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Marilyne Bertoncini, Alma Saporito, Scatti di luce / Instantanés de lumière

"Quand les mystères sont très malins, ils se cachent dans la lumière." Avec cette phrase de Jean Giono, Marilyne Bertoncini parvient à résumer le sens du précieux petit livre photo-poétique écrit conjointement par elle et Alma Saporito, inspiré des évocatrices images photographiques en noir et blanc du poète Francesco Gallieri, d'authentiques haïkus visuels.

À la Bibliothèque Guanda de Parme a eu lieu, le mercredi 27 septembre, une présentation d'une grâce rare, où alternaient les voix critiques des poètes Luca Ariano et Giancarlo Baroni parmi le public, les explications techniques de Francesco Gallieri en tant que photographe naturaliste et les lectures de poèmes en italien et en français par les autrices.

Comme sortant des pages blanches du livre et du brouillard des marécages, des mots vibrants surgissent des clichés de Francesco, des « écailles paniques », ainsi que Marilyne  a parfaitement défini le haïku, des calligrammes sonores émergeant du silence. Les vers d’Alma Saporito sont de forme parfaite, plus libres ceux de Marilyne Bertoncini, mais tous capables de cueillir et traduire en son et fragment intérieur, le battement d'ailes ravi par la caméra, l'instant fugace devenu paradigme universel, tige de roseau qui déploie l'infini.

, Scatti di luce / Instantanés de lumière, éditions Pourquoi viens-tu si tard ?, 2023, 85 pages, 12 €.

Les 12 poèmes de Bertoncini sont 12 heures du jour, diversement captées sans souci de chronologie, pour un cercle temporel qui tourne sur lui-même,  aiguilles sans cadran, oasis hors du temps. Nous sommes dans le marais, l’espace oxymorique par excellence, où se confondent la vie et la mort, la lumière en germe dans l’ombre, le mouvement dans la stase. « Sillon de lumière / labourant l’obscur / tu deviens semence » écrit Alma, tandis que Marilyne suggère « Le marécage sent le silence / sous le clapotis de l'eau / une odeur d'algue et d'herbe morte ».

En français, les vers frémissent et résonnent comme des bruissements d'ailes, se propagent plus loin et résonnent longtemps à l'intérieur de nous. Sur les pages blanches s'opère la métamorphose de l'art, de la noire chrysalide d’encre, du signe alchimique et vertical du corps de l'oiseau, d’où surgit le papillon, la vision de  lumière, éphémère peut-être, mais indélébile dans la parenthèse du souvenir, touchant l'âme et dévoilant une beauté qui est la vérité.

Et tout cela, tout est dans Scatti di luce / Instantanés de lumière.




Alma Saporito : Poèmes du Juke-box, extraits

choix et traduction de Marilyne Bertoncini

L’art d’Alma Saporito lui ressemble :  couleur d’âme délicate, il se découvre dans les évocations de sa poésie et l’alchimie de ses collages. Deux arts d’assemblage - de mots, de bribes de souvenirs, ou d’images découpées.

« Tout était jeu/ la fantaisie transforme / l'absolu d'un objet »  écrit-elle dans l’un des poèmes de son recueil  Al Tempo del Juke-box : cette pratique ludique, ce passe-temps créateur, ramène à la mémoire les jeux du temps passé, où l’on se déguisait en fée ou en zorro, où l’armoire recélait des mystères...

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©Alma Saporito

Mais je sais qu’il faut aussi entendre par « jeu»  cet espace - infime et nécessaire - laissé entre deux pièces d’un mécanisme ;  invisible, puisqu’il s’agit d’un  « vide » ténu (plus grand, il empêcherait le mouvement) , mais dont l’indispensable présence permet aux différentes pièces de s’imbriquer plus souplement, de “jouer” entre elles. Ainsi,  ce vide, dans les oeuvres d’Alma Saporito, permet de jouer avec le lecteur, de l’inviter à laisser s’infiltrer son  imaginaire  entre les plis, entre les mots, et d’animer les éléments du collage...

