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Pierre Warrant, Poèmes

1.

t’ont-ils confié ce qu’ils disaient entre eux

ils parlaient de choses
que tu ne pouvais comprendre
de chemins indécis
de clairières trop lointaines

ils recueillaient des signes sur la table
pour préserver l'aurore et le silence
en s'arrêtant sur une feuille
et tant de nuits penchées à la fenêtre

tu les voyais border le ciel de flammes et de pétales
ce n’était pas une parenthèse
rien de tout cela ne leur appartenait
leur travail était ici et faisait d’eux des hommes

sinon leurs yeux et leurs poitrines
que garderas-tu de tous ces noms
la cendre de la pluie ?
le poids d’une rose qui les vit naître ?

les mots d’une femme tombés de leur visage ?
une trouée une brûlure
le bruit des choses inquiètes
qui s’accomplissent et se prolongent ?

peut-être la mélancolie du vent
quand ils s’en vont un peu plus loin
blessés par la lumière
courbés en toi chassés d’eux-mêmes ?

 

2.

à l’autre bout de ton silence
je me mêlerai à l’eau de ton visage
au rire de ta présence

j’accrocherai des confidences
aux pierres posées sur ta patience
à tes joues fraîches comme l’enfance

j’écouterai la femme et le ruisseau
la bouche de nos aurores
l’ombre féconde de nos fatigues

ensemble

nous laverons nos mains dans la lumière
le vent léger dans les cheveux
l’ivresse ouverte à l’invisible

notre maison avec les fleurs
sera offerte aux heures passées
aux rêves d’éternité

aux jours à venir sous le feuillage
je t’écrirai un seul poème
pour approcher ce qu’il dira de toi

et les mots au repos
tomberont plus loin
entre chacun de nos espaces

 

3.

l’air vibre
tout chante tout respire
le silence a rejoint
le feuillage et le pré

la mémoire creuse l’horizon
le temps nous reconnaît
la fenêtre du regard
tremble près du chemin

il y a tant de sourires
dans le bleu de l’instant
tant d’écoute
tant de fleurs

on s’assied à la table
de la lumière
on lâche l’ancre
de nos îles

à recueillir le bruit
de l’eau dans la rivière
on pourrait presque
se blesser à ce qui passe

on ramasse
des bribes sur la rive
on moissonne
l’invisible de l’eau

on dénoue
les visages perdus
posés pieds nus
sur chaque pierre

où irons nous en solitude
quand le soleil
sera couché
sur notre joie ?

 

4.

la main est pluie
sur le corps des amants
offerte au feu de vivre
livrant le chant du monde

sur elle reposent
les chagrins de la terre
la pensée en mouvement
le désir du soleil dans les arbres

sur elle se glissent
les secrets de chaque voix
la beauté et les sons
aux clartés déchirantes

on la regarde
comme une louange
plongée
dans l'eau de la rivière

et on ne saurait dire
de la rivière ou de la main
laquelle s’en va
laquelle reste

pour nous offrir
la transparence
la lumière
et la mer.

 

5.

ils parleraient
dans l’élan indécis d'un matin
d’une soif sans remède
où l’âme confuse
se cache auprès des feuilles

pour n’avoir pas dormi en vain
pour s’être nourris aux étoiles
ils ouvriraient les mains
aux visages inconnus du silence
au bruit léger des sources

ils parleraient
à la splendeur de ce qui vient
d'une parole libre
plus vaste que le sang
en équilibre sur le miracle ou la fatigue

d’être encore là
vivants
pour le rester
dans le frisson
de ce que la langue ignore.

 

6.

ils se demandent

mais que serait la fin de l’été
si elle n’apportait son lot
de sable et de prières

la mer s’en va revient
comble les trous
ramasse les souvenirs

échappée du grand large
brûlant des sourires tièdes
ou encore bleus

l’heure veille courbe et creuse
les mots étendent sur l’eau calme
une mélodie plus tendre qu’une larme

ils se demandent encore

serait-ce cela
le pinceau sans limite de la joie
ce manque qui nous reste

ce fragile espoir
d’apprendre à naviguer
de ne plus fuir la solitude

cette vague sans promesse
gonflée aux cris et aux silences
livrant sa soif comme la partie d’un Tout.

 

7.

on portera plus loin
la flamme de la nuit
l'eau des rivières
et le silence de chaque peur

à quels printemps
se soumettront les certitudes
l'avenir de nos louanges
et cet espace de trop de mots

on mélangera aux fleurs
la terre à bout de souffle
la soumission des morts
les choses muettes qui nous guettent

la joie chauffera
une autre nécessité
la phrase inachevée de ce qui nait
dans le parfum des mimosas

 

8.

des yeux parfois questionnent la douleur
les profils perdus
la tendresse trop avide
ce temps qui tue enrage et file
mais sous nos pieds
des bateaux vont et viennent encore
l’eau trouble vient battre et réveiller nos tempes.

 

9.

tu portes
la source d’un murmure
l’essence d’un paysage
nourri au blanc du vent

porterais-tu
à l’étoile claire
l’empreinte
de son errance ?

