Jacques Cauda, Poèmes

Je lève les yeux

Sous la terre

J’ai du goût pour la lumière 

Les mains pâles

Que des choses : des phénomènes

Je lève les yeux : je n’aime pas me voir autrement

Que par petits morceaux de flammes

Brouille aux formes elles

Courent parmi nous

Sur la peau (c’est comme des âmes sur le papier)

Telle la prairie pour l’ardeur

Le feu fol pour l’ardeur

Enfant déjà des moments

Aux influences

Je me reconnais de cet œil

Sans bords

C’est le point de vue du Purgatoire 

Brillant de mille feux follets

Je marche sur le pré

J’ai tendu l’étant

La journée est finie

Ah Dieu que la guerre est jolie…

Je me promenais d’après une estampe
Du Corrège il s’agissait d’une
Allégorie de la Vertu je traversais
La vie les champs la ronce et les
Muriers noirs c’était ma condition
Sinon la guerre avait pris langue
Dans l’angoisse me disais-je en
Paressant dans l’herbe la tête
Empourprée de soleil rouge
Bien sûr l’allégorie représentait
Trois femmes la Guerre la Paix et
La Troisième pavoisant de bleu et
Jaune vêtue ne me disait rien pourquoi ?
J’avais emporté avec moi un livre
Au titre éloquent Héroïsme et victimisation
Qui commençait par les mots suivants
L’honnête homme maître de ses pulsions
Lorsque je vis un tas de bruyère
Il faisait chaud j’allais m’abriter sous
Un arbousier épineux aux côtés d’alisiers
Frais tout autour de moi les insectes
Rayonnaient dans l’air en nourrissant
Ma solitude ardente blottie dans l’ombre
Où brûlait l’image de la vertu sans doute
Étais-je le seul homme honnête capable
De comprendre la dessiccation du temps
Que rien ne venait assombrir ni les fraîches
Couleurs des fruits rouge orangé qui
Bruissaient sur mon être ni leur
Sourire de chair qui me laissa bouche bée
Ce matin-là comme un matin cocagne !

Je sentais mon œil en alerte
Maçonner la vie en rouge musculaire
Je me parlais à voix haute comme
Rempli d’espoir ah boire mon esprit
Qui se présentait dans l’ordre d’un
Discours que je pris soin de moduler
Cézanne ! La Montagne… Mais
L’herbe était si haute et
Si durs les cris d’oiseaux qu’ils m’em-
Pêchaient tout je restais dans l’herbe
Assis hébété malade de moi-même
Tandis que quelque chose une
Menace ? courait sur
La toile telle una persona rendue à
Aux démons à la Guerre jaune
Et bleu qui
Serpentait à mes pieds

Je rêvais un instant
Pour voir revoir peut-être
Ce subtil mélange indigo jaune et noir
Du même tonneau que la Diane et ses Compagnes
Vermeer de Delft n’est-ce pas
Chaste Diane trop vêtue à mes yeux
Qui l’habillaient d’une peau rose
Désemparée …

Je me réveillais nourri par une expression
Retrouvée (dans les Saintes Écritures) :
Paulo minus ab angelis
« Un peu en dessous du niveau des anges »
Chimère ! Qu’avais-je à faire
Avec le dessous des anges ?! J’étais allongé
Dans l’herbe à la dixième heure du
Jour avec l’arbousier comme couvre-chef
Fait d’épines et de fruits rouges
La lumière montrait la voie droite
Avec ce phrasé qui lui était propre
Et qui dénotait
Une calme assurance comme une
Pure splendeur
Dès lors qu’elle et Diane
S’équivalaient 

En tournant la tête posée dans
Le confort de mes cheveux qui ondoyaient
Dans le vert j’aperçus un ensemble de
Roches fessues mais longues Des roches
Bleu délavé dilué à la manière du Greco
Qui dans un curieux rapprochement
Comme mimétique
Firent de moi un être- étirement
Au gré progressif du plaisir que j’avais à
Me deviner dans la pierre
Des notes d’or tombées du soleil
Flottaient tout autour de moi
Nimbant mon Image je vis alors que
J’avais le doigt de la main droite levé
Le seul combat que nous puissions livrer
Est celui de la parole, disait-il
La main gauche tombante semblait défaite
Elle n’attendait plus rien Mes épaules
Saillaient en somme j’étais nu telle une
Âme enivrée & martyre
Du massacre jaune et bleu si joli…

