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Andrea Moorhead, L’étrangeté du regard

Déboussolé

 

Je veux t’inviter à partir, quitter la terre ce soir, 

entrer dans le royaume des pertes et des conflits invisibles. 

Tu y verras l’échange des gaz volcaniques 

le reflux de la conscience qui s’égare facilement

parmi les souches brûlées et la canopée de vitres cassées,

à la lisière de la parole où la vision s’enflamme

tu verras des tours lointaines

des océans asphyxiés couleur de plomb,

tu n’auras pas d’ailes, tu seras dans un bateau sans rames

tes veines soyeuses allongées sur le vent

comme une voile pour l’âme meurtrie,

tu verras l’absence et la perte

à travers un brouillard de fantaisies et d’angoisses,

seule la nuit te soulagera,

ses sortilèges roulant au rythme des étoiles,

tu chanteras une vieille berceuse

avant de t’endormir 

les braises de l’aube sous ta langue affamée.

 

 

∗∗∗

Témoin complice 

 

J’aurais déplacé le poids

sur ta poitrine

le bruit percutant

qui bouche ton oreille

détourne ton regard rêveur.

L’après-midi blanchit

les reflets sur la fenêtre,

tu y guettes le passage des moineaux

l’illumination des passages de rêve,

mais la syncope ne permet aucun retour

ton regard restera à jamais

parmi les branches des buissons

et la lumière écrasante de la réalité.

 

 

 

 

 

∗∗∗

Dans un rêve diurne

 

Je monte sans penser aux consignes,

l’ascenseur vide, l’escalier en mauvais état,

la salle est loin de l’entrée

personne à la porte,

j’y traine des arcs-en-ciel

des papillons bleus et blancs

tout ce que tu aimes voir et entendre

la musique des arbres

par un soir de velours, 

le parfum exquis des orages 

qui nous mènent loin

de ce silence incongru 

figé au bout des lèvres.

 

 

∗∗∗

À hôpital

 

Endormie. Des taches de soleil sur le lit.

Ses paupières glissent vers le noir,

Il est impossible de lui parler.

Un bocal de miel, de l’eau chaude.

J’ai mis du citron dans une tasse.

Un peu d’eau, du miel. Ma gorge est blanchie

par l’effort de parler au vide.

Ses joues ondulent sous la lumière

mais aucun mouvement de la peau.

L’après-midi dans le silence.

Les vitres poussiéreuses, striées par

le regard manqué.

 

∗∗∗

L’étrangeté du regard

 

Une voile blanche étendue vers l’océan

la silhouette indistincte d’un homme qui marche

sans rien dire de ce qui se passe autour de lui

veines élastiques, poumons en feu

le résultat des scans déchirant

il parle d’une voix de feuille

de la profondeur de son angoisse 

des fissures luisantes de sa vie

sa perte sa désillusion 

ses mains blanches dans le vent

cherchent des cordes pour hisser la voile

des chutes de feuilles des larmes des mots brisés

son regard en braises, son corps disparu.

 

 

 

Présentation de l’auteur

Andrea Moorhead

Andrea Moorhead est directrice de la revue internationale Osiris qui vient de célébrer cinquante ans de poésie. Elle a publié plusieurs recueils de poèmes dont Présence de la terre aux Écrits des Forges, À l’ombre de ta voix aux Éditions du Noroît, Fukushima Dreams au Finishing Line Press et Tracing the Distance au Bitter Oleander Press. Photographe amatrice et naturaliste passionnée, elle a fait paraître ses photographies dans de nombreux livres à Anterem Edizioni en Italie ainsi que dans les revues littéraires Ce qui reste, Possibles et The January Review.

 

© photo Isabelle Poinloup

Bibliographie

En anglais :

Iris, 1970, poems, privately printed
Morganstall, 1971, poems, Fiddlehead Poetry Books, New Brunswick, Canada
Black Rain, 1975, poems, privately printed
The Snows of Troy, 1988, poems, Osiris
Winter Light, 1994, prose, Oasis Books, London, England
From A Grove Of Aspen, 1997, poems, University of Salzburg Press
The Open Gate: Four Deerfield Poets, 1999, anthology, pages 109-139, Deerfield Academy Press
Deerfield 1797-1997: A Pictorial History of the Academy, 1997, with Robert Moorhead, Deerfield
Academy Press
The Hearth, 2003, prose, Deerfield Academy Press
The Carver’s Dream, poems, 2018, Red Dragonfly Press
Tracing the Distance, poems, 2022, The Bitter Oleander Press
Fukushima Dreams, poems, 2022, Finishing Line Press
The Magician's Tales, poems, forthcoming 2024, MadHat Press
En français :
Entre nous la neige, correspondance québécaméricaine, 1986, Les Écrits des Forges, Québec
Niagara, 1988, poèmes, Écrits des Forges, Québec
Le silence nous entoure, 1991, poèmes, Écrits des Forges
La blancheur absolue, 1995, poèmes, Écrits des Forges/Autres Temps, Québec/France
Le vert est fragile, 1999, poèmes, Écrits des Forges/Autres Temps
Présence de la terre, 2004, poèmes, Écrits des Forges
La déchirure des mots: poèmes choisis de Jean Chapdelaine Gagnon, 2007, Éditions du Noroît
De loin, 2010, poèmes, Éditions du Noroît
Terres de mémoire, 2012, poèmes, Éditions de l'Atlantique
Sans miroir, 2013, poèmes, Encres Vives
Géocide, 2013, poèmes, Éditions du Noroît
À l’ombre de ta voix, 2017, poèmes, Éditions du Noroît

 

Traductions :

The Edges of Light, selected poems of Hélène Dorion, 1995, Guernica Editions, Toronto
The Caverns of History, poetic suite by Hélène Dorion, 1996, Éditions en Forêt/Verlag Im Wald,
Germany
Do Not Disclose This Word, poetic suite by Jean Chapdelaine Gagnon, 1997, Spectacular Diseases,
England
Updates, poems by Françoise Han, 1999, 10 folios, 3-lingual, Éditions en Forêt/ Verlag Im Wald
Bridges, Dust, poetic suite by Hélène Dorion, 2000, Éditions en Forêt/Verlag Im Wald
Night Watch, poetic suite by Abderrahmane Djelfaoui, Red Dragonfly Press, 2009
Stone Dream, poems by Madeleine Gagnon, Guernica Editions, Toronto, Canada, 2010
Dark Menagerie, poems by Élise Turcotte, Guernica Editions, Toronto, Canada, 2013
The Red Bird, poems by Marie-Christine Masset, Oxybia Éditions, Grasse, France, 2020