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Tournant le dos à, de Michaël Glück

Michaël Glück, c’est une voix qui porte, et ce dès le début du recueil :

 

dit renonce
et pourtant recommence
salue le matin
salue le soir
dit rien n’eut
lieu ni mémoire rien
ne fut à marquer
d’un caillou roulé par les eaux
des heures semblables à
n’importe quelle heure
à peine eut le temps de
corner une page

 

Voix que l’on peut du reste retrouver dans nos pages, et ainsi augmenter le désir de lire ce bel opus du poète, publié sous le très agréable et beau physique des éditions Lanskine.

La poésie de Glück est dense et discrètement… érudite. Mais… Chut ! Le mot risque de faire peur. Pourtant, c’est de civilisation dont nous parlons ici. Il est fort possible que le civilisé fasse aujourd’hui un peu peur.

Etat provisoire du Poème.

C’est avant tout une poésie de l’amour de la langue et de la parole/Parole (c’est pourquoi elle est érudite et civilisée). Car le poète connaît l’enjeu de la langue/parole/Parole et sait que la poésie et son écriture ne sont pas choses divertissantes, bien que soient nombreux les saltimbanques en terres de poésie, confondant parfois soirées dansantes (est venu à mes oreilles qu’un éditeur parisien organiserait des soirées poétiques dansantes, un peu comme l’on faisait dans les patronages de la banlieue rouge à l’époque du Petit Père des Peuples, j’ose à peine y croire) et essence de la vie, comme l’on dirait de l’essence d’un arbre (une définition parmi d’autres de ce qu’est la poésie). Car il y a un enjeu, et la poésie est œuvre au cœur de ce jeu/Je/enjeu. Cela demande tout de même un peu de culture, voire d’érudition. Je veux dire : pour partir en guerre sous l’oriflamme de la Parole.

On pourra se rassurer en considérant que j’exagère. Pourtant, nous baignons dans une époque où la communication se prend pour la parole et où les mots vides et creux emplissent les cerveaux dès prime matin. Et ce bruit offre fort peu de poèmes, ce n’est pas un hasard. C’est l’époque des « mots jetés dans le vide / faute d’oreilles ouvertes » dit le poète Michaël Glück qui ne semble pas craindre d’être taxé de ringard en en appelant ainsi à l’intelligence de ses contemporains. Les minorités fondées sur l’intelligence, la culture et le cœur ont toujours raison. Le poète est du bon côté de la barricade.

La nôtre.

Et il bat sa poésie en rythme, quelque chose qui touche à la profondeur musicale du monde. Tel est le réel.

Ce qui ne va pas sans politique, poésie profonde et politique sont inséparables (il faut être sacrément aveugle pour ne pas saisir cela d’un regard). Ainsi :

 

le cathodique est
catholique
c’est-à-dire
l’universel
l’universel est
la norme de la soumission
la déclaration universelle
des droits de l’homme
est et n’est pas universelle
chacun doit avoir le droit à la télévision
doit avoir accès aux jeux
chacun est libre de se soumettre

 

Comme tout poète authentique, il y a une saine et calme colère dans la poésie de Michaël Glück, de ces colères qui sont des réactions – réaction contre la soumission : Poésie d’abord !