CHAOS                                                                                    

Il y a des jours
Quand Chaos guerroie pour tous
Aux prix attribués
L’accourcissement des nuits
Pour garder sans vous écarter

Vous ne jugerez point car vous
L’avez fait
Vous vous collerez au
Déclin du soleil quand
Il sera

Tous vos efforts
Pour dire à la frontière
De peur des ossements
Alerte
Avec dix mille hommes

Et c’est après quoi
S’il y a une sortie
Dans la cour extérieure
La haine montera sur vous
Il sera

Souvenez-vous
Par le charbon et l’anthracnose
Sur le bois écrit
CHAOS
Et vivez vous

Il foule les tertres
Son nom vertical
Archi-tombal
Sans le jardin multiple
Cette charge de malheur

Prenez et mangez
Les faces de la terre
Les mains à l’œil au soleil
Faites étinceler la razzia contre le rude
Triomphe comme un feu

Exilé de sa glèbe
Si c’est en ce jour
Le voici non par la soif d’eau
Mais avec persistance
L’étain pris aux entrailles

Agrandir vos bouches
Prenez & mangez
Car le mal descend
Quand il faut saisir
Le vin pour qui va droit

Ô bovins suspendus
Machines maisons encloses
L’en-tête de la faute ici
Parmi vous
Ce ne sera plus le repos

Le jour de détruire
À jamais sa narine dans
Le passé sans parenthèse
De la mer à la mer
Depuis là

Le souffle vous l’avez entendu
Monté sur un âne
Il sera
En vos cœurs aux quatre coins
Comme le messager

Reste liquide long et délié
Prenez et buvez
La cape de bave près de la félonie
Gloire à son nom
Réponse/cendres

Longueur de narines
La mangeoire est pleine
Ceci est
Comme neige en été pluie à la moisson
Vous claudiquez langues médisantes

Encore des exemples
Le sort de votre maison
D’une terre lointaine
À l’angle d’un toit
Prismes

Rumeurs qui consacrent le carnage
Miel & entête des douleurs
Avalez et voyez
Ainsi soit-Il

Présentation de l’auteur

Jacques Cauda

Philosophie à la Sorbonne et cinéma au C.L.C.F., Cauda travaille pendant dix ans pour la télévision, il y réalise des documentaires aux titres évocateurs comme de Bœuf en bif, un film sur les abattoirs digne des meilleurs tableaux de Francis Bacon ; ou bien Se souvenir dix secondes ou toute sa vie, dont il a tout oublié… Il arrête le filmage pour peindrécrire tout son soûl. Près de cinquante bouquins : poésie, prix Joseph Delteil et de l’Institut Académique de Paris ; nouvelle, prix de la ville du Pecq ; roman, essai, correspondance, livre d’artiste… Et autant, sinon davantage, de livres qu’il illustre, dont le Purgatoire de Dante aux éditions Ardavena. Il est Toile d’or en 2010. Il obtient plusieurs Awards d'honneur à la Park Art Fair International (Genève) en 2011, 2012, 2015, 2016, et, en 2012, le Grand Prix de la Biennale d'Art Contemporain à Orléans. Ses œuvres sont conservées au Kattenkabinet (Amsterdam), au Musée d’Art Spontané (Bruxelles) à la Maison de Balzac (Paris) et à la Maison de Verlaine (Metz). Ses portraits sont entrés dans les collections du collectif Nuage Vert. Plusieurs biographies et essais lui sont consacrés dont le dernier en date, Dante, Sade, Rimbaud, Cauda (janvier 2025 aux Éditions Universitaires Européennes) est signé Paul Basso, professeur de lettres à la faculté de Lille. L’ouvrage paraît simultanément en plusieurs langues, français, anglais, espagnol, allemand, portugais, polonais, italien. Il est également président du prix littéraire Jacques Abeille/Léo Barthe, et dirige la collection de littérature (roman, nouvelle) La Bleu-Turquin, la collection Cour & Jardin (théâtre), et la collection Résonances(essai) chez Douro/Hachette.

Bibliographie 

  • Vers un effort visible, poésie, L'Échappée, 2002
  • Toute la lumière sur la figure, essai, Éditions Ex Aequo, 2009
  • Vox imago, roman, m@nuscrits Léo Scheer, 2009 et éditions Praelego, 2010
  • Lou, nouvelle, premier prix de la ville du Pecq, 2011
  • Je est un peintre, poèmes, Jacques Flament Éditions, 2012
  • Le bonheur du mal, poèmes, Kirographaires, 2012
  • Point de dimanche, nouvelle, Jacques Flament Éditions, 2013
  • Tous pour un, roman, Numériklivres, 2013
  • Amor', poèmes, La Matière noire, 2014
  • Le Bunker No 4, témoignage esthétique, Jacques Flament Éditions, 2015
  • Le Déjeuner sur elle, texte, éditions la Belle Époque, 2015
  • Les jouets rouges, poèmes, éditions Contre-Ciel, 2016[11]
  • Quand? Chant du Z, chanson de geste, Z4 Éditions, 2016[12]
  • Elle & Nous, poèmes & illustrations, éditions Flammes Vives, 2016
  • Comilédie, roman, éditions Tinbad, 2017[13],[14],[15],[16]
  • Ici le temps va à pied, poésie, prix spécial du jury Joseph Delteil, éditions Souffles, 2017
  • Les Caliguliennes, récit, avec des photos de Élizabeth Prouvost, Les Crocs Électriques, 2017[17],[18]
  • ORK, roman, éditions La P'tite Hélène, 2017[19]
  • OObèse, roman illustré, Z4 Éditions, 2017[20],[21]
  • L'amour la jeunesse la peinture, nouvelle, éditions Lamiroy, 2018[22]
  • P.A.L., récit, avec des photos de Alexandre Woelffel, Les Crocs Électriques, 2018[23],[24]
  • Vita Nova, récits, éditions Unicité, 2018[25]
  • La vie scandaleuse du peintre Jacques Cauda, roman graphique, Les Crocs Électriques, 2018[26],[27]
  • LA TE LI ER, essai, coll. « La diagonale de l'écrivain », Z4 Éditions, 2018[28]
  • Les Berthes, poèmes, coll. « Les 4 saisons », Z4 Éditions, 2018
  • Peindre, poèmes, avec une postface de Murielle Compère-Demarcy, Atelier Cauda, Clap, éditions Tarmac, 2018
  • Le Trou, nouvelle, avec deux illustrations, éditions Furtives, 2018
  • Mosca Moncul, petite histoire de l'art, avec deux illustrations, éditions Furtives, 2019
  • Les cinq morts de Paul Michel, nouvelle, collection Opuscules, éditions Lamiroy, 2019
  • AniMots, poèmes illustrés, Hors Série no 2 des éditions Chats de Mars, 2019
  • Sale trine, poème, avec une illustration, éditions Furtives, 2019
  • Profession de foi, récit, éditions Tinbad, 2019
  • Moby Dark, roman, éditions L'Âne qui Butine, 2020
  • Pigalle, nouvelle, éditions Les Cosaques des Frontières , 2020
  • Rue des Pyrénées, nouvelle, collection Crépuscule, éditions Lamiroy, 2020
  • Fête la mort, roman, éditions Sans Crispation, 2020
  • Jacqueries, correspondance avec Marie-Philippe Deloche, éditions Associations Libres , 2020
  • Da Capo al Coda, Fait divers, éditions L'Âne qui Butine, 2020
  • Gros Mickey, nouvelle, avec trois illustrations, éditions Furtives, 2021
  • Jésus kill Juliette Éloïse, journal, La diagonale de l'écrivain, Éditions Douro, 2021
  • Caméra Greco, essai, Marest éditeur, 2021
  • Paris rat le dernier aura, nouvelle, éditions Les Cosaques des Frontières , 2022
  • Les Inédits de Rimbaud, c'est nous , essai collectif, douze illustrations, couverture et texte intitulé "Rimbaud moi communard", La Bleu-Turquin/Douro éditions, 2022
  • Ah idée, texte, éditions Les Cosaques des Frontières , 2023
  • Chet & Gerry, texte illustré, éditions Les Cosaques des Frontières , 2023
  • Mégaligraphies, poèmes illustrés, Douro/Présence d'écritures , 2023
  • Florbelle, roman illustré, éditions Tinbad , 2023
  • Pronostic vital engagé, roman, éditions Sans Crispation, 2024
  • À sauts et à gambades, avec Philippe Pichon, essai, éditions Ardavena, 2024
  • L'Invisible ou agrandir le trou pour ne pas en sortir, essai , Résonances/Douro , 2024

Livres d'artiste

  • J'azz, poèmes avec trois illustrations, éditions Dumerchez, 2018
  • De l'Allemagne, Le nez dans la chatte, avec Christophe Esnault, Le Livre Pauvre, 2018
  • De l'Allemagne, Nietzsche ,avec Éric Dubois Le Livre Pauvre, 2018
  • De l'Allemagne, Cochers, avec Angèle Casanova, Le Livre Pauvre, 2018
  • La Grosse et les Cabots, apostilles avec une couverture et une mise en page de Danielle Berthet, collection Apostilles dirigée par Danielle Berthet, 2019
  • Le Pantalon ivre, roman graphique, éditions Qazaq, 2021
  • Carcasses, poèmes, textes, dessins, peintures, Collectif avec Marie-Philippe Deloche, Elizabeth Prouvost, Jean-Paul Gavard-Perret et Vanda Spengler, éditions Associations Libres, 2021
  • Le Jet d'oeil au beurre rouge, apostilles avec une couverture et une mise en page de Danielle Berthet, collection Apostilles dirigée par Danielle Berthet, 2021
  • L'eau et les rêves, avec Angèle Casanova, Le Livre Pauvre, 2022
  • Kiss me quick, Hommage à Mireille Boileau, collection Quelqu'une, éditions du Carnet d'Or, 2022
  • Nemo, avec Gregory Rateau, RAZ éditions « coll POV », 2022
  • La Crevie, avec Philémon Le Guyader, RAZ éditions « coll POV », 2022
  • L'amour nombreux, TheBookEdition, 2023
  • Le Vivier-sur-Mer, collection Quelque part, éditions du Carnet d'Or, 2023
  • Le Purgatoire, Dante traduit par Emmanuel Tugny, éditions Ardavena, 2024
  • Ah les fées !, collection Rara libris, éditions Bernard Dumerchez, 2024
  • Mathilde en espiègleries, avec Jean-Louis Hess, préface Christophe Bier, Ponte Vecchio éditions, 2024
  • Étant donnée, sur une proposition de Marcel Duchamp, ouXpo & Ponte Vecchio éditions, 2025

Préfaces et Postfaces

  • Janick Poncin ou le recommencement, Introduction à l'œuvre de Janick Poncin, Carnets d'Artistes, Jacques Flament Éditions, 2015
  • L'évangile bleuNuit, Voyage au bout du bleu, chant de Christian Edziré Déquesnes, Z4 Éditions, 2019
  • Terre Creuse, récit de Angèle Casanova, Postface et illustrations, Z4 éditions , 2020
  • Hans Bellmer, de Joseph Nosarzewski, Postface co-signée avec Étienne Ruhaud, La Bleu-Turquin/Douro , 2023
  • L'image de soi, de Olivia-Jeannne Cohen, Préface, Résonances/Douro , 2024
  • Paraboles sur le coeur, de Iren Mihaylova, Préface, Poésie.io , 2024
  • L'Art en bar, de Philippe Bouret, Préface, Tarmac, 2024

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Quelle légèreté (pourquoi pas) inventer à la mort -ce boulet chevillé à nos corps périssables-, bravant l’idée d’une éternité post-mortem, franchi le sas d’un purgatoire inutile ? (comment pourrions-nous confesser nos éclats obscurs, nous [...]




Jacques CAUDA, Fête la mort !

Quelle légèreté (pourquoi pas) inventer à la mort -ce boulet chevillé à nos corps périssables-, bravant l’idée d’une éternité post-mortem, franchi le sas d’un purgatoire inutile ? (comment pourrions-nous confesser nos éclats obscurs, nous pauvres barboteurs peu aptes à nous connaître nous-mêmes et, dans quel intérêt ?).

Fête la mort ! déjoue avec jubilation l’idée « théseuse » que l’on veut bien nous faire, à nous communs des mortels, d’une vie dont le postulat serait un memento mori tragique ; la déjoue pour nous rejouer la mort comme une fin de partie festive. Cauda ne nous emmène pas ici au Mexique ni au sud-ouest des États-Unis pour une Día de los Muertos (Fête des Morts) ni ne nous invite à courir l’Halloween, mais tous saints et diables(ses) confondus (nettoyés de leurs oripeaux culturels) nous plonge « sans crispation » dans une contrée où la vacuité (et non la vanité) de notre vie terrestre fête la mort et (se) la fait. À l’instar de Petit Muscle ami d’enfance du Gilles (de Watteau, auquel l’adolescent narrateur se plaît à ressembler dans son accoutrement vestimentaire), lors de célébrations masturbatoires. Saucisson, Petit Muscle et le narrateur habitent la Cité (alors que « le monstre prenait forme ») et se donnent à cul joie pour transgresser les interdits de toutes sortes, brutes, « assassin(s) en devenir » ; pour défrayer la routine en révolutionnaires jusqu’au-boutistes non effrayés par les « pendus à la lanterne ». Fête la mort ! croque la vie : la mort, nue, « le cul bien ouvert », en célèbre les délices : les supplices (« divin supplice ! ») avec une jouissance transgressive promue comme un art de vivre (ou de mourir ! ).

Jacques CAUDA, Fête la mort !, éditions sans crispation en partenariat avec le magazine Litzic ; 2020, 144 p., 14€.

La blancheur immaculée du drôle de Gilles (Cauda ? ) injecte son venin dans toutes les ouvertures du monde en pinçant les cœurs pour tenter d’en extraire le jus (de viande) et l’agonisante extase fiévreuse.

D’une plume assumant la perversité (à la G. Bataille ou Sadique) de ses délits livrés au Dire (maux dire), le narrateur fait son Jacques et décharge avec son humour coruscant le venin débordant de Cauda, en brouillant les pistes du « grand tapis de la vie », déroulant simultanément celui de la mort sous ses propres pas de course narratifs amorcés demain, relayés hier : « Ce fut une journée merveilleuse que je ne raconterais pas aujourd’hui. Non. Je la raconterais hier, avant-hier même (…) ».

Fête la mort ! « mécrit » d’entrée une journée particulière « comme si elle avait lieu la veille » : celle où le trio dévoyé pose ses bombes « chez une jolie russe prénommée Sonia », à la Noël 1972. Une journée particulière où la fête chez Sonia devient une fête (de/pour) la mort, « immonde et magnifique ». Le lecteur retrouve le sublime caudesque. La fusion des extrêmes ouvre la brèche des ténèbres et de l’extase, Cauda pratiquant ce rituel expiatoire et infernal comme il trucide de ses pastels gras ou de son outil la blancheur d’une réalité en perpétuelle recréation, qu’il Sur-figure, chevauche et éclaire d’un jour nouveau en y injectant « par simultanéité d’actions » « les meilleures peintures d’histoires » (Nicolas Poussin, Brueghel, Le Brun, Renoir, Vermeer, Goya, … passent sur cette toile scripturale, table de travail du « Peindrécrire »). Sur la table de crucifixion Cauda peint/écrit croque ses histoires ses personnages la vie la mort « pris sur le vif », évidés de leurs viscères… Provoquant antipathie ou sympathie, Fête la mort !  agit comme l’œuvre caudesque telle la ronce sur la morsure des vipères, telle la mort sur les morsures de la vie. Elle darde, décharge son venin, âmes sensibles faire face !

 

Lorsqu’on fait un portrait, et a fortiori le sien propre, il y a trois manières
de poser un visage : ou de face, ou de trois-quarts, ou de profil. De face,
le portrait regarde son semblable, c’est-à-dire la mort droit dans les yeux.
De  trois-quarts,  il  regarde  Dieu,   l’éternité,  l’infini.  Et de  profil,  sa
postérité,  comme  Érasme peint par Holbein regarde  son acte d’écrire
 .

 

Via ses 10 récits ― celui du trio Petit Muscle-Saucisson-le narrateur ; celui de Paul -mise en abyme du geste créatif (« la porte n’étant jamais complètement fermée, c’était pour moi une invitation » comme le Paul ou les oiseaux d’Artaud ou Le chef-d’œuvre inconnu de Balzac) ; celui du cru bouillon de l’enfance mettant en scène Simone/Pierrette et Mèrepute-Crevette-Salope et où les survivants sont « destinés à peupler l’âme » du narrateur (« J’étais contraint à assister à leur horrible souffrance menée longuement jusqu’à leur mort »), … autant d’histoires que de personnages dégoulinant les uns sur les autres, voyous, « filles sans être », … ―  Fête la mort ! constitue une Ovation créatrice faite à la mort : à la vie. « Sois ta propre ovation ! Ordonne-toi et frappe ! », lit-on page 42. Cauda frappe dans la grande lessiveuse du Vivre, insatiable. Métamorphique. Effroyable. Passage réversible du « rêve apollinien » à « l’émotion dionysiaque ». Orgiaque. Surfiguratif !