C’est tout un  art d’animation, qui touche à la profondeur sans la dévoiler, que nous vous invitons à découvrir. L’artiste, discrète, nous disait récemment combien lui importait, en réalisant ses collages, d’y ménager profondeur et mouvement. C’est une dimension que l’on ressent fort bien, en contemplant ces montages inscrits dans le cadre d’une barquette de polystirène, comme de modernes icones étrangement tridimensionnelles, auréoléeset troublantes, reflets d’une modernité où se mêlent élements provenant de vieux magazines et de revues contemporaines, pour donner une image de la femme telle qu’Alma Saporito la décline: protéiforme, maîtresse de ses choix et de son destin, dansant sur le monde, jouant des artifices pour exprimer, avec humour et tendresse,  son insaisissable et authentique identité.

C’est de même, tendre, sans être mièvre, l’image de l’enfance qu’évoquent les poèmes, avec des mots simples, presque transparents à force de netteté, faisant apparaître nettement la silhouette de ces objets d’autrefois – juke-box, bicyclette... - autant d’éléments revus avec la distance amusée de l’adulte, re-créant cette «  ile qui n’existe pas»,  et dont l’absence, plus réelle que bien des constructions -  l’autrice n’écrit-elle pas qu’elle existe bien pour elle ? - permet aussi au lecteur, embarqué par ce jeu, d’entamer lui aussi un voyage vers le passé et son imaginaire.

 

Il mio
è stato il tempo
dei jukebox
non auricolari
ad isolare dal mondo
ma musica condivisa
ognuno ad aspettare
l’altrui scelta
a volte a riascoltare
lo stesso brano
e quando sulla spiaggia
si correva allo stabilimento
con gli spiccioli
per un gelato e una canzone
calzavo gli zoccoli
per isolarmi dalla scossa
che pizzicava le dita
nell’introdurre una moneta
e così gli altri
mi porgevano
monete e desiderio
ed io
a manovrar
la melodia.

 

 

Mon époque,
c'était celle
du jukebox
pas des écouteurs
qui t'isolent du monde
mais la musique partagée
chacun en train d'attendre
le choix de l'autre
parfois réécoutant
le même morceau
et quand sur la plage
on courait vers le bar
avec la monnaie
pour une glace ou une chanson
j'enfilais les socques
pour m'isoler de la secousse
qui piquait les doigts
en introduisant une pièce
et comme ça les autres
me passaient
monnaie et désirs
et moi
je dirigeais
la mélodie

Ballando sul mondo ©Alma Saporito

 

*

Le ho amate
tutte
le mie biciclette

fino all’ultima ruggine
al pedale staccato
al fanale bruciato


le tengo riposte
tra molti ricordi e polvere
nei loro colori assortiti

la grigia
mi condusse in campagna
d’estate
con pedalata veloce e sicura

la nera
nella pioggia e nel freddo
di mattine
dal duro risveglio

la rossa
ancora cammina
cigolando e arrancando
scheletro stanco.

 

 

Je les ai aimées
toutes
mes bicyclettes

jusqu'à la rouille ultime
la pédale détachée
le phare grillé

je les garde rangées
parmi souvenirs et poussière
dans leurs couleurs assorties

la grise
qui me conduisit à la campagne
l'été
par pédalées véloces et sûres

la noire
dans la pluie et le froid
du matin
au dur réveil

la rouge
fonctionne encore
grinçant et se traînant
squelette fourbu.

 

*

©Alma Saporito

Tutto era gioco

la fantasia trasforma
l’assoluto di un oggetto

un lenzuolo
steso tra due sedie
diventava un inespugnabile rifugio

la casa prendeva un solo colore
vista attraverso la carta di una caramella

le frasi dei cioccolatini
venivano lette
come profezie di un oracolo
e il foglietto poi
riposto in un cassetto.

 

Tout était jeu

la fantaisie transforme
l'absolu d'un objet

un drap
entre deux chaises
devenait un refuge imprenable

la maison prenait une seule couleur
vue à travers l'emballage d'un caramel

les phrases des papillotes
étaient lues
comme les prophéties d'un oracle
et la feuille ensuite
rangée dans un tiroir.

 

 

*

 

Grembiule bianco
e fiocco rosa
indossavo ai tempi della scuola
e calze colorate di filanca

a voce alta
in piedi
si salutava la maestra

a turno si usciva nel cortile
accompagnati dal bidello
per scuotere dai cancellini
la polvere del gesso

nell’intervallo
si consumava la merenda
e giochi coi compagni

non c’erano paure
a volte per errore dicevamo – mamma –
e neppure interferenze di adulti
ad impedire che la cultura nutra la mente.

