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Aline Recoura, Scènes d’école

Choses vues, choses vécues, le titre est explicite : nous voici plongés dans le quotidien d’une école maternelle en banlieue parisienne, grande section. Entrées, sorties, cour, classe, dortoir, cantine, enfants, parents, grands-parents, frères, sœurs, personnel enseignant, professeurs ou ATSEM (agent territorialisé d’école maternelle), c’est d’un univers complet dont il est question dans ces pages.

Chaque scène croque un moment, une situation, un fait, petits en soi mais grands par ce qu’ils donnent à voir de l’arrière-plan social et humain. C’est que l’école, ce lieu protégé, est un organisme relié à son quartier, à la ville, à la société, au monde tel qu’il est. Tout y entre de plain-pied ou par effraction, le travail, la pauvreté, le manque de repères, les familles séparées, le défaut de soin, l’habitat vétuste, la drogue, la violence, le terrorisme, sans oublier la pandémie… mais aussi les sourires, le plaisir d’apprendre, d’être ensemble, les petites attentions, gâteaux, objets faits main, cartes de remerciement, mots d’enfants, émotions, bons sentiments qui tiennent chaud au corps et à l’âme. Tout cohabite dans ce monde en réduction qu’est l’école, le laid, le beau, le lourd, le léger, les bobos, les petits bonheurs, les grandes douceurs, l’ennui, la joie, les pleurs, la solitude, les bagarres, l’entraide, les jolis gestes. En somme, une « vie à hauteur d’enfant », aussi diverse et mouvementée qu’un tambour de machine à laver.

 /…/
Ouverture de l’école
tous les cœurs sont
déjà bien pleins
remplis de soucis bien plus tenaces
que le contenu de leur tube de colle
bien assis devant leur table
ils devront pour quelques heures
laisser au fond de leur gros cartable
les souvenirs du soir et du matin
pour certains c’est possible
pour d’autres moins. 

 

Aline Recoura, Scènes d’école, Le Lys bleu éditions, février 2021, 114 pages, 12 euros.

Malgré tout ce qu’ils charrient en eux du monde extérieur, les « enfants des tours » restent des enfants avec leurs jeux de rien, leurs babioles enfouies dans les poches, leurs désirs confus, leurs attentes, leurs remarques inattendues, « petits dragons magiques » qui s’étonnent de leur haleine dans le froid matinal, d’un « mouchoir en papier / blanc / givré » oublié sur le bitume. On suit leur apprentissage, chanter, danser, compter, modeler, semer, dessiner… tous uniques dans leur histoire, leur parcours, leur nom d’ici et d’ailleurs, unis dans un même lieu, une même activité, une même langue.

 

Couper les fruits
dire leurs noms
rêver en douce
d’un doux potager
pour y planter
toutes les graines
d’un alphabet de vie.

 

À ces scènes collectives et individuelles croquées sur le vif, s’ajoute une série de courts portraits très attachants : Imad, « fleur de lexique », Valida, fillette escargot « qui dort dans sa coquille », Yassine, « poisson rouge dans son bocal », Matala, « baoboab à palabres », Dounia, princesse des mille-et-une nuits au nez qui coule, Manelle à la « faim chagrine »… On les voit, on les sent, toutes et tous, habités de leur histoire et de leur devenir.

La maîtresse dans tout cela ? (Eh oui, 95 % de femmes dans le métier, jongleuses à plusieurs vies.) Elle est un repère, une présence qui rassure, qui aide aussi jusqu’à outrepasser parfois les limites de sa charge : « y’a des actes / on est obligé de les faire en cachette ». Comment ne pas vêtir un enfant démuni, comment ne pas lui donner les crayons de couleur dont il rêve ? Pourtant la vie la malmène elle aussi, parfois elle n’a plus envie de se lever, d’obéir mais elle y retourne, elle sait qu’on compte sur elle. Comme ses collègues, elle fait ce qu’elle peut sur le grand navire qui tangue, qu’elle essaie de maintenir à flots coûte que coûte. Tous sur le même bateau, dit-on. Heureusement la poésie sauve, qui, entre deux creux, donne à vivre les beautés essentielles :

Tout est grand
quand on est petit
même une coccinelle
qui se promène
le long de la fenêtre.

 

On l’aura compris, le regard est à la fois lucide et tendre, bienveillant dans son essence, même si « dans le ventre / la nausée du gâchis », tout finit par passer « jusqu’à la prochaine fuite ». Par chance, au-dessus des tours et de la cour de récré, « ça a des pieds les nuages ». Oui et même ils « prennent leur temps ». Confiance chevillée au corps. Simplicité, tendresse. Sens de ce qui compte. Mesure humaine.

 

 

 

Présentation de l’auteur

Aline Recoura

Aline Recoura est enseignante. Pendant 10 ans elle fait partie du collectif SlamÔféminin avec lequel elle créée deux spectacles pour le festival d’Avignon. Depuis 2 ans, Aline Recoura est membre du collectif Les déméninges. Elle contribue à de nombreuses revues (numériques et papiers) de poésie en envoyant des poèmes. ( Cabaret, Lichen, Cosaques des Frontières, L'intranquille, Nouveaux Délits, Comme en poésie, Traversées, Traction Brabant, Verso, De la bouche à l'oreille, Terre de femmes, Les amis de Thalie, Météor...)

40 jours 40 vies, Cabaret Hors-série 6
Banlieue Ville, La lucarne des écrivains, décembre 2020
Scènes d’école Photo de classe, Le Lys Bleu, janvier 2021
Cardio poèmes éditions du Petit Rameur, février 2021

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