Roisin Tierney, Tiger Moth

Dans les digitales qui déclinent, là où reposent Blake et Banyan
ta queue dressée : point d’exclamation !

La poésie de Roisin Tierney est une poésie du scalpel, de la pince, de l’épingle, de la loupe : un outil d’entomologiste, de lépidoptériste, de médecin légiste, voire de chiropracteur (« gommant délicatement une ecchymose ») voire d’écologiste.

On ne s’étonnera guère que son deuxième recueil s’intitule Tiger Moth, L’Écaille martre – alias, la ci-devant chenille « bourrue » ou « hérissonne ». Deux qualificatifs que l’on pourrait appliquer à la prosodie de la poète irlandaise. « Incisive » en serait un troisième : par simple association et juxtaposition soit concordantes soit antithétiques. Une greffe (médicale ou végétale), une entaille dont naissent la vie et ses beautés.

De l’encornet à un père défunt, d’un bocal de bébés taupes baignant dans le chloroforme à une sœur malade, d’une araignée crabe à un paysage orageux ou léthargique, la voix chirurgicale de ce recueil a l’art du détail dérangeant qui relie l’humain à l’animal, l’os de l’un aux mandibules de l’autre, liés par un sort commun, souvent la mort.

 

the Thuck, Thuck of a machine gun’s staccato,
lewd wolf-whistles, sarcastic in their tone,
in their exaggerated rise and fall :
Phwwwwwhhht-Phwooooooh !
An invisible local lothario
Suddenly lounging around every corner.

Le tfhuck, tfhuck du staccato d’une mitrailleuse,
sifflements salaces, intonations sarcastiques
aux modulations excessives :
Phwwwwwhhht-Phwooooooh !
Invisible Don Juan du cru
brusquement embusqué dans tous les coins

Roisin Tierney, Tiger moth, Turas Press, Dublin, 2022.

Les vers de Tierney me ramènent à une autre forme de harcèlement : aux tapotements de ma spécialiste du sommeil, dont les faux ongles tapent furieusement sur les touches de son clavier lorsqu’elle enregistre froidement le total de mes insomnies depuis notre dernier rendez-vous.

La poète devient à la fois un double de ma médecin du sommeil et, siffleuse moqueuse, du perroquet jacot (ci-dessus) de son poème Nemesis, beau parleur insupportable car miroir des humains. Friande de mots bien choisis et subtilement agencés, Tierney me touche au vif, m’applique le respirateur sur le nez, me force à la fois à plonger dans un coma nocturne et à m’éveiller à la pleine conscience de mon corps en danger.  Double contrainte insistant sur le lien ténu que le corps tisse entre nous, la vie et le règne animal, sur lequel nous jetons volontiers une couverture comme sur la cage d’un gris du Gabon pour lui rabaisser le caquet.

L’espace et le temps flottent au fil des cinquante poèmes réunis avec minutie, rythme et symétrie dans le recueil Tiger Moth : entre un jardin [londonien] avec poulailler, le cosmos avec ses dieux, des ambiances méditerranéennes et une Irlande devenue pays du souvenir et de l’enfance.

La poète ex-petite rejetonne humaine de Low Babies, est tel un oisillon, est un oisillon :

 

Our arms held out so we could flap along
and be the little birdies as we song ;

Bras écartés afin de battre des ailes
Et être pour de vrai des cuicuis en chantant 

 

L’institutrice dublinoise de jadis exhibe une jacinthe en pot :

 

I see that blueness still -
and how she said that we were just like that,
waiting to come fully into bloom ;

Je vois encore ce bleu
et l’entends dire que nous étions de même
dans l’attente d’éclore ;

Toutefois, éclose, la poète est moins fleur qu’insecte – un insecte iridescent, il va sans dire :

 

Insect Reverie

If I am not entirely glad to contemplate
his gown embellished with wing-casings
of the iridescent jewel beetle –
thousands of tiny body parts sewn on
to the delicate cream muslin
of a Victorian evening dress –
their nacreous lustre and opaline sheen
setting the whole ensemble a-shimmer
in the carefully lit display case
at the museum – so many deaths ! –
neither can I say I never hanker
after my own insect-gown, or beetle dress,
to put to shame the rufous, dull, sere
attire of my rivals as I enter a room,
sundry candles lit up in the green glimmer,
a chitinous bristle and crunch as I dance,
the whiskery feel of my antennae
tenderly stroking your face,
mandibles firmly holding your chin,
carapace pressing in
against your soft underbelly,
our elegant waltz and eventual
clackety beetle-fuck,
our leavings (may I say our ?)
a glister of eggs on the rug,
my exit swift, through an open window,
a dark scarab aiming
for the moon.

Rêvasserie entomique

Si d’un côté il ne me plaît guère de contempler
le fourreau tout orné d’élytres
de l’adamantin bupestre iridescent–
myriades d’organes infimes cousus sur
la subtile mousseline ivoire
d’une robe de soirée victorienne –
sa nitescence nacrée et son vernis opalin
insufflant un chatoiement de moire
à la vitrine du musée éclairée
avec art – tant de morts ! – ,
de l’autre, je ne dirais pas que je ne songe jamais
que ma robe entomique atomique
puisse à mon entrée dans une pièce
éclipser les ternes tenues marron, parchemineuses de mes rivales
à la lueur verdâtre de bougies,
frisson crissant chitineux quand je danse,
antennes bacchantes
caressant avec tendresse ton visage,
mandibules agrippant avec poigne ton menton,
carapace écrasant
ton mol bas-ventre,
notre valse classe, et ultérieure
baise hannetone ânonnante,
notre lie (osé-je « notre » ?)
brillance d’oeufs sur le tapis,
et mon envol précipité, par une fenêtre ouverte,
scarabée sombre visant
la lune.

 

La voix de ce recueil, quoique sans emphase militante – elle se permet même des pointes d’humour – est du côté des broutilles, vétilles, béatilles de celleux que notre civilisation naturicide animalicide écrase du talon sans s’en soucier, voire même s’en apercevoir.

Tierney scrute assez ces délaissés, ces restes, ces choses insignifiantes pour écrire comme on épingle des coléoptères ou enfile les perles d’un collier, qui, en fin de compte, forment collection, compilation de poésie empathique (Death of a Hen sur feue une poule qui aimait à prendre des bains de soleil) ou cruelle, selon (Jar of Brown Moles – sur des taupes de laboratoire en saumure).

Tiger Moth est le titre du superbe poème tout en distiques qui donne son nom au recueil. En toute homogénéité celui-ci présente un univers composé à la fois des petits riens dont sont faits les moments de rien qui forment la vie, et de la mort, moment du tout. Plus un brin d’étrangeté qui concourt à sa saveur, red gold in flight, or rouge en vol, a tigerish zigzag of cream and brown stripes when at rest, zigzag tigré crème et brun au repos. With that tendency to meddle in the dark arts. Avec un penchant pour se mêler d’arts occultes. Am I a woman dreaming of a moth, or rather… Suis-je une femme qui rêve d’une phalène ou bien…

Autre rêverasserie réalité kaléidoscopique :  

 

Special Egg Jelly Sky

It has been hot today and we, seeking shade,
creep along the edges of a Spanish city
under the orange trees, the false plantains,
keeping mostly to their dappled cover,
or diving into the damp oases of the bars.
We fan ourselves, secret most profusely,
knock back the cooling beers, the icy finos. 
 
As we crawl we watch it follow us :
a zingy little smidgeon of a fly,
through streets and bars, into restaurants,
our midget familiar, minute memento mori,
(on Mother’s life I swear it’s always the same fly).

If it weren’t so hot we’d make metaphor of it-
tiny harbinger of sickness, death –
or even a wise allusion to the great Machado
(his poetic fly rubbing its filthy paws…)…/…

Lard à l’œuf du Ciel spécial

La journée a été chaude, cherchant l’ombre,
nous rasons les marges d’une ville espagnole
sous les orangers, les faux platanes,
cantonnés à leur asile pommelé,
ou plongeons dans les oasis moites des bars.
Nous nous éventons, secrétons à foison,
sifflons des bières fraîches, des finos glacés. 
Clopinant, nous l’observons qui nous suit:
cette vive et menue lichette de mouche,
de rue en bar, de bar en cantine,
notre naine familière et infime memento mori
(sur la tête de ma mère, je jure que c’est toujours la même).
Si ce n’était la torpeur, nous la ferions métaphore
insignifiant héraut de maux et de mort –
voire allusion au grand Machado
(sa mosca poétique qui frotte ses sales pattes…)

 

Evocation, en passant, de la mort à travers la mouche, lors d’une simple promenade quoique alourdie par un soleil de plomb  – et à Machado [Antonio, 1875-1939, poète rêveur et terrien, traducteur, professeur de français, républicain, mort et enterré à Collioure].

