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TOTEM HAUT-NORMAND

 

                                                                                           à mes grands-parents

 

J'arrache les barreaux du vent
Les falaises aux jupes de craie noire

J'éventre le bocage
et ses pommiers rouge sang

Minuit resserre l'écrou du vide
La plaie que je veux encore sentir fermée

Les oiseaux recrachent la mer

               Ne pas rentrer

Les regards sont noués comme des naufrages
Toutes les plages pèsent le poids d'un galet
qui résonne dans mon pas

Fermer les yeux pour retenir vos ombres
Ecarter la nausée des rues de Verneuil et de Bernay
La neige noie nos gestes

               Ne pas rentrer

La pluie auguise ses baïonnettes
L'horloge ajuste ses cure-dents dans le ciel malade
Chaque regard est une injure
et les dés de demain sont imaginiares

               Ne pas rentrer

Le train défonce le paysage
L'Avre déborde de la nuit

               Ne pas rentrer

Ne pas répondre au téléphone
Qui sonne... qui sonne...
Ce que j'ai mis de temps à vivre

               Ne pas rentrer

Brûler l'aurore
La vue de toutes choses
Déchirer la Voie lactée
Pisser sur dieu
La dernière forme de l'absence

Vos corps sont muets
La mort avance aussi vite que les étoiles
et décapite les soleils à la grenade

Que sais-je ?
Un caillot de sang
glisse sur l'argile d'un couchant jamais apprivoisé

Escale en paralysie
Vous n'avez plus de visage
Le gouvernail se dérobe en coupe-gorge

Devais-je un jour vous voir si pâle ?
Il est dix-sept heures
et personne ne sait

Personne ne sait
L'oubli et le silence mangés de cris

La lumière du vide
Les fenêtres éclatées dans lesquelles je plonge

La Madeleine de Nonancourt
Ô mon village à l'autre bout de la nuit
J'entends cogner j'entends cogner

Une épaule anonyme le sang des géraniums
Des souvenirs viennent pourrir sur mes lèvres

Les fourmis du sommeil ont mangé vos yeux
La lueur de plus en plus fatiguée de la vie
Néant verrouillé
Je cherche la vie entre les lignes

Ma vie bascule avec son poids de pierre
Mon enfance s'écrase comme un mégot
et se transforme en boue

J'écris le mot vivre sous vos paupières.