 

10.

l’air lourd et chaud
remue le bleu
et le chemin

on demeure là
stupéfaits confondus
prenant le risque de la lenteur

on ne sait plus
on s’approche
on pleure doucement
on brûle des vestiges

un affolement
une volupté sublime
un désir de rupture

on doute

on fait silence
on ruse avec le monde
on entre dans la présence

une attention nouvelle
aux gestes aux rencontres
à la matière dont nous sommes faits

on se réconcilie

au vivant en marche
doux rugueux
visible ou invisible

on se lave au présent
au temps qui nous relie
nous porte nous emporte

 

 

 

Présentation de l’auteur

Pierre Warrant

  • Belge, né en 1963, Pierre Warrant vit et travaille à Bruxelles.
  • Ingénieur de formation et de métier.
  • Poète, photographe et voyageur par passion.
  • Il est membre de l’Association des Écrivains belges de langue française.
  • Ila collaboré à la revue du Journal des Poètes jusqu’en 2018.


    Né en 1963, Pierre Warrant vit et travaille à Bruxelles.

    Poète, photographe et voyageur par passion, il publie dans diverses revues littéraires et de poésie depuis 2005 (Recours au poème, Bleu d’encre, L’Arbre à Paroles, Terre à ciel).

    Il a contribué aux Anthologies « A claires voix »  (Editions de l'Arbre à Paroles) en 2013, « La poésie française de Belgique / une lecture parmi d’autres » (Editions Recours au Poème) en 2015 et «Tétras Lire 1988-2018: l'Anthologie» (Editions Tétras Lyre) en 2018.

    Il est membre de l’Association des Écrivains belges de langue française et a collaboré à la revue du Journal des Poètes dont il fut membre du Comité de Rédaction jusqu'en 2018.

    Son premier recueil « Altitudes » a été publié en 2013 aux éditions Tétras Lyre. ​Il a reçu le prix triennal de poésie Nicole Houssa 2015 de l'Académie Royale de Langue et de Littérature Française de Belgique. 

    ​Son deuxième recueil « Confidences de l’eau » a été publié en 2016  aux éditions L'Arbre à Paroles. Il a reçu le prix biennal de poésie Maurice Carême 2017.

    Son troisième recueil « Le temps de l'arbre » a été publié en 2020  aux éditions du Cygne. 

Bibliographie 

  • Le temps de l’arbre, 2020
    Editions du Cygne

  • Confidences de l’eau, 2016
    Editions L’Arbre à Paroles
    Prix Maurice Carême 2017.

  • Altitudes, 2013
    Editions Tétras Lyre
    Prix Nicolas Houssa 2015
    de l’Académie Royale de Langue et de Littérature Française de Belgique.

  • Contribution aux anthologies
    • Tétras Lire 1988-2018: l'Anthologie, publiée en 2018 aux Editions Tétras Lyre.
    • La poésie Française de Belgique, une lecture parmi d’autres, de Yves Namur, publiée en 2015 aux Editions Recours au Poème.
    • A claires Voix, publiée en 2013 aux Editions l’Arbre à Paroles

  • Publications dans diverses revues de poésie depuis 2005 : Bleu d’Encre, L’Arbre à Paroles, Journal des Poètes, Recours au Poème, Terre à Ciel.

 

 

Poèmes choisis

Autres lectures

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Pierre Warrant, Confidences de l’eau

Tu es perdu
ce qui encombre
ne sert pas
il n’est de pur
que ce que tu es
ou pourrais être

écrivait Pierre Warrant dans Altitudes ((. Premier recueil du poète, aux éditions Tétras Lyre, 2013.)).  Humain perdu, voie ouverte, « l'heure est venue / de vivre ». 

Pierre Warrant, Confidences de l’eau, L’Arbre à paroles, 2016, 70 p., 12€.

Pierre Warrant, Confidences de l’eau, L’Arbre à paroles, 2016, 70 p., 12€.

Voici un second recueil où l’intime décantation se poursuit près des horizons marins, des canaux et des fontaines, et sous la pluie – « sur chaque goutte / le ciel de sa promesse ». Une cinquantaine de poèmes en trois mouvements : élan des bords de mer - reflux laissant la mer enfouie - quête d’un chemin d’eau.« De la mer // on ne peut rien dire » ; c’est elle qui « a tout à nous dire ». Une voix non localisable écoute, et fait glisser quelques mots simples. Éléments, sentiments, situations et paysages se répondent. Le temps déborde la succession des instants et les lieux sont poreux. Les secrets sont en attente, « tout est accessible / retenant sa réponse / depuis toujours », dans la circulation de volutes familières :

et toujours
ce léger tremblement
ce murmure du temps
qui inlassablement
nous relie à la courbe des vagues
((Sur le site de Pierre Warrant (http://www.pierrewarrant.be/), ce poème se termine sur un vers supplémentaire, après un espace : aux pulsations du cœur))

Confidences de l’eau ou rêves du poète ? La question amènera peut-être à pressentir que révélation et désir ne relèvent pas d’ordres fondamentalement différents : quand « on prend le risque de grandir », notre aspiration est déjà connaissance. 

Silence de l’eau
parcelle de l’univers

à l’insu de lui-même
un mot se prononce

être au monde

Comme le précédent, ce livre a inspiré un spectacle mêlant poésie, photographie et musique. Explorateur et passeur, Pierre Warrant nous invite dans l’espace des espaces, « là où respirent les naissances ».