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Louis Raoul, Refermer le souffle

Maintenant tu es partie
En emportant tous tes chemins
Nous ne savons plus
Le lieu de ta voix
Le lieu de ton ombre
Quand elle retombait en enfance
Au soleil de midi 
Il ne nous reste plus
Que ces longues nuits d’hiver
Avec leurs arbres sans paupières
Qui les empêchent de rêver
A tes oiseaux. 

∗∗∗

As-tu bien refermé le souffle
Derrière toi
Une poitrine se soulève encore
Et fait respirer la lumière
Dans le sens inverse de vivre
Des nageurs passent
Dans tes yeux
Ils vont vers l’iris d’une île
Qui porte toutes les couleurs du naufrage
As-tu bien légué
Les voiles de tes voyages
A la mémoire du vent
Maintenant
Il ne reste plus que ton nom
Ecrit sur la porte des jours
Et l’infinie patience
De qui viendra y frapper.

∗∗∗

Que pourrais-tu être
Maintenant
Sinon ce nuage arrêté devant la vitre
Ce poisson de pluie
Au fond de la transparence
Je te regarde
Essayer des oiseaux de passage
Il te faudra faire vite
Avant ce grand corbeau sans lune
Qui ne connaitra jamais ton ombre. 

∗∗∗

Que voulais tu dire
Quand ta bouche s’est ouverte
Juste avant l’immobilité du cœur 
Ton souffle
N’a même pas cherché
Cette petite voile
Qui te faisait marin
Dans la traversée des jours
Ta souffrance s’est perdue avec ta voix
Dans les plis de l’air qui avait froid
Tout soleil
Reste à réinventer.   

∗∗∗

Ce qui manque ici
C’est le froid d’une saison
Le marbre d’un décembre
Avec un nom dessus
Et qui n’en finirait plus
De geler tous ses soleils
Mais il y a juste
La légèreté de tes cendres
Sur l’herbe du jardin
En attente d’une pluie
Qui te fera hôte de la terre.   

Jardin du souvenir
Cimetière du Père Lachaise      

  

Présentation de l’auteur

Louis Raoul

Louis Raoul est né en 1953 à Paris où il réside toujours. Il a publié à ce jour de nombreux recueils dont : Démantèlement du jour (éditions Eclats d’encre), Les beaux suivants (éditions de l’Atlantique), En attendant les murs (éditions La Renverse), Pailles de pluie (éditions Alcyone) ainsi qu’un livre d’artiste en collaboration avec le peintre Guévork Aivazian (éditions Aivazian). Et a collaboré à diverses revues et anthologies.

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À vendre, chaussures bébé, jamais portées.

                                                                                                                                                      Ernest Hemingway 

 

Paysage où l’été y passe le plus clair de son temps. Sur les chemins il n’y a que mes pas avec leur bruit qui me quitte et me revient sans cesse. Il y aura peut-être l’écho d’un passage plus en avant de ce que je pourrais voir. Des chaussures neuves et bavardes qui reviennent du marché. Puis la rencontre et la joie sur ton visage. Mais fugacité de l’instant, comme cet arbre que l’on abat et qui laisse la lumière reprendre possession du lieu. Des oiseaux passent, hésitant, il faudra se faire à l’absence d’un haut séjour.

Je me suis installé sur la hauteur, là où tant d’autres se sont assis. Et mon regard porte plus loin, comme relayé par ceux qui ne m’appartiennent pas, mais me rapprochent un peu plus de l’amande. Je t’imagine alors au plus haut d’un âge, avec ce parapluie un peu penché vers une ombre sur le chemin. Soulevé à chaque pas, un pan d’étoffe d’où le talon épie le suiveur. Tu portes un manteau de la terre aux joues, et tu marches jusqu’à l’automne. Pour une lumière à portée de sang, dans l’éclair roux d’un gibier de septembre. 

Il fait un été de plusieurs soleils, le lit asséché de la rivière dévoile l’âge de la terre, une terre si dure, que toute mise au jour est remise. Quelque part, les os d’un chasseur-cueilleur en attente de lumière. En attente aussi, l’ébauche de ton visage dans mes pensées. Je marche tout le long d’un jour immobile, l’absence me faisant cortège. J’attends l’orage pour qu’un chemin révèle tes traces, toi qui marches dans l’imaginable.   

Il y aurait eu peut-être, cette petite fièvre de printemps avec sur la table de chevet, le sirop qui fait dormir. Enfance bordée de nuages, tu aurais toussé des oiseaux. Il y aurait eu aussi ce versant d’une écharpe sur le dossier d’une chaise. Peinture d’une chambre de l’imaginable. Tu n’aurais pas pu voir par la fenêtre la montagne, comme un élan arrêté de la terre vers le ciel. Et la lune, comme un visage à l’aplomb de cette robe aux plis changeants, entre neige et ombre.

Présentation de l’auteur

Louis Raoul

Louis Raoul est né en 1953 à Paris où il réside toujours. Il a publié à ce jour de nombreux recueils dont : Démantèlement du jour (éditions Eclats d’encre), Les beaux suivants (éditions de l’Atlantique), En attendant les murs (éditions La Renverse), Pailles de pluie (éditions Alcyone) ainsi qu’un livre d’artiste en collaboration avec le peintre Guévork Aivazian (éditions Aivazian). Et a collaboré à diverses revues et anthologies.

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