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Thierry Roquet, les jours d’enfance, confusément, etc.

 

1- les jours d’enfance, confusément
des êtres chers nous ont quittés
d’autres sont arrivés c’est ainsi
ils sont de plus en
plus lointains
ces jours d’enfance
il n’est nullement question de les lier
à un bonheur perdu - ce serait un mensonge
on les a longtemps
ignorés mis
de côté
cadenassés sûrement
croyant n’avoir strictement
rien à tirer
de ces jours-là
mon passé, ma mélasse
ma chambre à l’étage
haut cerisier du jardin
chemin poussiéreux
nos vélos sur les gravillons
deudeuche bleue de ma mère
regard froid de mon père
bouille cabossée de mon frère
les longs dimanches d’ennui
et tout le reste qui ne fait pas une vie
mais
le temps file à une allure
on a déjà vécu pas mal d’années
on sent confusément qu’il est peut-être temps
que quelque chose
des images parfois des sons ou des odeurs
peut-être aussi un peu de nostalgie
ce d’où je viens
contre l’inexorable
contre l’image en négatif
contre moi-même
ce n’est qu’une porte légèrement poussée
entrouverte
qu’une oublieuse mémoire peine
à retrouver
on se dit oui il le faut
pourtant
oui on peut y remettre
un peu d’ordre
à présent
avant qu’un cycle ne
s’achève
avant qu’il ne soit trop tard
tout simplement
mais ce n’est pas si simple
vraiment pas si simple
que ça

 

 

2- le sommeil est une solution comme une autre
elle aimerait dormir
ne rien faire d’autre
que dormir
me dit-elle
dormir toute la journée
et ne penser à rien
et disparaître sans faire de vagues
c’est une autre façon de dormir me dit-elle
car ces vagues ont
trop de nus vertiges
trop d’insistances
et trop de tentatives
me dit-elle
c’est comme ça que
son corps que
ses pensées se font douleurs
intimes
et c'est comme ça
depuis l’adolescence
vomir
depuis toujours
vomir
j’en ai marre me dit-elle
mais
elle nous aime
elle ne nous oublie pas
elle me raconte même parfois
un rêve érotique
dans lequel je la désire
encore
&
puis tous ces cauchemars
contre lesquels
je ne peux décidément
rien contre lesquels
elle n’y peut rien contre lesquels
la vie se contente trop souvent
du strict minimum
il faudra vous y préparer me dit-elle

 

 

3- le wagon de tête (décembre 2011)
Nous aurions un chien
ça n’irait pas plus mal
moi je me chargerais de le caresser
et tu pourras le faire aussi
lui se chargerait d’aboyer
on lui montrera comment faire
s’il ne sait pas
s’y prendre avec douceur
il viendrait se blottir près du lit
ah oui ce chien je l’imaginerais bien
au pied du lit
de ton côté ou du mien
c’est comme tu veux
bon ok plutôt du mien alors
pendant que je lirais quelques pages
d’un poète qui finirait
de me remplir d'amour
un truc qui y ressemble et rassasie
et tu t’endormirais
shootée comme à l’accoutumée
sans sexe ni tendresse
en rêvant dieu sait quoi
d’en finir
d’un ailleurs
de ton père
d’hommes plus virils que moi
d’une autre vie
en somme
depuis le wagon de tête de
l’Orient-Express
sans me dire si
j’y suis à bord

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Thierry Roquet

Thierry Roquet Né en 1968, à Rennes. Vit à Malakoff, banlieue parisienne, depuis 16 ans. Avec squaw berbère et singe miniature au banjo. Boulots alimentaires, type télémarketing.

Bibliographie sélective

  • Comme un insecte à la fenêtre (Gros Textes / 2011),
  • Le cow-boy de Malakoff (Pédalo ivre / 2014),
  • Pleines lucarnes (avec FX Farine) (Gros Textes / 2016),
  • Luberon-Malakoff, chroniques électroniques (avec Hélène Dassavray) (Gros Textes / 2016),
  • L'ampleur des astres (Cactus inébranlable / 2016).

 

© photo Isabelle Poinloup