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Bonnie Tchien Hwen-Ying : Le corps du silence

Entre Paris et Migné, Bonnie Tchien Hwen-Ying travaille. Elle travaille l'art performatif, recherche l'équilibre entre le mouvement et le silence, pour pouvoir, dit-elle, faire de ce vecteur qu'est la performance un corps qui unit différents moyens d'expression artistiques. Elle n'est ni une illustration, ni une voix off, ni une entité qui serait séparée du monde et des autres. Elle est l'ultime moyen de communication, celui qui rend perceptible ce que l'Art contient, dans son silence retentissant. Fondatrice de l'Espace Miss China rue Française et du Cabaret de la Performance à Paris, organisatrice et directrice artistique de la résidence d'artistes Chantons aux Vaches et désormais de la Boucherie, centre d'Art performatif, tous deux situés à Migné, elle mène ce chemin comme une exploratrice qui va toujours plus loin en terre inconnue, car pour elle la performance doit être ce lieu d'une communication aboutie et unificatrice, hors du langage.

Peux-tu nous parler ta formation et de ce qui t’a menée à la performance ?
Ma formation initiale est celle d'une créatrice de mode, ce qui m'a menée inévitablement à m'intéresser et à être influencée par le domaine artistique. Mon nom dans ce domaine était Miss China. A cette époque je me suis liée avec les artistes et tout a commencé à l'Espace Miss China Rue Française. C'était en 1995, nous avons commencé à performer en liant nos différentes disciplines artistiques. Puis j'ai ouvert le Cabaret de la Performance. Mais tout a commencé rue Française.

Straight line, avec Bonnie Tchien HY
et Davide Napoli, 2018.

Qu’est-ce qu’une performance ?
J'ai récemment découvert que la vie est une performance. Une performance c’est une expression directe et un moyen de communication immédiat avec les gens qui nous entourent. Une manière de communiquer à travers un certain regard et une certaine gestuelle. C'est pouvoir communiquer avec les autres.
Au centre d'Art performatif La Boucherie que j'ai récemment ouvert à Migné, tout est orienté vers la performance, et on constate que c'est là que tout nous mène absolument à la vie. Dans l'élaboration du travail qui mène à l'élaboration de Chantons aux Vaches, c'est pareil. Tout comme pour  les résidences d'artistes, qui permettent à différents types d'artistes de nationalités variées de se côtoyer. La performance est  toujours le point de croisement ou de rassemblement, le point d'orgue d'une communication universelle.  Je n’exposerais pas une photo si la photo ne nous mène pas à une action performative.  La performance est l'unique mise en œuvre  qui permette de restituer ces différents vecteurs artistiques, qui sont son support. Elle rend possible et visible, audible,  leur rencontre, leur croisement, leur intertextualité.  Elle devient ce troisième corps, le corps du silence, de ce silence habité par toutes les potentialités sémantiques que porte l'œuvre d'art, et elle est l'ultime moyen de communication.

Cœur brisé, Bonnie Tchien HY et Tia-Calli Borlase, "The mermaid who loved seahorses", Cabaret de la performance.

Tu travailles avec un grand nombre de poètes. En quoi la poésie et la performance sont-elles liées ?
Je travaille aussi avec des danseurs et dernièrement des musiciens (du son). La poésie est la performance des mots, des expressions. La performance est l'expression du corps. On ne peut pas dire que la performance illustre ou révèle le texte. Les deux corps, poésie et gestes, poètes et performeurs, se rencontrent, et créent une troisième entité, un troisième corps, la performance. C’est pour cela que je dis que pour moi communiquer est important, créer une connivence, une gestuelle. Les sens se croisent et cette rencontre permet  de laisser émerger un troisième corps, la performance, quand ça marche bien. C'est une autre écriture du poème. Une ouverture de sens, de ses potentialités infinies, que tout le monde partage.
Tu as, entre autre, participé à l’élaboration du livre publié avec Davide Napoli, Errances cristallines, sur/avec Bonnie Tchien Hwen-Ying, paru aux éditions Transignum. Comment avez-vous élaboré ce livre ? Comment le corps et les mots ont-ils dialogué pour former les poèmes ?
Ce livre s’est élaboré à partir d’un corps en mouvement qui a parlé au poète. Davide Napoli a fait ce livre avec moi et sur moi. Donc mon corps en train d'effectuer la performance a amené une communication, un dialogue  entre nous deux à travers une substance figée sur la pellicule, les photos, qui témoignent de cette rencontre de deux moyens d’expression. De là l’émergence du livre, que l’on peut considérer comme un corps sémantique fait de la rencontre des vecteurs artistiques qui l’ont précédé.  Davide Napoli  a écrit à partir de ma gestuelle  que la photographe Rohsuan Chen a su parfaitement capter sur les photos. Je pense que c'est de cette rencontre entre la photographie et le mouvement du corps que sont nés les poèmes. 

Davide Napoli, Errances cristallines, sur/avec Bonnie Tchien Hwen-Ying, Les éditions Transignum, 2018. PDF disponible sur https://www.bonnietchienhwenying.com

Tous les ans tu proposes Chantons aux vaches. Peux-tu nous expliquer de quoi il s’agit ?
Chantons aux Vaches a été  créé en 2014. J'ai souhaité travailler sur la communication. La performance c'est ceci, un travail sur la communication, pas autre chose. En voyant mon chien communiquer avec des vaches, je me suis demandé si leur langage est commun. Comment communiquent-ils ? A  partir de 2014 cet axe de recherche a été une préoccupation constante.  Communiquer. J'ai incité des artistes internationaux à venir, et nous avons travaillé sur ce qui à travers la langue permet de communiquer. Puis nous avons élargi l'acception du mot, et la nature des  interrelations : les êtres avec les êtres ; les êtres avec les animaux ; les êtres avec l’environnement (nature végétaux etc). Nous travaillons ensemble  à partir de cette problématique.  Les artistes sont multidisciplinaires et de toutes nationalités. Chantons aux Vaches s’élabore au fur et à mesure, on évolue ensemble, chacun fait quelques pas, dans le respect et l'harmonie. Cette année pour notre huitième édition cette période de partage me confirme que tout ceci  finalement est le reflet de  la vie.  C'est également une démarche philosophique et politique. Essayer de trouver ce qui est communicable et non communicable. Cela rejoint les problématiques d’aujourd’hui : qu’est-ce qui n’a pas été communiqué correctement, pourquoi les humains ne parviennent-ils pas à s'entendre, se comprendre ? Essayer de créer des ponts, des liens et des moyens de communiquer entre tous les humains, et tout ce qui existe, est ce qui motive notre travail ensemble. La performance, qui est ce moyen d'expression artistique ultime parce qu'elle convoque nos sensations, nos sentiments, et l'espace du vivant qui est en chacun de nous, est ce moyen ultime, incontournable, de communication.

Banquet Chantons aux vaches, août 2020, cameraman Pascal Boymond, Chantons aux vaches.

Quel est ton objectif, ou bien qu’est-ce que tu souhaites mettre à jour ?
Je souhaite pouvoir trouver des vecteurs de communication qui permettent l’harmonie.  L’art est le moyen le plus facile pour atteindre ça. La performance touche les spectateurs au plus profond de leurs sensations, de leurs sentiments. Elle rend perceptible ce que certaines œuvres recèlent, contiennent. Elle actualise un sens parmi les multiples acceptions que l'art porte, et en offre le partage. Le silence, je crois que la performance ouvre l'espace du silence contenu dans chaque œuvre d'art.
La performance tout comme la poésie ouvre vers une acception autre du réel. En ceci elle est intimement liée à la poésie. Est-ce qu’elle ne serait pas finalement cette mise en scène de la différance derridienne ?
La performance permet un autre accès à l'ouvre d'art. Elle peut rendre compte du travail du poème, mais aussi de celui de la musique, de l'image. Elle n'est jamais ni illustration, ni faite par, ou pour, une poème ou une musique spécifique. Elle a une vie propre, et s'installe dans ce vide sémantique laissé par toute œuvre d'art, pour n'être ni cette œuvre, ni le corps de l'artiste qui performe, mais un espace entre les deux, ou un plein, un troisième corps. Une performance n’est jamais reproductible,  et c’est aussi en cela qu’elle est unique, dans les multiples déploiements qu'elle permet à partir d'une œuvre.
Peut-être alors que la performance est l’unique possibilité de mettre en scène la poésie ? Peut-être qu’elle donne à voir le silence sur lequel ouvre le poème ?
La musique peut. La danse aussi. La musique est parfois une performance, la danse aussi. La performance englobe quelque chose d’immense. La performance n’est qu’Une performance. Elle est une méditation, une gestuelle, car tout se dit dans le silence, un silence qui alors est un bruit énorme, un son assourdissant, un en soi. Je pense à une phrase « de fil en aiguille tout se dit dans le silence ». Tout se dit dans le silence.

Timeless Resistance, invitation à la rétrospective Chantons aux vaches 2019 (http://www.chantonsauxvaches.com)

Présentation de l’auteur

Bonnie Tchien Hwen-Ying

Bonnie Tchien HY est une artiste et performeuse née à Taipei (Taiwan). Elle  vit et travaille à Paris. Bonnie exprime dans ses performances ses origines issues de cette double culture. De la Chine elle retient une tradition séculaire issue du Tai-Chi, desArtsMartiaux, des danses traditionnelles qu’elle réinterprète sur un mode contemporain. Comme une alchimiste à la recherche de la pierre philosophale, l’artiste métamorphose son corps, dans une gestuelle inspirée. Entre méditation et introspection, elle peut à travers la foule exprimer son art, isolée dans son propre monde. Absence de temps, néant d’espace : état méditatif suprême ; elle nous capture dans son rêve éveillé. Contestation des «Golden Lotus», elle se met en déséquilibre extrême sur des chaussures surréalistes et nous impose un état de Yin et Yang. Ici,tout est l'absence de temps et vide de l'espace, un haut état de méditation.

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