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The Reproach & autres poèmes

traductions par Marilyne Bertoncini

The Reproach

 

“I’ve never changed.” Your problem, friend,
though I can’t say I’m not pained.
Regret ? That nudges up to blame.

Constancy. What’s the use, what price
lies decades old – that curse
we needn’t carry on. What worlds

we’ve lived since our uncertain dallying.
Your hand on my arm, pressed oddly ;
both of us led with ploys we couldn’t follow,

the closeness jarred. Still we write cards,
replay the mistaken sharing
of times when we so truly cared.

 

 

Le Reproche

“Je n’ai pas changé.” C’est ton problème, mon ami,
même si je ne peux pas dire que je n’ai pas de peine.
Du regret ? ça encourage au blâme.

La constance. A quoi ça sert, quel prix
depuis des décennies – cette malédiction
que nous ne devrions pas porter. Quels mondes

avons-nous vécus depuis notre hésitant badinage.
Ta main sur mon bras, pressée étrangement :
chacun de nous menait des plans que nous ne pouvions suivre,

l’intimité faisait mal. Pourtant nous écrivons des cartes,
rejouons les partages erronés
des temps où nous nous aimions tant.

 

*

Street Reader

 

At Swanston and Collins he dominates the pavement
with a fixture’s humility, sidelined to the kerb
between his knee-high speakers, a small encampment.
Constantly, rapidly, in a soft-shoe version of voice
rising in the midst of each indistinguishable
sentence to descend, endless aural shuffle
laid down to inattentive passers-by, he delivers
who knows what revered text, now and then a number
marking the place without intervention of mind.
Is he bolstered in his self-obliterating grey
by a theory of the efficacy of rehearsal ? Or helped
through pensioned weeks and months by the oscillation
of hapless words, the unheeded prophets, the unhearing
conveyor-belt herd of people with appointments ?

 

 

Prédicateur de rue

A Swanston et Collins il domine le pavé
avec l'humilité d'un objet, aligné au bord du trottoir
entre ses haut-parleurs à hauteur de genoux, un petit campement.
Vite, sans cesse, d'une voix type chaussure de gomme
montant au milieu de chaque phrase indistincte
pour descendre, traînement de pieds incessant et bien audible
qui s'impose aux passants inattentifs, il prononce qui sait
quel texte révéré, un chiffre de temps à autre
indiquant un passage sans qu'il doive y penser.
Est-il soutenu dans l'effacement gris qu'il s'impose
par une théorie de l'efficacité de la répétition? Ou aidé
depuis des semaines et des mois rémunérés par
les oscillations des mots sans succès, des prophètes ignorés,
la sourde courroie de transmission du troupeau salarié ?

 

*

Bear Dream

I slept and dreamed worms big as logs
that turned on men and tossed the dogs

I slept again and dreamed of bears
that shone and wriggled in their lairs

and dug them down into the mould
and followed rain up to the world

of worms like bears and fish like clouds
I hear you mutter ‘Why not birds ?’

And oh, the bears at nesting-time,
hemming the nests and chirping rhyme !

 

 

Rêve d'ours

En dormant je rêvais de vers gros comme des bûches
qui agressaient les hommes et renversaient les chiens

Je dormis de nouveau et rêvai d'ours
qui brillaient et se tortillant dans leur tanière

et s'enfouissaient dans la moisissure
et pourchassaient la pluie jusqu'au monde

des vers comme des ours et des poissons-nuages
Vous murmurez "Pourquoi pas des oiseaux ?"

Ah, oui, les ours au moment des amours,
ourlant les nids, sifflant des airs !

 

*

Fourteen Times Saying Rain For Tom

After heat, and the hills damply nudging,
rain falls on timely sleep.

The high darkness of Taringa under inkwash sky
is groves for dancers;

wide-eyed streetlamps scatter
and crossings pose blinking, canted among ridges, St Lucia.

Your plants stand open as bowls and alert as retrievers
on the back verandah,

blest spirits revive,
around us the River courses heaven and earth.

The lovers switch on a jiggety radio, low,
switch it off for rain-sounds –

great murmur of rain spreading over suburbs and into the hills
- splashes on a path –

sluicing down the gutter-spout – runnels and drips by the louvres –
splatter, a broad leaf.

By a swimming-pool light
the elephant-beetle gleams and fronts up, shirring and threatening
and cane-toad flop in the wet,
hands of creation feeling coolness, feeling grass-runners,

or flattened lie pale to the blackness of rained-on bitumen
or silt down in dirt roads.

