1

Un Album de jeunesse, et Tout terriblement : centenaire Apollinaire aux éditions Gallimard

Deux livres, chez Gallimard, couvrent presque tout l'empan de la brève vie du poète. Le premier est le très émouvant carnet de dessins du jeune Wilhelm de Kostrowitzky, collégien monégasque de 13 ans – à l'aube de son destin...

... Cet album, qui a depuis été vendu très cher((plus de 100.000 euros selon la salle de vente)), faisait partie de la bibliothèque de l'amateur d'art Pierre Bergé.

Ainsi que le souhaitait son propriétaire ((il déclare en liminaire au livre : «Avoir pu acquérir un ouvrage de jeunesse de, qui n'était pas encore Guillaume Apollinaire, cause, certes, un grand plaisir, mais crée aussi des devoirs. Le premier est de le partager avec d'autres pour leur permettre de profiter de cette découverte. Cet album, rappelons-le, est demeuré inédit. J'ai toujours considéré que les livres n'entraient dans ma bibliothèque que d'une manière temporaire, en transit en quelque sorte, et qu'un jour ils partiraient. C'est ce qu'ils feront au cours des ventes que j'ai décidé d'organiser, mais auparavant je suis heureux d'offrir aux lecteurs cette œuvre, parfois malhabile, d'un collégien de treize ans qui allait devenir l'un des plus grands poètes français du XXe siècle.»)), cette publication nous offre, sous l'élégant emboitage aux couleurs de la NRF, une reproduction à l'identique de l'original, dans son format à l'italienne ((selon la description du catalogue de la salle de ventes : In-8 oblong, cuir de Russie prune, dos lisse, plats décorés en relief d'un large listel à froid, avec mention "Album" sur le premier et les initiales "W.K." sur le second en lettres dorées, bordures intérieures décorées, tranches dorées (reliure de l'époque). Exceptionnel album de dessins originaux réalisés par le très jeune Guillaume Apollinaire, avec deux poèmes autographes, dont le premier calligramme connu. Il renferme 29 compositions originales, la plupart signées: 22 au crayon noir ou au fusain, 4 coloriées ou aquarellées et 3 à l'encre de Chine. On remarque également la trace de quelques croquis volontairement effacés.L'album porte les initiales "W.K." en lettres dorées sur le second plat, restituant le nom véritable du futur Guillaume Apollinaire: Wilhelm de Kostrowitzky. )) - soit un ensemble de poèmes et dessins réalisés au fusain  : le fac-simile reproduit très précisément aussi le verso des feuilles où le charbon a laissé des traces – on imagine presque y lire l'empreinte des doigts de l'enfant-poète de 13 ans qui les remplit, réalisant ainsi une sorte de "véronique" laïque - ce linge porteur, dit-on, du visage du Christ - témoignant de la présence encore du poète pour qui feuillette l'album...

Inauguré le 26 juillet 1893, au début des grandes vacances, selon la date inscrite sur le premier dessin qui porte, comme plusieurs autres croquis, la signature "W. de Kostrowitzky", le carnet s'achève en 1895, date à laquelle le collège Saint-Charles de Monaco fut fermé, et le poète-en-herbe rejoignit les bancs du collège Stanislas, à Cannes, puis ceux du lycée de Nice où, en 1897, où il signa pour la première fois ses poèmes de son solaire nom de plume.

Un album de jeunesse, suivi d'Un album de jeunesse signé W. de K. ou Les premiers pas de Guillaume Apollinaire par Pierre Caizergues, Collection  Blanche, Gallimard, livre sous coffret, 17, 50 euros.

couverture originale,  vente Pierre Bergé et associés

détail de la page "Noël" 

On ne pressent pas forcément le talent à venir dans chaque feuillet de ce carnet, par ailleurs fort émouvant : on y rencontre des personnages historiques, tirés sans doute des lectures scolaires du jeune Wilhelm (buste d'Alexandre le Grand, Vercingétorix se rendant à César...)  mais aussi des caricatures (silhouettes de mode, ou les religions et le ministre des cultes témoignant déjà d'une belle liberté de pensée!) portraits du quotidien (marin, vieille au tricot), scènes militaires, paysages – entre autres une vue de Tripoli, une aquarelle de fleur... Une présentation en fin de volume donne des clés pour une lecture plus fine de ce qui est pourtant avant tout un objet de curiosité, et un «   must   » pour la bibliothèque des «fans» du poète.

