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TROIS POÈTES POLYNÉSIENS (2) : FLORA AURIMA DEVATINE

             FLORA AURIMA DEVATINE ET LA PIROGUE DES MOTS

Issue d’une famille de métayers polynésiens, Flora Aurima-Devatine, née le 16 octobre 1942 au Pari, Tautira, presqu’île de Tahiti (« J’ai habité jusqu’à dix-sept ans au bout de la presqu’île, la partie la plus sauvage de Tahiti, il n'y avait pas de route pour y arriver, il n’y avait que la pirogue »), a été professeure d’espagnol et de tahitien au Lycée-Collège Pomare IV (Papeete) de 1968 à 1997, Déléguée d’État à la Condition Féminine de 1979 à 1984 et chargée de cours au Service de la Promotion Universitaire puis à l’Université française du Pacifique de 1987 à 1995, y enseignant notamment la poésie polynésienne. 

En 1996, en Polynésie française, des questions telles que « Y-a-t-il une littérature ma’ohi ? » ou « Quelle langue d’écriture en Polynésie française ? » étaient de celles que l’on posait aux Polynésiens. En l’an 2000, au Ministère de l’Outre-mer à Paris, on affirmait : « Il n’y a pas de littérature en Polynésie française ! », comme il en existe aux Antilles, en Afrique. 

La parution, en 2002, du premier numéro de la revue littéraire polynésienne Littérama’ohi – Ramées de Littérature polynésienne, fut un implacable démentie à toutes ces assertions. Flora Aurima-Devatine a été la première directrice (de 2002 à 2006) de cette revue. Elle a également été membre de nombreuses associations féminines et culturelles dont le club Tahiti/Papeete du Soroptimist International Union française, le Centre d’Information des Droits des femmes et des Familles (CIDFF) de la Polynésie française, qu’elle a présidé, et le Conseil des femmes de Polynésie française, dont elle est membre d’honneur, le centre d’accueil Pu o Te Hau pour les femmes victimes de violences conjugales et intrafamiliales. 

Membre (et présidente) de l’Académie tahitienne (« Te Fare Vana’a ») depuis sa création en 1972, elle est l’auteure de poèmes en tahitien et en français. Les droits des femmes, leur rôle dans la transmission de la culture, sont prégnants dans sa vie et dans son œuvre. 

Son engagement en faveur de la langue rejoint le combat qu’elle mène en direction de la condition féminine et de la culture ma’ohi. Présentant le livre, Au vent de la piroguière – Tifaifai, Bruno Doucey écrit : Un enfant dans sa pirogue, « le ciel tout en haut » et « la mer tout autour ». Puis un chemin de vie, « l’impatience du temps », la crainte du départ... Il ne faut que quelques poèmes à Flora Aurima Devatine pour brosser le portrait d’une enfance polynésienne partagée entre le « respect atavique des mystères d’autrefois » et l’ouverture à d’autres horizons. 

Mais très vite le voyage de la vie se confond avec celui du langage, oscillant entre oralité et écriture. Un vent de liberté se lève, qui fait avancer la pirogue des mots ; la poésie devient l’archipel de tous les possibles. Si l’auteur a tenu à rassembler sa poésie sous le nom tahitien « Tifaifai », qui signifie patchwork, c’est que son œuvre, faite de pièces assemblées, n’aspire qu’à « renouer, rénover et retresser la natte humaine ». 

 

À lire : Vaitiare, Humeurs (Polytram, 1980), Tergiversations et rêveries de l’écriture orale (Au Vent des îles, 1998), Au vent de la piroguière, Tifaifai (Bruno Doucey, 2016).

Flora Aurima Devatine, Au vent de la piroguière, Tifaifai, Editions Bruno Doucey, 2016.

L’ART DU PARIPARIFENUA 9

Sur la place qu’évente
la fraîche rosée des vallées
               c’est l’heure du pariparifenua,
espace de ressourcement,
chant-poème,
au ras de l’île.
En quête
de la pure harmonie
des voix s’élèvent, sourdes, graves
 hymnes à la lettre, au ciel,
 à ceux des temps anciens :
Les hommes scandent sur les corps
 et dans les esprits martèlent, enracinent
puis mesurent, équilibrent
 les perçants, haut perchées
des femmes qui, se faisant, rendent la consonnance
 tandis que de timides, juvéniles,
s’exercent à prendre place.
Scansion, détresse
et nostalgie, sonorités immémoriales,
pont passé-présent,
 pour remonter le temps, et conforter.
Sur les gradins
désertés, les Anciens se taisent,
langueur et méditation
dans l’attente d’un baume à l’âme.
Tous, sur la place, corps, chœur, et âmes,
Par le rythme, l’acceptation,
et la portée des sons, chant, musique
 et poésie, vibrent, ravis, à l’unisson,
dans l’harmonie saisie au fort,
par étapes, portée, légère,
éclatante, dans les hauteurs, de la mélopée.
Le passé retrouvé, ils s’en reviennent,
ressourcés, pacifiés,
enhardis, vivants.

Flora DEVATINE
(Poème extraits de Au vent de la piroguière, Tifaifai, éd. Bruno Doucey, 2016).