There is not loneliness – your room all round me
drinks sounds of life,

the aluminium plant ailing outside
lifts, unfolds, remakes language,

the mid-air silvery darkness easily, easily
prints thought like touch.

 

 

Quatorze façons de nommer la pluie pour Tom 

 

Après la chaleur et  l'écrasement moite des collines,
la pluie tombe sur le sommeil opportun.

En haut l'obscurité  de Taringa sous le ciel d'encre
est un  bosquet pour des danseurs,

des réverbères aux yeux écarquillés s'éparpillent
et des passages cloutés clignent  en penchant parmi les stries, St Lucia.

Vos plantes se tiennent ouvertes comme des bols et vigilantes comme chiens à l'arrêt
sur la véranda de derrière,

des esprits bénis revivent,
tout autour la Rivière entraîne terre et ciel.

Les amoureux allument une radio frétillante, tout bas,
l'éteignent pour la pluie – les sons -

un long murmure de pluie s'épand sur les faubourgs et dans  les collines
- plouf dans un chemin –

lessive les gouttières – s'écoule et goutte le long des  persiennes -
éclabousse, une large feuille.

Dans une lumière de piscine,
le scarabée-éléphant luit et fait front, crissant de menaces
et les crapauds-buffles s'affalent dans le mouillé,
mains de la création sentant la fraîcheur, les racines rampant  
dans l'herbe,

ou s'écrasent, étendus pâles sur la noirceur du bitume détrempé,
ou s'envasent dans la boue des chemins.

Il n'y a pas de solitude – votre chambre autour de moi
boit les sons de la vie,

la plante d'aluminium qui souffre dehors
soulève, déploie, refait le langage,

l'obscurité argentée de l'air, bien facilement
imprime la pensée de sa touche.

 

 

*

Knife In Head

In the heads of millions it is found -
knife in head.
The barb of injustice nests there.
It turns and festers.

This man has queued
for days at the check-point.
His family needs food and medicine.
On the other side is work.
More buildings for a rich nation.
On his side, foreigners
snatch land and build.
Foreign troops in tanks
plough up streets, homes,
livelihood, memories.
In the wrecked market
anger enters at the eyes
invades the brain
seats the blade
drives the point home :

nothing can staunch his shame
but the dead he’ll claim, the body-count.
Knife in head.
This girl is a student.
In her angry city
her brothers are out throwing stones
at the tanks of the occupying forces -
for them, no chance
of safety, good years, travel.
Her people have stopped listening
for those rumours of a sound-track
from a receding planet.
Her cousin one year older
became a dead hero.
People in her street have been killed.
She straps the explosive packets under her breasts.
For her, no wedding, but a name
in the lengthening list of martyrs.
Every day will heap dust on her sacrifice.
The bus pulls up
full of the justified -
people with high fences,
people who can travel everywhere.
She moves up the aisle and sits
next to a woman with a child.
Knife in head.

 

 

Couteau en tête

Dans la tête de millions de gens on le trouve -
couteau en tête.
Les dards de l'injustice font leur nid ici.
S'enroulent et  couvent.

Cet homme a fait la queue
pendant des jours au poste de contrôle.
Sa famille a besoin de nourriture et de médicaments.
De l'autre côté se trouve le travail.
Encore des constructions pour une nation riche.
De son côté, des étrangers
volent la terre et construisent.
Des troupes étrangères dans des blindés
ratissent les rues, les maisons,
les moyens de vivre, les mémoires.
Sur le marché dévasté
la colère entre par les yeux
envahit le cerveau
fait le lit de la lame
enfonce le clou :

rien ne peut étancher sa honte
sinon les morts qu'il réclame, le compte des morts.
Couteau en tête.

Cette jeune fille est étudiante.
Dans sa cité en colère
ses frères dehors jettent des pierres
aux blindés des forces d'occupation -
aucune chance pour eux
de sécurité, d'années heureuses, de voyage.
Son peuple a cessé de guetter
les bruits d'une bande sonore
venant d'une planète en fuite.
Son cousin d'un an plus vieux qu'elle
est devenu un héros mort.
Des gens dans les rues ont été tués.
Elle attache les explosifs sous sa poitrine.
Pour elle, nul mariage, mais un nom
dans la liste toujours plus longue des martyrs.
Chaque jour couvrira de poussière son sacrifice.
Le bus s'arrête
empli des justes -
gens à hautes clôtures
qui peuvent voyager n'importe où.
Elle remonte l'aile et s'assied
à côté d'une femme et de son enfant.
Couteau en tête.