Ailleurs, allusion au père de la littérature anglaise, Chaucer dans un poème plutôt dévolu, en dépit de sa chute, à Sylvia Plath et même plus exactement aux vaches que dessinait à une époque la poète battue, égérie suicidaire du féminisme.

 

When I think of Sylvia Plath
declaiming Chaucer to the cows,
how they crowded round her, rapt
their blue-black eyes reflecting sky and field
and her pale figure straddling a gate

Lorsque je songe à Sylvia Plath
déclamant Chaucer pour les vaches,
qui venaient l’entourer, captivées,
yeux noir bleuté reflétant ciel et prés,
sa pâle silhouette enfourchant un portail…/…)

Ailleurs, les figures de référence sont l’astronome Kepler ou Maria Sklodowska, alias Marie Curie l’irradiée.

 

…/… But it is too hot for that, too late.
The creature swivels, brattles its tiny wings,
settles on the laminated menu
beside the flyspecks and a bad translation
of a locally renowed dessert.

They wheel it out, proudly set it down :
a heap of custardy clabber, all glop
and tremble, slithering on its plate. Thanks,
we say. We’ll have some of that.

Mais il fait bien trop chaud, et il est trop tard.
La bestiole pivote, frictionne ses ailes miniatures
et atterrit sur le menu plastifié
près de chiures de congénères et de la mauvaise traduction
d’un dessert renommé dans les parages.

Apporté sur le chariot, posé avec fierté sur la table :
flanc moelleux au lait caillé
tremblotant, glissant sur son assiette. Merci,
acquiesçons-nous. Nous en prendrons, oui.

 

Exit la mouche, entre le tocino de cielo.

Le ciel, justement. Le firmament. Le cosmos. The Planets, Wind instruments in a windy city, instruments à vent dans une cité venteuse. De l’infiniment petit à l’infiniment grand en passant par des lieux mi-figue mi-raisin talés par l’incurie des âpres-au-gain, des lieux méditerranéens auxquels Tierney parvient via un glissement Irlande-Espagne, In Galway in Spain, ou un arc-en-ciel Arco Iris.

Fiesta, Jovencitos, l’Espagne imprègne tant la poésie de l’Irlandaise que l’antépénultième poème de son recueil est un Adios Padre en honneur au père défunt, vêtu de son meilleur tweed. « Et puis il y eut la grêle,/ et puis il y eut le grésil,/ et puis tu ne fus plus.» 

Ces planètes que le père a rejointes n’apparaissent qu’à la fin du poème The Planetscomme la chute d’une blague (elle est comme un leitmotiv chez Tierney, la chute révélatrice in extremis). Tout le poème aura longtemps tenu le lecteur en haleine, en compagnie de l’amiral Blas de Lezo à la jambe de bois, dont la rapière pointe vers les étoiles contre tous ceux qui menacent les ports espagnols, de Francisco Bernier qui interprète un soir à Cadix Songs of the Americas, et d’une ribambelle de bustes de généraux et diplomates conquérants ou indépendantistes, le regard rivé sur la ligne bleue du Chili, l’Argentine, Cuba, Puerto Rico et l’Equateur…

 

                                                                    Out there in space,
The gods are in their stations. Venus, Mars…

                                                                       Là-bas dans l’éther,
Les dieux sont à leur poste. Vénus, Mars…

 

Mais peut-être la véritable figure tutélaire de ce recueil, la double de la poète, sa  porte parole est-elle

 

Aphaia, Invisible Goddess
Queen of the elegant vanishing Rick
you did it first time in prehistory
and have been doing it ever since :
one moment hotly pursued by that dick
Minos, the next – paff! – you disappear
into the Aegean Sea,
nothing where you had been before
only a spew of foam on the waves…
Lugged back up in a fisherman’s net
onto the island of Aegina,
and what do you do ? Reveal yourself briefly
to the bedazzled islanders –
so bedazzled they build you a beauty,
a temple to rival the Parthenon,
then – poum !- once more your sulky shroud
of invisibility descends.
Thereafter, you are glimpsed only fleetingly,
disappearing around bends,
a footprint or two left in the sands.
Though sometimes your body is discerned
in the shape of the mountains, when the light is right :
a woman reclining, head, breast, knees…
Your temple is empty now, your altar bare.
No straggle of bloody feathers or fur,
no votives offerings honor you there.
Aphaia, you are a tease. We joke about you,
over our retsina, our tasty souvlaki :
your elusive nature, both there and not there,
your voice on the breeze, on the air.