 

 

 

Tablier blanc
et ruban rose
c'est ce que je portais pour l'école
et des chaussettes en lycra de couleur

à haute voix
debout
on saluait la maîtresse

à tour de rôle on sortait dans la cour
accompagnés du concierge
pour secouer de la brosse
la poudre de craie

pendant la récréation
on partageait le goûter
et les jeux avec les camarades

on n'avait pas peur
parfois par erreur on disait – maman -
et aucune intervention des adultes
pour empêcher que la culture nourrisse l'esprit.

 

Hands ©Alma Saporito

 

*

Il tuo costume
era da Zorro
ed io vestita da fatina

compresi nel ruolo
quasi non sorridiamo
nella fotografia

lo sfondo
l’armadio guardaroba

con il legno rigato
dai freni del triciclo

pronti ad ospitare
le altre mascherine

a spargere coriandoli
per la casa

che riapparivano improvvisi
dai battiscopa
nel cuore dell’estate.

 

 

Tu avais un costume
de Zorro
et moi celui de fée

pris dans notre rôle
on ne souriait presque pas
sur la photo

au fond
l'armoire garde-robe

au bois rayé
par les freins du tricycle

prête à abriter
les autres costumes

à répandre des confettis
dans la maison

quand ils réapparaissaient soudain
sous les coups de balai
en plein été.

 

 

 

*

 

L’isola che non c’è
per me c’era


una strada
la chiesa
il bar

la casa
sola tra i prati
non imponeva silenzio

le ampie stanze
si riempivano di incontenibili risate

all’aperto
correvamo inseguendoci tra gli urli
perché i fiori
non temono il vocio
fino al canale
per immergere i piedi

nessun rumore invece
quando in autunno
davanti all’incanto del camino
ascoltavamo
i racconti della guerra

quando il solaio
celava nascondigli
nei suoi muri

da abbandonare
solo all’allontanarsi dei soldati

l’isola che non c’è
per me ha un nome.

 

 

L'île qui n'existe pas
existait pour moi

une rue
l'église
le bar

la maison
seule au milieu des près
n'imposait pas le silence

les vastes pièces
s'emplissaient de rires irrépressibles

dehors
on se poursuivait en courant et hurlant
parce que les fleurs
ne craignent pas les cris
jusqu'au canal
pour y tremper les pieds.

aucun bruit au contraire
quand en automne
devant l'enchantement de la cheminée
on écoutait
les récits de la guerre

quand le grenier
recelait des cachettes
dans ses murs

à ne quitter
qu'après le départ des soldats

l'île qui n'existe pas
pour moi a un nom.

 

 

©Alma Saporito

textes extraits de Il tempo dei jukebox, Epika Edizioni

Présentation de l’auteur

Alma Saporito

Alma Saporito (Parma, 23 settembre 1964)


Sin dall’infanzia calca le orme del nonno paterno scrivendo le prime poesie; passione mai abbandonata.

Sue poesie sono pubblicate in alcune antologie .

Nel 2011 pubblica la raccolta Orfeo ubbidiente, con Il mio libro.

Nel 2014 pubblica H-Acca con Ibiskos Ulivieri.

Nel 2016 pubblica Lennox, 30 poesie per animali con Epika Edizioni.

Nel 2017 pubblica Il tempo dei jukebok con Epika Edizioni.

Nel 2018 pubblica Emma // Screensaver, parole per il teatro con Epika Edizioni.

Pur non tralasciando l’attività poetica, si dedica anche alla stesura di testi teatrali ove ottiene riconoscimenti nel 2007 con “Emma” e nel 2008 con “Screensaver” entrambi  premiati dal Centro Studi Pier Paolo Pasolini – Teatro Farà Nume di Roma, sempre nel 2008 “Nessuna Scelta” appare nella  Antologia di Microdrammaturgia  M’hai detto – Mai detto (ed. Canalini e Santoni).

Nel 2012 espone Futurilio, mostra di suoi collages, presso la galleria L&H di Parma, nel 2014 L’Alfabeto delle Donne, presso palazzetto Eucherio Sanvitale di Parma; Corpo e Mente, collettiva presso Grand Hotel de la Ville, Parma, nel 2015 Secret Venice, collettiva presso Ca’ Zanardi, Venezia, nel 2016 collettiva Tutto in una notte a Viadana; Woman’s Idea, Caffè del Prato, Parma; Spiriti Liberi, collettiva presso Ca’ Zanardi, Venezia.

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