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François Rannou, Camera oscura

Camera oscura

 

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les rayures du

matin sur

ton visage tracent une

grille pour tes rêves presque

enfuis déjà

         alors que tes

paupières battent com

me des papillons à

la fenêtre

 

                  ton père s’éloigne à

                  l’ombre le volcan derrière

                  lui

                       toi « les pieds dans l’herbe

                        du jardin » tu cours

                        vive, vers lui

 

mais le jour neuf réveille

le feu de tes cheveux tes

lèvres s’ouvrent même si tu fermes

encore les yeux

mes pas sur la mosaïque

rejoignent tes balbutiements ce matin

 

j’écarte les persiennes

 

 

2

 

cette femme dont les

yeux seuls

sont visibles pose le

fleuve contre sa

tempe pour

la première fois 

 

ces mots repris

dans sa mémoire « la

luxuriance du jardin, du

sycomore et de la source à

l’entrée d’Héliopolis »

apparaissent sur

le mur

 

l’eau jusqu’au

trait d’angle

             les rues

seraient des étoffes noyées

où se rayent nos

mains tes fesses len

tement glissent

 

à hauteur des lampes

 

 

3

 

allongée sur le

lit visage mouillé tes

cheveux striés par

le store

 

je traverse les photos

         passées d’un

vieux livre tandis qu’en

         bas dans

le jardin sans herbe  ton carnet

 

de rêves tombé un

         enfant

énerve son chien lui

         jette

son ballon en criant près

 

des doigts

relâchés

je te

rejoins

mot à

mot

 

 

 

4

 

aux yeux de John Maynard Keynes l’accumulation de l’argent

pour l’argent, l’obsession du taux d’intérêt relèvent d’une

attitude morbide dont rien de valable ne

peut émerger. Il appelait de ses vœux un FM

I dont la monnaie supérieure serait le bancor

indexé sur le cours de l’or et distribué aux

états en fonction des puissances éco

nomiques respectives. Il était soucieux

de redistribuer des richesses aux

plus pauvres — pour soutenir la

consommation tout en en contenant

les tentations spéculatives

car une fois que les flux é

conomiques seraient

bien maîtrisés il pen

sait que nous n’aurions

plus qu’à nous consa

crer à la beau

té et puis

à l’a

mo

ur

 

 

 

5

 

de derrière les yeux

tout nous aurait traversés

avant même ces

histoires dont on

connaît tous

les débuts : reprises

reliées, défaites, ornées

brodées, ensorcelées qui

 

croire ? d’une langue

à l’autre du globe tu casses

le son dur des amants qui

s’ignorent

 

           n’aurions que

ces images pour

dérober nos lèvres

aux bribes trop claires

ton visage nos adn

disparus dans la poussière

 

crépitent copeaux

 

 

Présentation de l’auteur

François Rannou

François Rannou a commencé à publier au début des années 90.

Gérard Noiret, dans un article de La Quinzaine littéraire, présente ainsi son travail : « Loin de se ranger parmi les adeptes du  retour au calme ou de s’engouffrer dans le postmodernisme, il revendique une modernité où les œuvres de Ponge, Du Bouchet, Celan continuent d’être agissantes ».

François Dominique remarque et loue son « indépendance d’esprit assez rare, bizarrement, dans la poésie française ; il allie avec élégance un lyrisme très personnel, un sens graphique qui rappelle à la fois Cummings et Seuphor mais sans trafic d’influence, libre de tout, épanoui. »

Il dirige actuellement la revue Babel heureuse (éditions Gwen Catala).

© Crédits photos (supprimer si inutile)