Aphaïa, déesse invisible
Reine de l’élégant tour de passe-passe,
une première fois à la préhistoire et
tu n’as jamais cessé depuis :
un instant effrontément baratinée par cette enflure
de Minos, le suivant – paff! tu disparais
dans la mer d’Egée,
plus rien là où tu étais
qu’une mousse d’écume sur l’onde…
Remontée dans le filet d’un pêcheur
sur l’île d’Egine,
que fais-tu ? Tu t’exposes brièvement aux yeux
des îliens éblouis –
au point qu’ils érigent une splendeur,
un temple pour rivaliser avec le Parthénon,
et puis  poum !- une fois encore tombe
ton chatouilleux voile d’invisibilité.
Après quoi, on ne t’entraperçoit plus
que fugitivement, entre deux portes,
une ou deux empreintes dans le sable.
Bien que, de temps à autre, on aperçoive ta silhouette
sous la forme de monts, quand la lumière s’y prête,
femme au repos, tête, poitrine, genoux…
Désormais, ton temple est désert, ton autel nu.
Nulle touffe de plumes ou fourrure maculée de sang,
nulle offrande votive ne t’honore plus.
Aphaïa, quelle allumeuse ! Nous plaisantons à ton sujet,
autour d’un verre de retsina, d’un goûteux souvlaki :
ta nature fuyante, à la fois là et pas là,
ta voix portée par la brise, sur les ondes.

 

Tierney a beau de même être insaisissable, elle n’en est pas moins rhétoricienne et termine son recueil en toute sûreté avec Safest [Au plus sûr], encadré par un Right now (à l’instant présent), et un Quiet now (au calme maintenant), tels des serre-livres sentinelles, question de finir en belle symétrie.

Comme elle avait commencé, avec un poème bien cadré, au rythme assuré et serein, basé sur rien que des distiques, avec un ou deux vers isolés. Dont, dernier distique du premier poème du recueil, Wren [Le troglodyte],

 

How short is a wren’s life. Barely two years.

Qu’elle est brève, la vie d’un troglodyte. A peine deux ans.

 

Alors que le dernier vers du dernier poème du recueil, Safest [Au plus sûr] est donc quiet now, au calme maintenant.                                                    

 

So here you have my question, mythmaker:
Have you any news of my father?

 … Et voici ma question, faiseuse de mythes :
Tu as des nouvelles de mon père ?

 

Retour au père défunt. CQFD.

De Roisin Tierney on pourra lire quatre poèmes publiés précédemment sur ce même site, à l’entrée « Róisín Tierney, The Finding et autres poèmes » [Pitchblende, Ataxia, The X‑Ray Reporting Room] – tous quatre figurent désormais dans le recueil Tiger Moth – qu’on vient d’évoquer.

Présentation de l’auteur

Róisín Tierney

Je suis née à Dublin en 1963 et j'ai étudié la Psychologie et la Philosophie au University College de Dublin. Je me suis déplacé à Londres en 1985, où j'ai travaillé dans de nombreux domaines, du maquillage théâtral à l'administrateur du musée. J'ai assisté au merveilleux atelier de poésie de Michael Donaghy à City University, Londres, de 1998 à 2002. Après plusieurs années d'enseignement en Espagne (Valladolid et Grenade) et en Irlande (Dublin), je suis maintenant installé à Londres, ressentant les joies de Camden Town.

Poèmes choisis

© photo Isabelle Poinloup

© photo Isabelle Poinloup




Róisín Tierney, The Finding et autres poèmes

Poèmes de Róisín Tierney traduits par Bernard Turle

The Finding

Look around when you have got your first mushroom
or made your first discovery: they grow in clusters.

