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Adeline Raquin, La Chambre hexagonale et autres poèmes

La Chambre hexagonale

    Dans ma chambre hexagonale, haut perchée dans le ciel, s'est tapi entre les draps, un animal à l'humanité incertaine. Empêché de marcher, ses jambes garrottées se cachent sous le satin frais.

    Dans ma chambre aérienne, belvédère de solitude, on trouve mon corps déposé sur un lit moelleux. Au nadir du ciel, je me laisse écraser sous le poids de la pesanteur et de l'espace, des poussières d'étoiles et des sphères célestes. Je laisse la nuit sans fin de l'univers dessiner les contours de mon être, peser de toute son ombre jusqu'à la limite de mes cheveux ébouriffés, de mes crocs brillants aiguisés.
    Allongée comme un gisant dans sa chambre de cathédrale, les membres doucement s'enfonçant dans leur matelas marmoréen, je contemple, hébétée, sur les poutres et les linteaux vermoulus des graffitis hiéroglyphiques. Leur fine calligraphie exalte un mystère fallacieux, mirage d'un langage fuyant qui se love entre les stries du bois veineux.

    Dans ma chambre hexagonale, les fenêtres sont ouvertes.
    Y entrent l’autan et l’aquilon, le vent mouillé et la brise sèche qui râpe l’esprit jusqu’à le faire tournoyer en volutes d’élytres, tourbillons de copeaux de nacre projetés.
    Chaque objet, immobile en sa part d'ombre, est entouré de leurs souffles gras, et s'anime, frappé du reflet de leur éclat. Les vents déposent sur leur surface lisse une kyrielle de gouttelettes, pellicule moussue où se condensent les saveurs et senteurs de chants lointains, d’échos galopants, messagers perdus de terres immenses qui frappent d'étonnement l'oreille et réveillent le corps impatient. Tension de la bouche qui salive. Soif d'une aigreur inconnue.

    Il suffit de fermer les yeux pour que des mondes entiers projettent leur image dans la petite chambre, pour que ses parois se peuplent du cri des hommes dans le murmure des vents.
    On se les crèverait même, ses yeux, pour enfin voir. Pour enfin voyager, être ailleurs : marcher, trotter, voler. Être ailleurs à toute allure, ailleurs les pieds libres et le visage au vent.
    On se couperait même le souffle, pour se faire croire qu'on court sur la route, à perdre haleine, qu'on va rater son train, que le temps nous importe, qu'on va quelque part.

    Mais dans la chambre hexagonale, les cinq murs restent solidaires et la vie ne pénètre qu'à coup d'éclats de voix.
    En bas, au loin, on s’époumone. Jusqu'au dernier souffle. Vivant.
    Ici, dans la resserre, cave des nuages, caveau des vents, on camphrerait l'univers pour suspendre le temps.

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INSTANTANES BUCOLIQUES

Maison 1

 

    Il y a un poney et une balancelle sans coussins. Les herbes sont hautes. Elles donneront des graines aux oiseaux.

    Il ne manque qu'un enfant. Une petite fille. Elle ne naîtra jamais.

    C'est une vieille maison au milieu des pâturages. Les fenêtres aux volets rouges sont entourées de briques. Et dans l’œil vitreux du poney s'impriment furtivement l'image des carcasses de voitures, le chancre de la tôle rouillée.

    Le poney traverse la cour cabossée, patauge dans la boue jusqu'à la remise et s'ébroue en un souffle au milieu des odeurs de métal chauffé.

    Au dehors, les ornières recueillent l'eau glauque du ciel délavé et cireux.   
    L'enfant ne viendra pas. Qui le pleure désormais ?

 

L'Arbre 1

 

    Sous les noyers, on s'enrhume.
    Assieds-toi et tu verras.

    Tu les connais, ces chemises à carreaux, toutes trempées de sueur. Elles sont légères mais avec elles on va aux champs. Et c'est août.

    Mais si tu vas sous le noyer tu verras.   
    Tu attraperas la mort c'est sûr.

    Les vieux travaillent en pantalon. Les jeunes un short court, un T-shirt. Les jours sont longs, les jours de la moisson. Et c'est août et le soleil donne.

    Mais si tu vas sous le noyer, tu verras,  
    C'est sûr tu attraperas froid.

    Le grain se déverse dans la remorque en cascade. Il tape la tôle puis le bruit devient sûr et délicat.  
    Comme le temps passe et comme août s'égrène.

    Ne va pas sous le noyer.
    Tu attraperais froid.

 

Ferme 2

 

    Le meuglement des bêtes. C'était pour la Saint-Jean. Le meuglement des bêtes volait haut, déchirant.    
    Une fumée épaisse. Le fracas des tôles. La lune qui aimante les flammes rouge et jaune.

    On crie. Les hommes, les bêtes. On crie. On ne sait plus.
    Comment courir ? Les sabots, les veaux.
    Comment sortir ?
    Et l'air qui alourdit le poitrail
    qui, traître, vendu,
    étoile les poumons de grenaille.

    On crie. On ne sait plus. 
    où sont parties les bêtes que les murs ont retenues.

∗∗∗

EGAREMENTS LYRIQUES

Double voyage

 

Quoi de plus merveilleux
que le monde
qui reste coi dans sa rudesse profonde et qui
tout à coup se déplie
se déploie en tant de mystères que le langage n'y pourra rien
que les mots si polis et si rangés
si précis n'y suffiront pas.

Un autre voyage commence alors au creux des sons et des songes
Il faut racler les mots, les tanner à revers, les évider
pour que dépecés, écharnés de leur présence soyeuse
l'écho de leur fureur clame avant de disparaître
un monde
dont la trace haletante ne perdure
que dans le râle du vent.

 

 

Présentation de l’auteur

Adeline Raquin

Adeline Raquin est agrégée de Lettres Modernes et passionnée de poésie.

Ayant la volonté de s'éloigner d'un lyrisme subjectif et intimiste, elle puise son inspiration dans les manifestations humbles et fragiles de la nature, essayant de saisir sans le figer son mouvement violent et vital.

Certains de ses textes ont été publiés dans des revues comme Dissonances, Francopolis, Nouveaux délits ou dans des anthologies telles que DésirS aux éditions PVST. Un de ses poèmes a été mis en lumière sur la plateforme littéraire Plimay à l'occasion de la « Quinzaine de la poésie féminine ».

 

Bibliographie (supprimer si inutile)

Autres lectures