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Vu du Sud (5)

 

Sa main qu’il agite de loin

poème de Abdeddine Hamrouch

 

La main qui en serre une autre
Et s’agite lors de l’adieu
La main qui écrit à une amante connue ou un inconnue
La main qui prend le verre, le couteau
La main qui signe la bulletin de salaire des ouvriers
La sentence d’exécution
Essuie les larmes scintillantes de l’orphelin
La main qui tapote le dos d’un chat et même d’un crapaud
La main qui s’introduit dans le cul d’une poule et vole les œufs
La main d’Imru-l-Quais qui casse la coloquinte au lendemain de la séparation
La main de Picasso qui décompose les traits du visage en ronds et carrés
La main qui passe la nuit à invoquer, pleurer, implorer pour que la scie prenne en pitié l’arbre
La main qui cueille la rose, la plante
La main qui éclaire l’obscurité, l’éteint derrière les yeux des loups
La main qui brasse les cartes et les ordonne
La main qui lève les mots d’ordre et l’instant d’après les met en berne
La main qui palpe les battements du cœur, essuie la sueur du front et cire les souliers des maitres
La main qui rassure celui qui a peur, chatouille et berce, incite, proteste, sermonne, indique, met en garde, insiste, nomme, dit oui, dit non
Explique, s’étonne, questionne, réclame un point d’ordre
Se tend et se rétracte
La main qui porte l’épée et s’attaque aux amis avant les ennemis
La main qui hisse le drapeau du pays
et l’éclabousse par un trafic d’armes
La main qui empoigne l’eau, la braise
La main qui donne et reprend
La main qui se purifie et reçoit le sperme
La main au toucher de soie, de rocaille
La main qu’on tape dans l’autre tant le vide, les frustrations, la déception, le désespoir, le remords, le gâchis
La main qui étreint et poignarde dans le dos
La main qui comte les jours, les mois, les années
L’argent, les pertes, les têtes de mouton
Les souffles des gens et les moments où l’âme s’arrache
La main chaleureuse, tiède, froide comme une rencontre de routine
La main haute, la main basse
La main qui vote, falsifie
La main qui crie victoire, accuse, juge, gracie, proscrit, gifle
La main qui construit pierre par pierre, appuie sur la gâchette en direction des nuages
La main qui encourage, toute de bonté, partisane, ennemie
La main qui ouvre la fenêtre du matin
et ferme à l’air la porte de la cellule
La main qui tresse la corde et s’en soucie comme de l’an quarante
Qui tend mille pièges aux souris, pose mille mines aux papillons
La main miséricordieuse, la main qui lapide, la main infermière
La main pécheresse, la main épouse qui prépare le café
La main de ma mère …
Sa main qui s’appuie sur sa joue droite et se résume à cinq doigts
Une paume, des lignes qui ne révèlent ni mauvais ni bon présage
Sa main qu’il agite de loin
Ma main que j’ai perdu lors d’un adieu

Traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi