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La revue AYNA

À l’heure actuelle, il n’existe pas sur le web français de site spécialisé qui fasse connaître la poésie turque contemporaine. Le public français a de plus en plus d’intérêt pour les romans turcs, l’augmentation du nombres de romans traduits en français le montre, mais il ne dispose pas de suffisamment d’ouvrages pour avoir un aperçu de la création poétique turque.

Ayna signifie miroir en en  turc. La revue se veut en effet le miroir de la poésie turque en direction du public francophone. Le fait que la revue Ayna soit  en version bilingue franco-turque et qu’elle présente les textes en langue originale lui donne également la vocation d’être un lieu miroir entre les langues et les cultures.

Ayna est une revue qui permet à tous, francophones ou turcophones, d’avoir accès à un panel de poètes contemporains reconnus. Elle a été créée en 2013 par Claire Lajus, traductrice et poète.

Cette revue numérique est gratuite et met en ligne des poèmes originaux, leurs traductions, leurs enregistrements sonores et des entretiens avec les poètes. Elle met également à disposition du public l’actualité des événements poétiques en Turquie et donne des focus sur certains poètes ou ouvrages.

Vingt  poètes sont actuellement présentés dans la revue. Des lectures publiques sont aussi organisées pour apporter la parole des poètes au plus près des gens.

Ayna a pour objectif à moyen terme de présenter une base de données suffisamment importante pour constituer un espace de référence pour toutes les personnes intéressées par la poésie turque.




Ahmed Arif (1927–1991), poète libre

AHMED ARİF(1927-1991), POETE LIBRE

 “Je suis ouvrier en toute honnêteté, c’est-à-dire
Ouvrier de tout mon cœur.
Sans peur, sans marchandage, un être à l’état brut.”(p61,Uy Havar!)

 

 

Ahmed Arif, Le Cercle de Poésie Anatolienne.

Si nous devions comparer Nazım Hikmet  et Ahmed Arif, nous dirions que le premier est le poète de la ville alors que le second est celui des montagnes. Le premier est civilisé, militant, le second sauvage, secret. Nazım Hikmet  possède un chant ample, un lyrisme assumé, Ahmed Arif a la parole ramassée, tendue. Mais leur deux voix portent au-delà de la Turquie, universelles par leur engagement auprès des déshérités et par une même foi en l’homme.

Nazım Hikmet et Ahmed Arfi ont aussi un destin semblable dans leur expérience de la prison et de la censure, et ils ont tous deux un e haute idée du rôle du poete et de sa place dans la société : « Pas de mensonge, ma parole est parole d’homme » (p45, Vay Kurban). Enfin, après Nazım Hikmet, Ahmed Arif est le poète le plus lu en Turquie.

Nous allons vous présenter plus en détails les particularités de ce poète singulier qu’est Ahmed Arif, oublié et redécouvert bien après la rédaction de ses poèmes.

Ahmed Arif est né le 27 Avril 1927 à Diyarbakır, une ville à l’est de la Turquie, à la population hétérogène composée de Kurdes, d’Arabes et de Zazas. Son père était un haut  fonctionnaire de l’Etat et sa mère est décédée alors qu’il était encore petit.  Il a été au lycée à Afyon, à l’ouest.  

Ahmed Arif, Hasretinden Prangalar Eskittim
Metis Yayıncılık, 2016, 184 pages, 10 € 30.

L’influence de ses professeurs et de ses amis, eux aussi poètes, a été formatrice et décisive. Il a publié son premier poème en 1940 dans une revue d’İstanbul.  Il lisait beaucoup du Nazım hikmet, Ahmet Hamdi Tanpınar, Cahit Külebi…

 

Il n’a été que peu influencé par le mouvement du Garip (Etrange) alors à la mode chez les jeunes poètes, cependant il est proche de ce mouvement dans sa volonté d’être compréhensible par tous . Le Garip c’était une poésie à la Prévert, d’un langage du quotidien, sans lyrisme, une prose poétique pleine d’humour. Ahmed Arif a très tôt trouvé sa voix personnelle, assimilant les leçons de ses grands prédécesseurs comme Nazım Hikmet tout en s’en éloignant pour rester original.

 

Nazim Hikmet

Apres avoir terminé son lycée en 1947-48,  il continue ses études à la Faculté de Langue et d’Histoire à Ankara, mais ses études sont interrompues en 1951 par une première arrestation à cause d’un de ses poèmes nommé  « 33 balles », longue complainte relatant l’assassinat par des gendarmes de 33 contrebandiers à l’est de la Turquie. Il fut mis en prison et torturé. Dans ce poème, il fait parler un des contrebandiers tués, je vous en cite un passage :

4.

Ils ont exécuté la sentence de mort,
Ils ont ensanglanté
Le nuage bleu de la montagne
Et la brise somnolente du matin.
Puis ils ont mis les fusils en faisceau-la
Et nous ont doucement fouillé la poitrine
Ont cherché
Ont fureté
Et ils m’ont pris le ceinturon rouge de
Kirmanşah,
Mon chapelet, ma tabatière et ils s’en sont allés
C’était tous des cadeaux du Pays Persan…

Avec les villages et les campements de
L’autre coté
Nous sommes parrains, parents, nous sommes
Attachés par les liens du sang
Nous nous sommes pris et donnés des filles
Pendant des siècles
Nous sommes voisins face a face
Nos poules se mêlent entre elles
Pas par ignorance
Mais par pauvreté,
On n’a pas chéri le passeport
C’est ça la faute qui est cause du massacre
Des nôtres
Et on nous appelle brigands,
Contrebandiers
Voleurs
Traîtres…

Mon parrain écrit les circonstances ainsi,
On les prendra peut-être pour une simple
Rumeur
Ce ne sont pas des seins roses
Mais des balles Dom dom
En éclats dans ma bouche… (p98-100)

 

Après sa sortie de prison, il ne poursuivit pas ses études supérieures. D’ailleurs, peu de temps après, en 1952 il est de nouveau emprisonné. Il avait écrit un poème sur un communiste italien Togliatti battu et emprisonné par les fascistes. Quelqu’un lui a volé ce poème et l’a copié à 80 exemplaires. Il est arrêté sous le motif qu’il faisait passer ses poèmes pour faire de la propagande communiste. Il ressort en 1954. Les deux ans passés sous les barreaux l’ont durablement marqué, il a été torturé, toujours en cellule dans des conditions indescriptibles. Il a failli mourir par affaiblissement et a même tenté  de se suicider après l’annonce du décès de son père. Il n’a pu ni le revoir avant sa mort ni aller à ses funérailles.  Depuis lors, contraint au silence, il n’a plus écrit de poème, restant retiré du monde littéraire. Pour gagner sa vie, il a travaillé pour des journaux.

Ton amour

Ton amour ne m’a pas quitté,
J’ai eu faim, j’ai eu soif,
Sournoise, noire était la nuit,
L’âme étrange, l’âme muette,
L’âme morcelée…
Et menottes aux mains,
Sans tabac, sans sommeil je suis resté,
Ton amour ne m’a pas quitté… »  (p1)

 

Ahmed Arif, J'en ai usé des fers en ton absence, 
traduction d’Ali Demir, Publication du Ministère
de la Culture, 2000, épuisé.

 

 

Pour Ahmed Arif, le poète ne doit pas être étranger en restant dans une langue trop intellectuelle. Il est contre le courant poétique nommé le Second Nouveau des années 50, lequel était plongé dans une recherche esthétisante de la poésie, une sorte d’art pour l’art. Ses poèmes, il les qualifie « d’organique ». Ils viennent de son être, sans fard.

On le classe dans le groupe des poètes «  réaliste populaire » car sa poésie est préoccupée par le devenir social et politique de son pays. Dans ses poèmes très travaillés, il a su exprimer sa sympathie pour les plus déshérités sans tomber dans le slogan politique et idéologique. Il considère la poésie comme une arme contre l’oppression, une arme de résistance. Sa poésie fait réfléchir sur le monde des déshérités, elle fait prendre conscience, comme celle de Nazım Hikmet. Elle soutient dans les épreuves ainsi que l’amour.

Qui ne voudrait être sacrifié à cette patrie paradisiaque »
Accepter tous les sacrifices
Et faire de toi un paradis
Pour le peuple pauvre et honnête.
C’est cette histoire-la
C’est cet amour à tout prix. (p42, Vay Kurban)

 

De son expérience carcérale, il écrit des poèmes d’une grande pudeur. En prison, il est condamné à l’impuissance mais sa plainte ne s’apitoie jamais sur son sort :

 Je  me dis : « ah ! Si je pouvais être tué,
Disparaitre,
Nu dans un combat.
Je veux que ça soit viril,
L’amitié, l’inimité aussi.
Or ni l’une ni l’autre ne m’arrive.
On entend charger baïonnette aux canons
Et commence la ronde de nuit des gendarmes…

Je frotte l’allumette à la colère,
A la première bouffée, ma cigarette diminue de moitié,
Je m’emplis de fumé à m’en faire mourir.
Je sais, « toi aussi ? »diras-tu,
Mais le soir tombe tôt en prison. (p25-26, Le soir tombe tôt en prison)

 

Son expérience est souvent à la limite du dire, le poète reste démuni parfois pour l’exprimer . Il dit lui-même: « Je ne peux le mettre en mots, c’est si solitaire, si noir… »(p21, La balle ne passe donc pas par la nuit)

Son destin le rapproche des hommes qui peinent à l’extérieur pour survivre et il loue ces être miséreux travaillant pour leur pays :

Les ouvriers du tabac sont pauvres,
Les ouvriers du tabac sont fatigués,
Mais braves,
Tous honnêtes.
Leur renommée est allée au-delà des mers
Unique espoir de mon pays.  (p13, On n’est pas seuls)

 

 

Par la pensée il est libre, le poète est avec le peuple .Malgré ses conditions de rétention, il s’associe à ces êtres :

Je ne suis pas entre quatre murs, moi,
Je suis dans le riz, dans le coton et dans le tabac
A Karacadağ, à Çukurova et à Cibali. (p9, Op. Cit.)

 

 

Grâce à son amour aussi, il s’évade :

Partir,
Partir en exil dans tes yeux.
Coucher,
Coucher au cachot dans tes yeux.
Où sont donc tes yeux ?  (p46, Celle que je n’ai pas pu oublier)

 

Ainsi, Ahmed Arif porte un message d’espoir et de revanche, en se réappropriant l’héritage des troubadours du Moyen-âge, le poète se fait chantre de son peuple et ce n’est pas un hasard si ses poèmes sont encore les plus récités et chantés en Turquie, même parfois par des gens qui ignorent leur auteur. Certains de ces poèmes ont été repris, par exemple, par le célèbre chanteur de rock, Cem Karaca.

La réussite d’Ahmed Arif est là : sa poésie peut toucher un très large public car des thèmes universaux comme l’amour, la mort, la résistance se mêlent avec des motifs locaux concrets, dans un verbe rythmé et parfois répétitif comme une complainte ou un chant traditionnel. Le tabac, le coton, les caravanes, une faune particulière (perdrix, lapin, poulain…) le roc et surtout les montagnes sont des motifs très présents.

Ces dernières sont un élément très usité dans la poésie populaire.

On peut dire que les montagnes d’Ahmed Arif rassemblent tous ses thèmes essentiels : elles représentent un lieu de résistance millénaire, lieu de refuge de guerriers libres en bute contre le pouvoir central ou contre des chefs de village. C’est le lieu sauvage de la poésie où le chant peut puiser sa force. C’est le symbole de sa région natale et d’une certaine mentalité féodale:

Il pourrait s’abriter dans les hauteurs…
Ces montagnes, ces montagnes-amies reconnaissent la valeur. (p94, 33 Balles)

 

L’espoir il est dans les montagnes. (p62, Uy havar !)

 

Aux montagnes de mon pays le printemps est arrivé… (p2, Dedans)

 

 

Ecoutons, pour finir, la ligne de conduite que nous conseille de suive le poète par la bouche de l’Anatolie personnifiée :

Où que tu sois,
A l’ombre, en liberté, en classe, à ton pupitre,
Marche en avant,
Crache au visage du bourreau,
De l’opportuniste, du  corrupteur, du traître.
Tiens bon le livre
Tiens bon le travail
De tous tes ongles, de toutes tes dents,
De tout ton espoir, de tout ton amour, de tout ton rêve,
Tiens bon, ne me fais pas honte. (p.69, Anatolie)

 

 

Présentation de l’auteur

Ahmed Arif

Ahmed Arif était un poète turc. Après des études de philosophie à Ankara. Il est arrêté en 1950 pour ses opinions politiques, et sera libéré en 1952. Il ne publie qu'un seul recueil, Hasretinden Prangalar Eskittim, qui bat des records quant à sa réédition.

Poèmes choisis

Autres lectures

Ahmed Arif (1927–1991), poète libre

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La revue AYNA

À l’heure actuelle, il n’existe pas sur le web français de site spécialisé qui fasse connaître la poésie turque contemporaine. Le public français a de plus en plus d’intérêt pour les romans turcs, l’augmentation du nombres de romans traduits en français le montre, mais il ne dispose pas de suffisamment d’ouvrages pour avoir un aperçu de la création poétique turque.

Ayna signifie miroir en en  turc. La revue se veut en effet le miroir de la poésie turque en direction du public francophone. Le fait que la revue Ayna soit  en version bilingue franco-turque et qu’elle présente les textes en langue originale lui donne également la vocation d’être un lieu miroir entre les langues et les cultures.

 

Ayna est une revue qui permet à tous, francophones ou turcophones, d’avoir accès à un panel de poètes contemporains reconnus. Elle a été créée en 2013 par Claire Lajus, traductrice et poète.

Cette revue numérique est gratuite et met en ligne des poèmes originaux, leurs traductions, leurs enregistrements sonores et des entretiens avec les poètes. Elle met également à disposition du public l’actualité des événements poétiques en Turquie et donne des focus sur certains poètes ou ouvrages.

Vingt  poètes sont actuellement présentés dans la revue. Des lectures publiques sont aussi organisées pour apporter la parole des poètes au plus près des gens.

Ayna a pour objectif à moyen terme de présenter une base de données suffisamment importante pour constituer un espace de référence pour toutes les personnes intéressées par la poésie turque.

 




Ping Pong : Salih Bolat, une voix qui vibre

Né en 1956, il vit actuellement à Istanbul. Diplômé de Sciences Politiques et Sociales de l’Université Gazi (Ankara), il est docteur en Pédagogie de l’Université Hacettepe. Salih Bolat écrit de la poésie depuis 40 ans et ses poèmes ont été réuni dans une anthologie intitulée « Première neige  1983-2014 » publié en 2016. Il collabore régulièrement à des revues prestigieuses et a obtenu de nombreux prix importants, tel que le Prix Metin Altiok 2015.

Sa poésie d’abord bien ancrée dans les réalités sociales et géographiques de son pays s’est progressivement portée sur des thématiques plus universelles et plus abstraites. « La poésie est un langage à réinventer » dit-il. Salih Bolat est toujours en réflexion sur la nature du poème, c’est pourquoi son écriture poétique peut prendre des formes variées : proches du théâtral, de l’épique ou bien proches du haïku.

La poésie de Salih Bolat se distingue de la création contemporaine turque par sa capacité à porter sa voix de manière très personnelle tout en sachant la rendre universelle. Le poète est toujours hanté par la nécessité de s’expliquer à soi-même et dans le même temps d’expliquer l’Autre. Ses poèmes portent des images fortes avec un langage simple, précis et sonore. Le poète poursuit sans cesse son travail de recherche et de profondeur. Son univers métaphorique part du simple pour exprimer le complexe, il est en cela proche d’un de ses poètes favoris, René Char.

