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Yves Prié, les veilles du scribe

     Créateur des éditions Folle Avoine, à Bédée près de Rennes, imprimeur « à l’ancienne » des livres qu’il publie, Yves Prié est lui-même poète. Un « poète rare », selon l’expression consacrée. Rare, parce qu’il a relativement peu publié lui-même. Rare, surtout, par l’originalité de sa démarche poétique, comme le témoigne à nouveau sa dernière livraison placée sous le signe du scribe.

     Scribe : fonctionnaire chargé, dans l’ancienne Egypte, de la rédaction des actes administratifs, religieux ou juridiques (nous dit le dictionnaire). Mais, on s’en doute, ce n’est pas du scribe à l’écriture « fonctionnelle » dont il est question ici, mais du scribe qui « laisse aller son roseau plus loin que la nécessité comptable ». Voici donc un livre sur le noble travail d’écriture et sur le sens caché des signes.

         Ce scribe-là, c’est celui que Yves Prié lit, côtoie ou publie. C’est aussi, bien entendu, lui-même, scribe de ses propres textes et de ses propres interrogations. Pour nous dire quoi ? Pour « prendre terre/et goûter à l’éclat de l’instant », affirme l’auteur, parce que « rien ne naît sans la pression de l’inquiétude qui nous tient en éveil ». Alors que le scribe ancien recensait, comptabilisait, recomptait – et, au fond, se limitait à faire un constat - le scribe qu’Yves Prié appelle aujourd’hui de ses vœux se tient en état de « résistance opiniâtre ».

     Il y a, sous la plume du scribe/poète Yves Prié, le constat d’un monde non seulement en faillite, qui « va trop vite », mais d’un monde toujours marqué du sceau de la cruauté. « Je n’oublierai pas les corps violés dépecés/les pleurs de la mère et de l’amante/les livres n’y suffiront pas/j’inscrirai le sang à même le sol des chemin ». Comptabilité macabre, qui rejoint les comptabilités anciennes des scribes. Lisant ces lignes, on retrouve aussi, fugitivement, l’inspiration des poètes qui ont crié la douleur des peuples ou des pays saignés à blanc : poètes de l’Orient proche, poètes d’Afrique… « Ce monde est clos, ajoute Yves Prié, nous en disperserons les murailles ».

     Parti traquer des « senteurs nouvelles », le scribe se donne un nouvel horizon. « Prendre les mots un à un/et bâtir une demeure/pour un rêve arrêté ». Ce scribe-là est en quête d’un monde « où se frôler sera l’ébauche du bonheur ». Pour autant, pas question de verser dans l’angélisme. Ou le messianisme. Et encore moins d’endosser la posture du poète engagé. Un homme, simplement, se tient debout, creusant « l’attente » et espérant « des signes montant du large ».

     A chacun de faire sa propre lecture des écrits de ce scribe-là. Car, comme le dit si justement Yves Prié, « aucun livre n’est donné s’il n’est réécrit par celui qui s’en empare ». C’est sans doute le cas de cette note de lecture.

     Ce livre s’achève par un texte, intitulé Le temps vertical, écrit par Yves Prié en 1973 et dédié à René Rougerie qui en fut le premier lecteur. « Je vous laisse ces mots/comme un éclat de rire sur le temps/ces mots/l’envers des choses/seul recours contre la nuit ».