Tatsuo Hori, Le vent se lève

Dès les premières pages du Prologue la fluidité du style alliée aux descriptions de la nature et à la délicatesse implicite des sentiments du narrateur est frappante et donne une impression de simplicité rassurante. Quand on sait que Hori a été traducteur on comprend mieux à la fois la précision et. la clarté de son écriture. Puis la maladie de sa fiancée Setsuko apporte du corps au récit et provoque l'attente, grand thème de la première partie du roman. Le lecteur est ainsi doublement désireux de tourner les pages pour en savoir plus. Comment les choses vont-elles advenir ? C'est la question qui reste importante pour lui puisque la 4° de couverture l'a averti de la suite fatale.

La nature et le décor, à la limite insolites, participent de l'ambiance inquiétante. Le fait qu'il y ait de la neige au printemps accentue le sentiment de solitude des deux personnages. Et la description elle-même du paysage, qui occupe une place importante, est un modèle du genre. Mais la nature et le cycle des saisons, si elles symbolisent le destin en train de frapper, sont aussi une compagnie adjuvante qui rythme les journées des deux protagonistes.

Le lecteur, soumis à une tension, est paradoxalement sous le charme de la douceur qui règne, entre eux et pour eux, jusqu'au sentiment de bonheur.
Avec la fin de l'été, le mauvais temps et le vent qui "se lève" obligent à"tenter de vivre" et à feindre l'ignorance. Le récit alors continue à avancer par petites touches fines, comme impressionnistes. Autant sur le plan de la psychologie que sur celui encore du paysage et du temps et de plus en plus entre espoir et désespérance. Il y a dans ces pages une belle et originale présentation du partage et de la complicité jusqu'au sacrifice face à l'inéluctable.

Comment celui-ci pourra-t-il se gérer ? C'est toujours la même question. Comme dans un Requiem le chant des mots nous envahit peu à peu. La mise en abyme d'un roman soudain à écrire par le narrateur, qui donnera vie à son histoire avec l'aimée, est-il le dernier sursaut de l'espoir ? Pour Hori l'amour n'a besoin d'aucune technique compliquée, l'écriture suffit presqu' à elle-même à lui rendre hommage en couronnant les sentiments mutuels du couple et en rendant heureuse la malade. Deux pages admirables sur les pensées et l'évolution du créateur forcent ainsi l'admiration.

Tatsuo Hori, Le vent se lève, Collection L’Arpenteur, Gallimard, 1993.

Pour le lecteur écrivain il s'agit bien d'une œuvre complète. Comme l'est un opéra pour un mélomane. Cette première moitié du livre permet déjà de le classer parmi les plus beaux romans d'amour de la littérature mondiale.

La suite semble varier sur les mêmes thèmes avec certainement un crescendo quand, par exemple, la lumière est considérée comme la figure du bonheur vécu malgré l' épreuve. Nous sommes à l'automne 1935 et le narrateur, partagé entre la paix que lui apporte l'extérieur et l'angoisse qui monte, continue de nourrir son récit en cours entre réel et imaginaire. Le temps, dans ses deux acceptions, est la source des réflexions du narrateur qui confond passé et présent vécu dans la rigueur de l'hiver arrivant au milieu de la solitude des montagnes. C'est la magie de la neige à l'extérieur mais surtout le feu de cheminée qui brillent pour les amoureux. Alors le silence bientôt l'emporte et seul l'échange de regards compte peut-être vraiment le plus.

Le récit du narrateur va-t-il avoir comme fin la situation présente ou faudra-t-il attendre la suite des évènements pour s'en servir ? Une double attente, avec celle de la fin du roman, définit le charme habile de cette œuvre très dense et maîtrisée.

La fiction et la réalité sont en rivalité mais cette dernière est plus difficile à "vivre" et la question de la fragilité du bonheur se fait sentir de plus en plus. Le monologue intérieur nous en rend compte qui alterne avec des passages de dialogues. Ceux-ci existent toujours et marquent depuis le début la qualité de l'écriture. Au mauvais temps soudain correspond la faiblesse accrue de la malade. Mais il s'agit de comprendre que persiste dans la réalité le sentiment de bonheur décrit dans la fiction.

Puis le passage entre le dernier chapitre et le précédent qui s'achève de façon pathétique forme un hiatus frappant car nous n' assistons pas au départ de Setsuko avant le retour de son fiancé pour le village de K. après presque trois ans.

On peut dire à ce stade du livre que le thème de la neige associé à celui de l'écriture qui reprend donne au livre, malgré le deuil, toute son unité. Le cycle vertueux des journées contredira-t-il le titre final "Vallée dans l'ombre de la mort" ? Et que signifie donc la présence là encore du vent ?

Par la mémoire analogique, grâce encore à la neige et au feu de cheminée et à la manière de Proust, revivent les souvenirs des derniers moments vécus avec la jeune femme morte. Le décor naturel ainsi que les chalets et les oiseaux, par exemple, dans des descriptions aussi fines que magnifiques, font revivre plus encore celle-ci. C'est un enchantement pour le lecteur que ces variations sur les mêmes thèmes comme dans une œuvre musicale le sont les leitmotivs. Il s'agit bien d'un final ici en forme de "Requiem" à la manière de celui de Rilke. Celui qui, le calme revenu quand le vent est tombé, chante superbement l'amour inconditionnel et la nostalgie qui définitivement lui est lié.

 

Présentation de l’auteur

Tatsuo Hori

Né à Tôkyô, Tatsuo Hori (1904-1953) est très tôt attiré par l'Europe. Disciple d'Akutagawa Ryûnosuke et ami de nombreux écrivains et poètes, il traduit Apollinaire et Cocteau, lit et fait connaître Gide, Proust, Rilke et Mauriac. Comme celle de ses contemporains européens, son œuvre se caractérise par la place importante qu'y occupent les thèmes autobiographiques. Mais Hori est aussi aux sources de la littérature classique du Japon.

Bibliographie 

Œuvres

  • Sei Kazoku (''La sainte famille (聖家族?), 1932)
  • Utsukushii Mura (Beau Village (美しい村?), 1933)
  • Kaze Tachinu (Le vent se lève (風立ちぬ?), 1936–37) Gallimard 1993
  • Kagerou no Nikki ((かげろふの日記?), 1937)
  • Naoko (Naoko (菜穂子?), 1941)
  • Arano (Arano (曠野?), 1941)
  • Younen Jidai (Enfance (幼年時代?), 1942)

Bibliographie

  • Kojin, Karatani. Origins of Modern Japanese Literature. Duke University Press (1993). 

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