George Pólya

He, though, had an almost melted look.
Too many years spent thumbing the ancient tracts,
fumbling with his crucible and pen,
trying to turn piss into gold. Pah!
He was nothing but trouble. The facts
do not uphold. Piss is what it is. How
his wife put up with the stink! Neighbours
grumbled, yet surrendered their pisspots,
afraid of his squinny, his mad blue stare.
Once he dampened some straw with the stuff,
let it rot down, set it alight. POUF!
That’s when we said it was time to stop,
but he kept on secretly, using his own dribble
and whatever other ‘streams of fortune’
came his way; the odd pedlar’s or wayfarer’s,
even his mares’ great gush, until one day
he noticed that a quantity boiled down
gave up not gold, but a ‘devilish light’.
We drove all three of them out of town,
the alchemist, his sad wife, their baby,
which had the most angelic face, dimples,
pink grin, the softest golden curls.

Découverte

A ton premier champignon, ta première découverte,
regarde autour de toi : ils ne poussent jamais seuls.

George Pólya

Il avait, c’est vrai, l’air quasi liquéfié.
Trop d’années passées à feuilleter les anciennes voies,
à fouiller son creuset, sa bauge,
à tenter de changer la pisse en or. Pouah !
Que des embrouilles. Les faits
le contredisent. La pisse, c’est la pisse. Et
sa femme supportait cette infection ! Les voisins
regimbaient, mais lui soumettaient leur pot,
craignant son regard de biais, bleu, de fou.
Un jour, il en imbiba la paille,
la laissa pourrir, l’enflamma. PFFUIT!
C’est alors qu’on dit : suffit.
Mais il continua en secret, utilisant son pipi
et tout autre « flot de fortune »
coulant par là : d’un colporteur, d’un cheminot,
jusqu’au pisse-dru de ses juments, jusqu’à ce qu’un jour,
il note que d’une quantité bouillie
n’émanait pas de l’or mais un « éclat diabolique ».
Alors, on les a tous trois chassés de la ville,
l’alchimiste, sa triste épouse, leur bébé
au visage si angélique,fossettes,
sourire rosé, si douces boucles d’or.

Pitchblende

How could Maria Skłodowska, as she was then known
when she first stepped from the Flying University

onto the streets of Paris, have guessed,
that her findings would one day set her lab aglow,

electrify the air, thin her blood fatally
as she lined her pockets with them:

radium, polonium? (This last named after her country).
How could she ever have guessed

that the burn from these would be so rare
that they would not only cauterise

my mother-in-law’s bladder, my father’s throat,
but so douse her manuscripts, her precious notes

that they would have to lie softly
at the heart of the great Bibliothèque Nationale

in a lead lined-chamber,
for a half-life of approximately

one-thousand-six-hundred years?

Uraninite

Comment Maria Skłodowska, de son nom d’alors, aurait-elle pu deviner,
quand elle débarqua de l’Université volante

dans les rues de Paris, qu’un jour
ses découvertes irradieraient son laboratoire,

électrifieraient l’air, fluidifieraient mortellement son sang,
quand elle en doublerait ses poches :

radium, polonium ? (ce dernier nommé d’après sa patrie).
Comment aurait-elle pu savoir

que leurs brûlures si particulières
non seulement cautériseraient

la vessie de ma belle-mère, la gorge de mon père,
mais encore imprégneraient tant ses manuscrits, ses notes précieuses,

qu’ils devraient reposer en douceur
au coeur de l’éminente Bibliothèque Nationale

sous une cloche de verre plombée,
pour une demi-vie d’environ

mille-six-cents-ans ?

Ataxia

Your first wobbles they put down to wobbliness
in general. Then your many falls and tumbles
raised the red flag for danger,
sent them hurtling for a diagnosis,
which took its time coming: Ataxia
– O elegant word! – from the Greek,
meaning lack of order (in your case, balance),
progressive, degenerative, part of you.

Your unsteady sway naturally caused problems
when it came to casting for the school play
(The Owl and the Pussycat, we were still primary),
until Mrs Galassy or Mrs Cox –
whose kindly stroke of genius was it? –
placed you upheld between two other girls,
each holding an arm, firmly,
all swaying in unison, as the West Wind,
and intoning the chorus
(something like ‘Blow wind, whoo HOO!’),
while we in the audience, your parents and sisters,
laughed at your shenanigans up on the stage,
rolled around in our laughter like a windswept sea.