 

*

In Flight Note

Kitten, writes the mousy boy in his neat
fawn casuals sitting beside me on the flight,
neatly, I can’t give up everything just like that.
Everything, how much was it? And just like what ?
Did she cool it or walk out? Loosen her hand from his tight
white-knuckled hand, or not meet him, just as he thought
You mean far too much to me. I can’t forget
the four months we’ve known each other.  No, he won’t eat,
finally he pays – pale, careful, distraught –
for a beer, turns over the pad on the page he wrote
and sleeps a bit. Or dreams of his Sydney cat.
The pad cost one dollar twenty. He wakes to write
It’s naïve to think we could be just good friends.
Pages and pages. And so the whole world ends.

 

 

Note de vol

Minouche, écrit le jeune homme effacé dans sa tenue kaki
tirée à quatre épingles assis à côté de moi dans l'avion,
soigneusement, Je ne peux pas tout abandonner juste comme ça.
Tout, ça faisait combien? Et juste comme quoi ?
L'a-t-elle refroidi, est-elle partie? a dégagé sa main de sa blême
main serrée , ne l'a pas  rencontré, à l'instant où il pensait
Tu signifies bien trop pour moi. Je ne peux pas oublier
les quatre mois passés ensemble. Non, il ne mangera pas,
finalement il paie – pâle, attentif, désespéré -
une bière, retourne à la page du bloc-notes où il écrivait
et dort un peu. Ou rêve de son minou de Sydney
Le bloc-notes a coûté un dollar vingt. Il s'éveille pour écrire
c'est naïf de penser qu'on pouvait n'être que des amis.
Des pages et des pages. Ainsi finit le monde.

 

*

Some Politicians

To have preached even for a moment
that money matters
more than the good it buys ;
to have proclaimed the end of caring ;
to have unmothered the State
and left orphans to the wind;

to have waged phony battle
on the homeless and fugitive,
the needy come to our door ;
to have danced on a tally of the drowned
to have pursued the desperate
for electoral triumph;

these are your names
on the sea-bed at our shore gate
behind razor wire
among the fatherless
the trapped and the destitute
and among the separated families.

 

 

Quelques politiciens

Avoir prêché même pour un moment
que l'argent compte
davantage que le bien qu'il acquiert ;
avoir proclamé la fin du social :
avoir désengagé  l'Etat
et abandonné ses orphelins au vent :

avoir mené d'hypocrites batailles
sur les sans-abris et les fugitifs,
les indigents frappant à notre porte ;
avoir dansé sur le compte des noyés
avoir poursuivi les désespérés
en vue d'un triomphe électoral ;

voici vos noms
sur la plage de nos côtes frontières
derrière les barbelés
parmi les orphelins
les piégés et les misérables
et parmi les familles séparées.

 

*

At The End Of The Garden

There’s light under the limes,
Marvellian gloom –
compost of people not going there
visited perhaps by dogs
whose shit we’re told
to dig in where they ‘doze the ferns.

Leafdrift there deepens and sinks
and backs up.
The bird a cat hurt
and finally hauled off
dries to a tatter, light
as spider’s loot.

Where the back meets the side fence
throw in neglect.
The sprinkler drilling the leaves
falls short – possums nick across, unhampered
by house-happenings.

Corraled in no album
this is place
invulnerable –
awake, uneyed. No labels
sort out where and with whom
you came to the end of the garden.

 

 

Au fond du jardin

De la lumière sous les tilleuls,
Ombre verte et secrète  -
compost de gens qui n'y viennent pas
visité peut-être par des chiens
dans la crotte desquels il faut
bêcher là où ils chambardent les fougères.

L'amas des feuilles s'y épaissit et s'affaisse
et recule.
L'oiseau qu'un chat a blessé
et finalement traîné là
devient guenille sèche, léger
comme proie d'araignée.

Le coin où se rejoignent les clôtures
ajoute à l’abandon
Le tourniquet forant les feuilles
manque son but  -

les opossums coupent à travers,
indifférents
aux  événements domestiques.

Enclos en nul album
espace
invulnérable -
éveillé, inobservé. Nulle étiquette
n'indique où ni avec qui
vous êtes venu au fond du jardin.

 

*