en marche. Ce n’est pas un livre si récent, je me souviens l’avoir lu il y a quelques années sous l’égide des éditions Alphabet de l’espace, c’est d’ailleurs la première fois que j’ai aperçu la silhouette de Velter, sur les images qui accompagnaient le texte. La nouvelle version ici donnée en collection Blanche se veut définitive. Peu importe que ce soit vrai ou pas, la marche est rarement chose définitive. Tant de soleils dans le sang (quel titre, tout de même) est un « livre récital » avec Pedro Soler, musicien aux doigts gelés parfois quand le récital se tient sur les hauteurs du monde, accompagné de sept (quel nombre, tout de même) poèmes tracts avec Ernest Pignon-Ernest, artiste que plusieurs parmi nous (mais pas tous) considérons, dans Recours au Poème, comme l’un des plus importants de notre temps depuis qu’il nous a été donné, collectivement, lorsque nous préparions l’aventure en cours, de découvrir son travail au festival d’Avignon. Une époque de réunions secrètes en territoires discrets enfumés et avinés. Entre autres dérèglements. Superbes poèmes tracts (on pense à Mai 68 d’un certain point de vue) qui sont poésie des profondeurs en leur appel à l’amour du corps (des femmes), autrement dit de l’absolu de la Beauté (c’est du moins ma Foi personnelle). Œuvres réalisées à « l’emporte-pièce », qui n’est pas le nom d’un café mais bien celui d’un outil forgé par Ernest Pignon-Ernest. Superbes poèmes tout court, souvent, comme ce texte donné à Juan Gelman, Quelqu’un comme toi ne doit pas mourir.  La poésie prend ici tout son sens, toute sa réalité concrète, celle d’être encrée dans l’Amitié, pas n’importe laquelle, celle du centre des Amis. Que dire d’un tel texte ? Sinon l’émotion, l’humidité. André Velter le sait bien, lui, que la poésie se dit « au nom de l’impossible » ; il n’est dès lors point surprenant d’ouvrir et de fermer le volume sous l’œil d’Orphée, tant il y a de sang dans le soleil.