Ataxie

Tes premiers trébuchements furent attribués à
ton roulis général. Puis tes maintes chutes et faux pas,
brandissant un fanion rouge, danger,
incitèrent à un diagnostic urgent,
qui fut long à venir : ataxie
– Oh, l’élégance du mot ! Du grec :
manque d’ordre (dans ton cas, d’équilibre),
évolutif, dégénératif, devenu toi.

Ton instable tangage posa bien sûr problème
quand on en vint à distribuer les rôles de la pièce de fin d’année
(Minette et Hibou prirent la mer – nous étions encore en primaire),
jusqu’à ce que Mrs Galassy ou Mrs Cox
– qui eut cet affable trait de génie ? –
te place épaulée entre deux autres filles,
chacune tenant un bras, fermement,
toutes trois oscillant à l’unisson, alisé
entonnant le choeur
(à peu près : “Souffle, vent, ffiou HOU!”),
tandis que spectateurs, tes parents, tes soeurs,
tous nous riions de tes facéties sur scène,
ballottés par nos rires comme une mer battue par les vents.

Lecture d'Ataxia par Roisin Tierney

The X-Ray Reporting Room

On every passing I can only stare
at the cage of bone hanging there
in chalky relief against a caul
of celluloid, up on the screen.

Lean in with me. You’ll see

a ghostly blanch, a Merlin’s kiss,
a moon-stain, a reverse-rendition
of clavicle, sternum, ribcage, the jut
and solder of a world of floating bone.

Here, a vessel, a cup a chalice:

the thoracic cavity, within it
just visible, and swathed in shadowy greys
like nimbus clouds or a descending fog,
the human heart with all its sorry griefs.

I feel your breath, moist against my neck.

Frau Röntgen threw her lovely bony hand
into the path of those Von Röntgen rays
and steadied there, to have the image taken.
On seeing it she swore she’d seen her death.

Pick up those files. Lean in.

See there a bruised mass, which could be…
anything. A blur, a chemical blotch,
ripe for misinterpretation, or even
something definite and true. Something worse.

Come closer. Put your arms around my waist.

Look at me. Stare straight in.
We are but nodding donkeys in the rain,
each of us hiding beneath our downy pelt
our brittle scaffolding, our cheery, rictus grin.

Clickety clack, we stumble towards our end,
stars in our very own danse macabre.
Our grande finale awaits. Take a bow!
Though it’s not the applause that matters then.

I feel your shoulders shake beneath my touch.

Your skin is warm. You are so very, very live.
I love you! Lean in. Like that.
Like that. Yes. This.

Dans la pièce d’interprétation des radios

A chaque passage, je ne puis détourner les yeux
de la cage d’os suspendus
en relief crayeux sur fond de coiffe
de celluloïd, là sur l’écran.

Penchez-vous avec moi. Vous verrez

blanc spectral, baiser fantomatique,
tache de lune, image inversée
de clavicule, sternum, cage thoracique, saillies
et soudures d’un univers d’os flottant.

Tiens, une coupe, un ciboire, un calice :

cavité tout juste visible à l’intérieur,
langée de gris ombreux,
nimbus ou tombée de brume,
le coeur humain et ses tristes peines.

Je sens votre souffle, mouillé sur ma nuque.

Frau Röntgen lança sa jolie main osseuse
dans le faisceau des rayons de son mari,
et s’immobilisa, afin que pût être saisie l’image.
En la voyant, elle jura avoir vu sa mort.

Prenez ces dossiers. Penchez-vous.

Voyez là une masse talée, qui pourrait être…
n’importe quoi. Un flou, un pâté chimique,
susceptible d’erreur de diagnostic, voire
une chose nette et bien réelle. Ou pire.

Approchez. Prenez-moi par la taille.

Regardez-moi. Ne détournez pas les yeux.
Nous ne sommes que mules branlant la tête sous la pluie,
chacun cachant sous sa peau duveteuse
son fragile échafaudage, son rictus joyeux.

Clic-clac, nous trébuchons vers notre fin,
étoiles de notre propre danse macabre.
Notre final attend. Saluez !
Même si les applaudissements, alors, ne comptent plus.

Je sens vos épaules secouées par mon toucher.

Votre peau est chaude. Vous êtes si, si vivante.
Je vous aime ! Penchez-vous.
Comme cela. Oui. Ceci.