Universitaire, spécialiste d'Apollinaire, Pierre Caizergues - qui avait poussé Pierre Bergé à faire l'acquisition de ce carnet rare - accompagne cet objet d'une présentation fort intéressante, et y attire  l'attention du lecteur, l'invitant notamment à déceler dans ce carnet le goût de l'adolescent pour l'assemblage surprenant du texte et des illustrations, annonciateur des futurs calligrammes du poète, notamment dans le poème intitulé "Minuit", composition à l'encre de chine et fusain datée de 1894? où se mêlent texte et dessins dans une ambiance onirique  déjà apollinarienne, et  le rythme  du « Noël  » en vers octosyllabiques ((Daté de 1894 et orné de trois dessins (Vierge adorant le Christ, calvaire, Rois mages), il a été soigneusement calligraphié à l'encre de Chine. Ce poème de jeunesse n'a pas été reproduit dans les Oeuvres d'Apollinaire publiées par Marcel Adéma et Michel Décaudin.))  qui anonce celui de  «  La chanson du Mal Aimé  ».

détail de la page "minuit"

Tout terriblement  est un calligramme paru dans le catalogue d'une exposition consacrée à Léopold Survage et Irène Lagut, en 1917. Il sert ici de titre à un florilège de poèmes d'Apollinaire qu'accompagnent des oeuvres de peintres qui lui furent proches et dont il partageait les recherches pour une esthétique révolutionnaire de la peinture et de la représentation  : Matisse, Picasso, De Chirico, Derain – la bande du Bateau-Lavoir et Marie Laurencin avec qui il entretient une relation amoureuse... On se rappellera qu'un mois avant la publication d’Alcools, Apollinaire, novateur averti,  avait fait paraître Les Peintres Cubistes, Méditations esthétiques .

Gallimard, dont il constitue la "figure de proue" de la collection poésie (plus de 2 millions d'exemplaires vendus pour les 6 titres publiés ((les 6 titres parus sont réédités en coffret à l'occasion du centenaire)) ) a confié la confection de ce florilège à Laurence Campa, auteure chez eux de la biographie de référence du poète. Cet ouvrage, qui n'est pas encore entre nos mains à l'heure où j'écris, avec une copie du B.A.T, est conçu dans la veine des ouvrages illustrés de la collection, petites merveilles dont nous avons déjà parlé ici : Char-Giacometti, Picasso-Reverdy, Eluard-Man Ray.

Tout terriblement,  Anthologie de poèmes illustrés, Édition et préface de    Laurence Campa Collection     Poésie/Gallimard, Gallimard, 7,30 euros.

Marie Laurencin, 1909, Apollinaire et ses amis.

Abondamment illustré (on rencontre des oeuvres de Brancusi, Duchamp, Fernand Léger, Redon...), ce recueil (majoritairement constitué – on peut peut-être le regretter - d'extraits d'Alcools et de Calligrammes) est doté des références précises des oeuvres, d'une biographie d'Apollinaire, et d'une préface qui est un portrait touchant d'un poète ennemi des règles, du réel et des habitudes, plus enclin à vivre dans l'imaginaire ce "moment de songe et de suspens que le peintre surréaliste André Masson (...) appellerait un jour l'heure d'Apollinaire". De cet inquiet, iconoclaste, "toujours divers, toujours mobile", Laurence Campan souhaite, à travers le choix des textes qu'elle a effectué, rendre compte de cette "image mouvante d'une identité inquiète, de la vie variable, de l'élan d'amour et de l'âme en guerre".

Les oeuvres mises en parallèle ne se veulent pas des illustrations mais, choisies parmi celles que le poète aurait aimé ou pu aimer, tentent de proposer un parcours d'échos et d'affinités verbales et plastiques...  A chacun, suivant ces propositions, d'inventer son propre parcours entre l'oeuvre apollinarienne et la création artistique du début du siècle qu'il a défendue, soutenue et promue.