Tristan Felix, Augures (extraits inédits)
à la vie, imprévisible
En sous-titre de chaque poème,
 une concrétion littérale des poèmes eux-mêmes, en italiques.
son identité transfuge
Gwen Dhu
L’Albatroce
elle tenta la figure de l’oiseau
 percutant le ciel
perdant tout d’elle
 par morceaux
 à genoux dans le vide
 où tournoyaient des ailes
sans corps
(civid)
pris d’un doute
 le vigile crève l'alvéole noire
 d'un coup d'ergot, tac
qui demeurerait en sa larve
 à touiller un sang d’encre ?
aussitôt elle s’envole, hilare
 vers une cime d’air
 avec sa mort acrobatique
(meurhil)
la pulpe d’horizon
 une fois seule
s’ouvre à chair
aux hébétudes aussi
 des berges où court un demi-chien
 vêtu-vif
combien de bris de vie qui courent
 ras la tranche
 à demi vêtus-vifs !
(ubris)
flanque ta voix dehors
claque entre les pavés
 où le sabot gelé trébuche
 ton écho d’insomnie
quand ta viande ne pourra plus arquer
 te viendra une mouche
 brailler tes humeurs frelatées
des gueules de fleurs
 figent en suc mortel
 la sueur de la nuit
flanque ta voix dehors
(guehors)
elle est fétu
 d’une maison tout en paille
sous la grand’nuit d’été à respirer
 trois fois les bois huants
prête à brûler quand midi
 brandira la sentence
légère adossée contre un semblant
 elle est têtue
(fédoss)
sans appui que l’air
 la marche d’un cheval de biais
qu’en foraine idylle on surprendra
 l’âme pincée
alors ne pas
 dégringoler de l’arçon
revenir à tâtons
 au point ferré d’oubli
(dydoubl)
dans l’antre aux aurochs
si cru de son corps
 que dedans le roc
 se griffe et récidive
 en dix doigts écarlates
l’os pariétal cogne
 se fêle et se brise
 qu’il sache dedans lui
 qui l’a orné de cornes
lui l’aurochs le chantre
(rocorn)
au nœud des terres meubles
 j’enfonce inexorablement
et loque à loque ruisselantes
 défilent les Absentes  les Inouïs
 et les Proies de la soif
que ralentisse la mort
 couchée dans notre loup !
le bleu des écorces au crépuscule
 quitte les bois et hisse aux cimes
 une lumière prochaine
être loin de soi
 où nuiter !
(rupucim)

revenue du pont suspendu
 où l’insecte blanc se lançait dans l’éclair
née d’une poudre d’enfant
 à la lisière de son incandescent suaire
un clown vague en sa grime
un vagabond assis par la stupeur
(nefansu)
— pourquoi tuer cet oiseau si petit ?
— il chantait dans les dunes, il frôlait de ses ailes l’écru du sable
— il n’avait pas le droit d’identifier ton désir de le savoir vivant ?
— son chant n’avait presque plus d’air, ses ailes que l’ombre pour agiter sa fin
— un oiseau t’a tué et tu ne sauras où il t’a échoué
— j’aurai donc dormi tant et tant
— à tire d’aile
(ombaile)
de ses yeux l’enfant-carbon tire
 une colle noire
pâte à souiller les genoux
 sculpter l’informe
il passe la nuit au bloc de sa falaise
et tout tombe au fond de soi
 enraciné par les cheveux
(olloc)
on a froid vert
 contre la pierre d’église
les fougères tiennent leurs crosses
et les vents de prière
 paissent à mi - mots
la tiédeur de nos assassinats
(piross)
poisse et mouise en besace
 tout luit hors du visible champ défécatoire
comment dire pétunia, courroux, mica
courir écervelée là-bas
 brouiller sa forme
 se perdre au mot
desserrer l’étreinte des joies feintes ?
(poinia)
un quart d’assise
 un demi-ponton
 un revers d’équilibre
 cent fois la ligne de flottaison
 moins la coque
la reine abyssale n’a pas quitté son roc
 ni sa robe ôtée   elle pense dessous
invisible soit-elle
 morte peut-être
notre hésitation juste
 dans l’axe du corps défait un mystère
(ortyst)
Face
 l’empreinte acéphale d’un lézard
Pile
 la crête d’un roi
l’Idiot retrouvera une écaille de sa tête
 entre ses doigts frotteurs d’écus
il en mourra de rire
(fadio)
entre les œillères brûlantes
 sa tête cogne à sa carcasse
remorque de phrases d’abattoir
 qui sonnent à cloche-fêlée
un âne blanc, hi ! la carriole pleine de têtes, han !
 traverse la place à grand fracas
« cherche poète à main nue
 pour taire un peu tout ça »
(pharriol)
