Afrique, une écopoésie active ! Entretien avec Samy Manga

Samy Manga, poète, musicien et performeur né en 1980 dans la forêt équatoriale camerounaise, est une voix majeure de la poésie africaine contemporaine. Fondateur du mouvement des Écopoètes du Cameroun, il construit une œuvre multidisciplinaire où se croisent poésie, sculpture et musique, profondément attentive à la biodiversité, aux héritages coloniaux et aux enjeux sociaux. Son parcours autodidacte et son engagement artistique illustrent une écopoésie à la fois sensible et critique, profondément ancrée dans les réalités locales tout en dialoguant avec les enjeux universels. Des œuvres comme Chocolaté : le goût amer de la culture du cacao témoignent de cette démarche, mêlant conscience sociale et sensibilité poétique.

Cet entretien s’inscrit dans le cadre de l’anthologie hors-série de la revue Les Haleurs, consacrée à l’éco-poésie africaine francophone, dont Samy Manga est l’initiateur. De l’idée à la sélection des voix et à la coordination éditoriale, il a façonné le projet, définissant les grandes lignes de cette anthologie unique. La discussion qui suit permet de comprendre non seulement son œuvre et son parcours, mais aussi la vision qui a conduit à réunir ces voix africaines contemporaines, révélant un engagement poétique à la fois individuel et collectif.

Pourquoi publier aujourd’hui une Anthologie d’Écopoésie Africaine ?
Pour éveiller les consciences sur le bien-fondé de la préservation des ressources naturelles, source d’équilibre du Vivant et de la planète, au regard des dégradations climatiques et environnementaux liés à l’ordre mondial actuel. Les catastrophes écologiques sont actées sur tous les Continents : la pollution liée à la surconsommation, aux extractions minières, l’accumulation de déchets toxiques, les extinctions d’espèces animales et végétales sont autant de défis auxquels seuls l’éducation, la sensibilisation populaire et le respect des normes peuvent pour assurer un développement durable efficace. De mon point de vue, les solutions à ces crises environnementales doivent être globales.
En tant que militant, artiste engagé avec l’association Écopoètes International, mon idée était de rassembler toutes les voix d’Afrique à la fois pour célébrer le Vivant sous toutes ses formes, mais aussi pour la nécessité de sa préservation. Cette Anthologie d’Écopoésie est un cri d’alerte international contre le climato-scepticisme. Une insurrection Écopoétique face au consumérisme planétaire. Je voulais qu’en tant que poètes, écrivains, artistes de tout bord, citoyens et citoyennes d’Afrique et du Monde, nous nous mobilisions poétiquement avec un regard lucide sur l’avenir de notre planète.
Cette anthologie est présentée à la fois comme une anthologie de la poésie africaine et de la poésie écologique. Pourriez-vous expliquer comment ces deux dimensions se conjuguent dans votre projet ?
Si ce projet d’Anthologie a été initié avant tout pour répondre à l’urgence environnementale de notre époque. L’Afrique comme on le sait est une terre de culture, d’écriture, d’oralité, de poésie et surtout de transmission. La poésie fondamentale africaine n’est pas dissociée de l’écologie ni des autres espèces qui forment la Biodiversité, au contraire, par sa puissance, sa créativité, et sa sagesse, la poésie africaine a toujours lié tous les éléments et les aspects de la vie humaine.
Ses traditions animistes, ses pratiques mystiques, son alimentation, son rapport à la matière, à l’invisible, et à la Terre sont autant de spécificités traduites par l’Écopoésie comme vecteur des valeurs du NOUS NATURE.
Quelle est la littérature africaine contemporaine réellement représentée et traduite en France ? Pourquoi la poésie africaine est-elle si peu présente ?
 Je ne suis spécialiste ni en tendance ni en statistiques littéraires, et mon champ de bataille n’est pas de m’efforcer à faire traduire la littérature africaine en France. Il nous faut sortir de cette centralisation franco-française qui restreint notre présence dans l’espace poétique. La littérature africaine existe et doit exister pour ce qu’elle est, pour la puissance de son imagination, de son histoire, et son apport à la culture universelle. La littérature africaine ne peut prétendre exister par procuration pour espérer une forme de reconnaissance. La poésie africaine est de plus en plus présente sur le Continent et ailleurs, elle a le mérite d’être nourrie par sa diversité linguistique, ses coutumes et ses traditions. En l’espace de trente ans, nous avons vu l’éclosion de milliers d’auteur.e.s édités ou auto édités dans tous les domaines de la littérature.
Malheureusement dans certains pays d’Afrique francophone, nous faisons encore face à des politiques culturelles peu visionnaires qui engendrent des problèmes de diffusion, de droits d’auteurs, de mobilité des poètes – poétesses, peut de maisons d’éditions capables de mieux porter les voix de la poésie africaine à l’intérieur comme à l’extérieure du Continent.
 Pourquoi certains pays africains sont-ils si peu représentés dans votre anthologie ?
Pour la réalisation de cette première anthologie d’Écopoésie nous avons choisi uniquement les pays francophones pour uniformiser nos voix face aux crises environnementales qui menacent la survie des espèces vivants. Sur les 32 pays francophones d’Afrique, 23 sont présents dans l’ouvrage. 