L’image est à la base de sa poétique, « C’est l’esquisse visuelle du sens » dit-il. C’est pourquoi, lors de son processus de création d’images, la nature tient une place importante. Elle représente un réservoir sans fin d’inspiration pour le poète. De ce fait, les émotions ou sentiments exprimés dans ses poèmes possèdent une consistance concrète, une épaisseur donnée par des mots très précis et familiers à tous.

La nuit tient une place particulière dans l’œuvre de Salih Bolat et il en parle d’une manière très belle : « si le jour est la prose, la nuit est poème. Si le jour est une réponse, la nuit est une question. » Alors pour finir, cette courte présentation, voici les derniers vers de son poème intitulé « Nuit » :

 

de la nuit personne ne connaît le sens.
tout le monde s’ajoute
au temps et pleure.

 

 

traduction de Claire Lajus

 

Choix de poèmes 

 

 CRISTAL  

 

tu m’as fait ta lumière
comme un soleil
dans la broussaille de l’été.
je pousse ton cri

les oiseaux qui s’envolent m’étonnent
comment ne mélangent-ils pas leurs ailes
quand la nuit s’éloigne déshabillée
sa veste enflammée de soufre
j’embrasse ton éclair.

un ciel t’appelle à lui
malgré le dégel
quel dieu a façonné pour nous
le même hiver
la densité de l’amour

j’entre dans ton obscurité.

 

 SABLE   

 

je tiens une poignée de sable et
par les tempêtes de fond
éparpillée c’est l’écume
d’un grand poisson
dans les profondeurs
c’est la descente silencieuse
que je tiens dans ma paume

 

 

RÊVES

 

le caillou qui indique le chemin à la nuit
le rayon de lune qui coule dans le sillon du poignard
l’expliquent.

la sécheresse vécue dans la rose
la rosée qui mouille tes doigts mouillés
l’expliquent.

cela :
son absence.

 

 

PUNITION

 

oublie le ciel
sois une obscurité morte solitaire
comme la défaite regardant par la fenêtre des trains de banlieue
regarde comment les mouettes scrutent la mer
éloignes-toi, pars, fonds en elle, décompose-toi
puisque tu n’étais pas là.

rends des comptes au goudron du fond des débris d’un navire
comme un crabe coincé dans les cordages d’un port
prends la mesure du désespoir, fruit de ta solitude
tu sais bien que des feuilles tombent au premier  vent
choisis-les, préfères la non-existence
puisque tu n’as rien dit.

observes  les fourmis dessinant la carte de la rigueur
cours vers les arbres, supplies les racines
les empreintes de pieds sur le sable, trouves-les, réfléchis
comme un léopard pourchassé
mesure le vide entre toi et la nuit
puisque tu n’as rien vu.

 

La nuit  

 

elle descend en silence les marches de marbre
derrière le minaret il y a la pleine lune
les arbres sont pleins à craquer de nuages
personne n’en connaît le sens,
des voyageurs oubliés sur la route,
des enfants amassant le bruit des pas,
de la nuit personne ne connaît le sens.
tout le monde s’ajoute
au temps  et pleure.

 

 

KRİSTAL

 

ışığından yaptın beni
yaz çalılıklarındaki
güneş gibi.

senin çığlığını atıyorum.

havalanan kuşlara şaşarım
nasıl karıştırmazlar kanatlarını
gecenin ceketini tutuştururken
bir kav, soyunup giden.

senin şimşeğini öpüyorum.

bir gök seni kendine çağırıyor
hangi tanrının bizim için tasarladığı
aşkın yoğunluğuyla aynı kışta
karın çekip gitmesine rağmen.

senin karanlığına giriyorum.