 

 




Jacques CAUDA, Les Berthes

 À propos de lecture poétique certaine – celle qui consiste à s’emparer du recueil d'un autre,  et non pour son auteur, à réciter le sien –, il y aurait ce critère : ce qu'il en reste après.   J’entends par là une mémoire vive de cette lecture, son empreinte insistante et ressentie, sa représentation dynamique et imagée, sa relance idéelle, toutes marques maintenant comme incrustées, contrastant – par leur  nouveauté ou leur  caractère d’inouï – avec ce qui est su, entendu ou  vu déjà, imposant une sorte d’« ailleurs », de déplacement, de dépaysement qui fascine, résiste ou se partage.

Jacques CAUDA, Les Berthes,  90 p, Z4 Editions, Paris, 2018

 Il faut bien sûr que ce dont on  parle ici s'impose par une présence identifiée ou les signes promus à sa suite – figures, visions, enchaînements, pensées inédites ou de flamme. Le même effet serait absent si ne persistait au-delà de la « forme » – car celle d’un genre littéraire ne suffirait pas – un  improbable dans la langue, un traitement d’elle capable d’une  pénétration  – celle qui fait parvenir, rejoindre, accéder – avec ou sans la dite Beauté – à un cela même en nous et comme à notre insu. Là  serait  l’essence à saisir et retenir des vrais poèmes, œuvres avant tout de l’esprit. Hegel le pensait, qui plaçait la poésie au faîte des réalisations de l’Art, pour la raison de ses pouvoirs intimes.

Ce recueil de Jacques Cauda, approcherait d'une telle gageure. On sortirait de là, désorienté, surpris, mal à l'aise et comme à la fin, soulagé de l'épreuve, d’une compagnie pesante, désespérée, inavouable et mystérieuse, à force d’une idiosyncrasie codée, de provocations nostalgiques, d'objurgation à des présences ou des ombres, de défis déjà perdus contre le réel, la destinée, le temps et la Mort. Quatre parties composent l’ensemble, allant de lieux investis, souvenus, à ceux de personnes présentées comme chères ou moins. On y trouvera  des strophes brèves ressemblant à des haïkus, de plus longues en forme d’élégies, mais on ne sortira pas indemnes– comme dans notre hypothèse – de la troisième, intitulée : Supplément d'âmes....

Il s'agit alors de la mort, parfaitement interpellée, visitée, scrutée, fouillée en terre ou déterrée, avec ses hôtes grouillants ou volatils qui lui tiennent compagnie, ne l'acceptent pas, s'en repaissent, la décomposent. Le corps, lui, toujours là, offert et consommé, n'en peut mais et d’une main décharnée, vous agrippe.  Serait-il alors ré-invité par le peintre, qui aurait renoncé bien sûr aux anges, et pour conclure, convoquerait à  cette noce des fins, son modèle nu, prétexte à un autre abandonné, terrifié, jouissant, empli de questions muettes ?  Loin de Dante qui juge, dialogue avec eux ou apostrophe les morts,  d'un Baudelaire qui imagine la camarde et ne s'en remet, Cauda avance en elle, toute en chair, os et vermine. Du lieu du verbe crucifié à une renaissance, de la toile au supplice de sa couleur, de l'obscène ameuté à sa représentation prise à témoin !

 

                                  Va près des faces
                                     Frémir d’un grand frémissement
                                       Quand la mer se regarde va…

 

Comment alors – vivant encore – sortir sauf du voyage ? Le poète gagnerait une place à ce critère de la lecture troublante qui dérange et voudrait – dans le même temps – faire voir le jamais vu, l’in-entendu ou le laissé jusque là, pour compte. Avant que l’œil – prédateur à sa manière, la main qui trace – ou se saisit des mots, n’essayent ici de faire « rendre l’âme » à l’âme. Une si belle expression.