Comment avez-vous choisi les poètes ? Quelle démarche avez-vous suivie pour cette sélection ?
Pour assumer une géographie éditoriale typique, il nous a fallu faire des choix stylistiques ancrés dans les traditions d’Afrique et de ses îles afin de proposer une anthologie collective inspirante et ouverte au monde, tout en reflétant notre vision en matière d’écologie et notre rapport à la Terre.
Vous avez évoqué le rôle du chant et de la traduction dans la poésie. Pourriez-vous préciser ce point ?
En réalité le chant et la poésie sont issus de la même matière, de la chair des mots, du même tissu de respiration alliés à l’expérience humaine. Habités par le feu de la parole poétique, les mots chantés, lus, peints, déclamés ou sculptés se traduisent sous des formes diverses pour atteindre le domaine des émotions. D’ailleurs vous qui êtes Tunisienne, votre question me fait penser à un des grands noms, l’incantatrice de la poésie arabe, Oum Kalthoum.
Dans votre anthologie, certaines notes expliquent des mots issus de langues ou dialectes africains. Comment avez-vous pensé ces notes pour aider le lecteur à comprendre ces termes…
Toute traduction est une trahison. Cela dit nous avons voulu ouvrir la compréhension des lecteurs en mettant quelques notes de bas de page qui permettraient de mieux sentir, de mieux imaginer, de mieux saisir les oracles qui traversent la beauté des langues locales associées au français.
Quel rôle la poésie joue-t-elle dans cette approche de médiation linguistique et culturelle ?
Seule la poésie sauvera le monde. Le rôle de la poésie comme de toute expression artistique est d’exprimer des émotions, de peindre des sensations, et de dire le monde à partir d’un soi collectif ou personnel. Par le canal des identités, des particularités, et des expériences qui habitent les mots de l‘existence, la poésie permet d’instaurer des ponts, des mises en dialogues, et des regards croisés entre les cultures.

Pourquoi avoir choisi la maison d’édition Les Haleurs pour publier cette anthologie ? Quel rôle cet éditeur a-t-il joué dans le projet ?
Après plusieurs années de recherche de partenaires pour la publication de ce projet, j’ai rencontré David Dielen à Paris en 2023, grand passionné de littérature verte, auteur végétal avec une grande sensibilité poétique, et surtout, responsable d'une maison d'édition ayant pour ligne éditoriale : l'Écopoésie. Vous l’aurez compris, la graine est tombée en bonne terre. Les Haleurs Édition s’est donc avérée être une belle opportunité de collaboration. De 2023 à 2025, nous avons enrichi ce projet de littérature verte publié officiellement le 10 octobre 2025 à l’occasion de la 35e édition du Salon de la revue de Paris.

Présentation de l’auteur

Samy Manga

Écrivain, ethno-musicien, militant écopoète, Samy Manga travaille actuellement à Lausanne. Né dans un petit village à 45 km de Yaoundé au Cameroun, où il révèle son engouement pour les Arbres et la création littéraire. Initié ‘’ Enfant écorce ‘’, à l’âge de 14 ans il écrit son tout premier recueil de poèmes intitulé, Terre de Chez Moi. Écopoète engagé pour la littérature verte. Activiste décolonial et promoteur de l’Écopoésie, entendez : l’Écriture en Faveur de l’Écologie et de la Biodiversité. Par ailleurs, Samy Manga est le Fondateur de l’Association Écopoètes International, co-fondateur et directeur artistique de l’espace culturel ArtViv Projet de Lausanne. Finaliste du Prix des Cinq Continents 2023, finaliste du Prix Amadou Kourouma 2023, lauréat du Prix MILA du livre Francophone ‘’ Meeting International du Livre et des Arts Associés-MILA ‘’ 2025. Il a également reçu le Grand Prix de poésie Africaine d’Expression Française du Festival International du FIPA, Abidjan- 2021.

Bibliographie 

4 degrés celsius entre toi et moi, pour une littérature climatique, Collectif. Édition Point, 2025.

La Dent de Lumumba – régicide contre la colinie, Éditions Météores – Bruxelles, 2024.

Choco trauma – le goût amer de la culture du cacao, Éditions La Croisée des Chemins, Casablanca, 2023

Chocolaté - le goût amer de la culture du cacao, Éditions Écosociété, Montréal 2023.

Opinion poétique, Coécrit avec Caroline Despont. Éditions L’Harmattan, Paris, 2018.

Les Hirondelles de Mebou, coécrit avec Faustin Embolo. Maison des Savoirs, Yaoundé, 2012.

Les Acapella du bois, sculptures sur poésie, Éditions ArtDéclic. Paris -Yaoundé.

Poèmes choisis

Autres lectures