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Veilleur sans sommeil

Avec « Veilleur sans sommeil » (ainsi définit-il le poète), c’est un choix de poèmes couvrant la période 1974-2008 que propose Jacques Rancourt, dans une coédition éditions du Noroît/Le temps des cerises. Ce Québécois né en 1946, qui vit à Paris depuis 1971, auteur de nombreux recueils de poèmes,  d’essais et d’anthologies, est aussi traducteur, animateur de la revue internationale la Traductière, qu’il a créée en 1983 et du Festival franco-anglais de poésie.

Dans son avant-propos, Jacques Rancourt s’amuse : « Me voilà pour un temps "rapaillé", comme aurait dit Gaston Miron » («Rapaillé» est une expression québécoise qui se dit d'une chose fragmentée, éparpillée, dont on rassemble et réagence les morceaux et « L’homme rapaillé » est un recueil fameux du grand poète québécois). Et c’est en effet à un rassemblement  et à l’élucidation d’une « trajectoire globale » que s’attache cette anthologie personnelle, à travers neuf recueils, depuis « La journée est bien partie pour durer » (Saint-Germain-des-Prés, 1973) jusqu’à « Halte à la poésie », quatre poèmes inédits datés de 2007-2008. Car à l’instar de ce qu’il dit du poète, l’auteur « n’a pas pris la voie la plus directe : pour aller droit devant lui » mais a grappillé de-ci de-là sa nourriture, au grès du monde, de ses humeurs, et de la langue elle-même qui participe de notre chair et alimente notre vertige (« l’âme loge tout entière dans le vocabulaire »). 

A toute les époques, la poésie de Jacques Rancourt dit le monde qui se défait, sans cesser de cultiver l’humour (mais, dit-il, « je n’ai pas l’humour tranquille »). Dans sa préface, Meschonnic parle avec raison de « sens du cosmique », car Rancourt confronte volontiers sa poésie à l’épaisseur du temps et au mystère, notamment des origines ;  mais c’est d’un style souvent léger, d’un ton facétieux (avec des poules qui marchent sur des œufs, des déneigeuses qui surgissent « pour tout remettre au noir », par exemple, ou la « défaite gagnée d’avance »), que le poète mène son « questionnement de notre être-au-monde ». Sans jamais perdre de vue ces « choses sensibles » qui font images et « pont verbal ».

Parce que l’air est « plein de phrases latentes », les « grappes de mots qui s’organisent en vers » et demandent constamment leur reste à l’auteur nous valent en tout cas une belle brassée de poèmes qui nous renvoient toujours au monde, car « les points d’ancrage sont partout ».