 

KUM

 

bir avuç kumu tutuyorum ya
dip fırtınalarını
savrulan yosunu
büyük bir balığın
derinlere sessizce inişini
tutuyorum avcumdu.

 

 

DÜŞLER

 

geceye yol gösteren çakıltaşı
hançerin oluğunda akan ayışığı
bunu anlatıyor.

gülde yaşanan kuraklık
parmaklarını ıslatan çiy
bunu anlatıyor.

bunu:
yokluğu.

 

 

CEZA

 

göğü unut
tek başına ölmüş bir karanlık ol
banliyö trenlerinin camından bakan yenilgi gibi
bak, denizi nasıl denetliyor martılar
uzaklaşıp git, kendinde eri, çözül
değil mi ki orda yoktun.

gemi enkazlarının dibindeki katranla hesaplaş
limandaki halatların arasına sıkışmış yengeç gibi
çaresizliği incele, bir sonuca var yalnızlığından
hani ilk rüzgarla düşen yapraklar vardır
onlara oy ver, yaşamıyor olmayı seç
değil mi ki söylemedin.

çalışkanlığın haritasını çizen karıncaları gözet
ağaçlara koş, köklere yalvar
kiminse kumdaki ayak izleri, onu bul, tartuş
takip edilen bir pars gibi
geceyle arandaki boşluğu ölç
değil mi ki göremedin.

 

 

GECE

 

sesizce iniyor mermer merdivenler
dolunay var minarenin arkasında
tıka basa bulut dolu ağaçlar
ne anlama geldiğini kimse bilmiyor bunun
yol üstünde unutulmuş yolculukların,
ayak seslerini biriktiren çocukların,
gecenin ne anlama geldiğini kimse bilmiyor.
zamana ekliyor kendini
herkes, ağlıyor.

 

 

V.

 En partant n’oublie pas  le chagrin de la porte que tu refermes. Ni le silence de tes fenêtres te fixant quand tu t’éloignes de la maison. Réfléchis encore une fois, as-tu tout pris ? Le passé des narcisses fanés dans le vase, la curiosité du balcon s’allongeant sur la rue, le chagrin des deux tourterelles auxquelles tu as omis de donner du blé, l’effort de ton chausson à l’envers dans le soleil tombant au coin du tapis, le désespoir de ton coupe-ongle laissé ouvert devant ton miroir, le matin la déception de la confiture aux coings laissée intacte au petit-déjeuner, l’obscurité d’yves bonnefoy dans ses poèmes…

C’est vrai, on oublie forcément quelque chose en partant. Par exemple devant un  « au revoir »le mot qu’on avait pensé ajouter, la pomme sortie de la corbeille pour manger en route, la chanson murmurée du soir à aujourd’hui…

Qu’avait dit rené char : « le fruit est aveugle, c’est l’arbre le voyant ». En partant oublie le nom de la ville que tu quittes.  Jamais son souvenir !

 

V.

Yola çıkarken kapattığın kapının kederini unutma. Evden uzaklaşırken, arkandan bakakalan pencerelerin sessizliğini de. Tekrar düşün, her şeyi aldın mı yanına? Vazodaki kurumuş nergislerin geçmişini, sokağa uzanmış balkonun merakını, buğday vermeyi unuttuğun iki kumrunun hüznünü, halının ucuna düşen güneşte ters dönmüş terliğin çabasını, aynanın önünde açık bırakılmış tırnak makasının çaresizliğini, sabah kahvaltısında hiç dokunulmamış ayva reçeli tabağının düşkırıklığını,yves bonnefoy’nun şiirlerindeki karanlığı...

Doğru, insan yola çıkarken mutlaka bir şeyleri unutur. Örneğin “hoşçakal” sözcüğünün önüne eklemeyi tasarladığı sözcüğü, yolda yemek için sepetten aldığı elmayı, akşamdan buyana mırıldandığı şarkıyı...

Ne demişti rene char: “meyve kördür, ağaçtır gören.” yola çıkarken ayrıldığın kentin adını unut. anısını asla!