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Siham Mehaimzi, présentée par Serge Pey

Rencontrée sur la scène ouverte du festival "Voix vives de Méditerranée" de Sète en juillet 2018, Siham  a retenu notre attention par sa ferveur, et la verdeur de sa langue. En ce mois qui "fête les femmes" - un seul  jour, le 8 mars ! pour défendre les droits des femmes dans le monde - nous avons pensé que cette voix, qui porte de façon différente, crue et ardente, son identité de femme-poète-performeuse, qui se bat pour sa place à travers ses mots,  méritait d'être écoutée,  parce qu'elle parle d'un monde qu'on occulte souvent sous de belles paroles, qu'elle met des mots sur l'humiliation - la condition féminine  aussi. C'est un combat, le sien, qui passe par la poésie comme on la défend à Recours au Poème : une arme pour changer le monde.

 

La jeune voix de Siham Mehazmi  : extraits de poèmes, précédés d'une introduction de Serge Pey

 

Elle crève un lointain poème. 
Elle vient d’une écriture où les alphabets sont des roses de sable. 
Son horizon est à l’envers. 
Elle pleure dans un dortoir de coquelicot. 
Son enfance dort dans une cité ouvrière. 

 

Elle n’a pas d’histoire et c’est sa poésie qui maintenant devient son souvenir. Elle est de là-bas. De derrière. De devant. D’à-côté. Du centre. 
Elle est droite. Elle est une porte. Elle est une femme. Sa poésie est une main de vengeance et une main d’amour. 
Son poème est une langue dans les fleurs. Son pied est un soulier déchaussé dont les lacets attachent un autre soulier.

Elle a traversé mille horizons et mille négations du soleil. 
Elle écrit pour ne pas crier. Elle vit à l’intérieur d’une métaphore, d’une camionnette rouge de pompier.
Avec ses tuyaux, elle se déplace pour allumer des incendies et non pour les éteindre. 
Là où les saisons la portent et la déportent, elle roule le sommeil dans une poubelle. Elle met des pansements aux cailloux. 
Elle a choisi un chemin qui voyage en elle. 
Elle fait voyager les voyages. Elle dresse sa tente en peau de ciel en plein ciel. Elle est debout. Elle marche à l’envers. 
Elle m’a accompagné dans une longue ascension jusqu’à la tombe d’Antonio Machado. Elle chante, car elle ne sait pas chanter. 
Sa beauté troue le ciel cathare de l’Occitanie. 

Comme la Esmeralda de Victor Hugo elle a rencontré une chèvre devant le château de Quéribus. Elle lui a appris à écrire et à parler. Elle est pendue à une branche de mots.
Elle est venue dans mon chantier d’art provisoire. Longtemps. Toujours. Demain.
Elle m’a fait lire ses premiers poèmes rimés, car elle-même est une rime.
Elle ne vient pas de la littérature. 
Elle écrit pour ne pas crier. Mais elle crie. 
Son corps est tatoué de larmes. Et pour cela, elle tatoue ses cahiers. 
Elle ne lit que les livres qui sont des tatouages. 
Elle vient de rien et commence à écrire ce rien.
Elle s’appelle Siham. 
Sa mère est morte comme un livre non ouvert. Elle passe son couteau entre les pages.

 

 

 

Poèmes de Siham Mehaimzi

À Aïcha Mehaimzi 

"A force de parler de Mohamed qui fut prophète, on oublie le Mohamed chômeur, le Mohamed sans logement, le Mohamed sans abri, le Mohamed sans travail et des milliers de Mohamed qui vivent comme des esclaves sous des régimes qui se réclament du prophète Mohamed"

 Kateb Yacine. 

 

Les semelles de boues de Mohammed 

 

Il se chausse de semelles de boue

marche marche Mohammed

il se gante d'épines aux figues barbares

cueille cueille Mohammed

il se bâillonne de gumbri aux boyaux des chèvres

danse danse Mohammed

il s'étouffe à la peau du bouc aux cris du tambour

souffle souffle Mohammed

il s'empaille de chapeaux  al afo

 au soleil noir

chante chante Mohammed

il s'enferme dans la danse des slaq zit

libère libère Mohammed

 

 

«La Femme n'existe pas»((citation de Jacques Lacan))

 

Le corps n'y est pas

c'est cela le soleil

la France

rassie

brûlée

au néon

colon

collant

ma peau

ma chair

ma fessée

ma voix

ma canicule organique

rompue de règle

du grand Ogre de Barbarie

écris

dans nos contes à dentelles

décousues

j'apaise les fibres verticales

l'immaîtrisée des salutations intersexuelles ci-jointes

horizontales

signées ci-contre

le sexe

oui le sexe

«je» est le sexe

«je» est le mâle

de la séduction massive 3D papier glacé

sur les seins lactoses

arrivez mes cordons

arrivez

à l'ombilic des limbes

où naît folie ménagère

branchée électrique

vinaigre et lait

coulé des flancs estuaires

à vos vestiaires non-mixte

et b'habillez vos crrrotte-creuv-crravate de Femme

car tu me nommes «fatale»

maquillée ou sans clown

les hanches mesurées au cannabis patronal

largue mon reflet natal

largue mes pattes en caoutchouc truqué

largue ma mémoire d'ancre

écrite avec des poils

noirs

durcis

humains

toujours des poils

partout des poils

la cire existentielle

L'Oréal

et saine

dans l’auréole

sous le bras

nous sommes les poilues du siècle

les barbes d' assises

la parole moine

monnayable

dans les édifices cul-culturels

cul de ci et cul de ça

je lève mon doigt en l'honneur du ciel habité

car où t’habite

si «elle» phallique

j'habite au ventre de l'humanité

la gestation de mes questionnements

coupés au scalpel de l'excision

mentale

CAR-MEN tu es une femme

 

Je suis venue

Ana jit

 

Des miettes dans ma poche encore trouée des miettes dans ma poche encore ma poche de miettes trouées dans ma poche encore des miettes

et du tabac froid entre mes doigts

j’ai bu à ton arôme

truffe enflure

d'un café off

offre les affres

fortes et frappe

des plus folles vapeurs

frôle à tous les cous

ses reliques de Gitane

sur les jerricans d’août

au goulot

la bouche moite du port

dehors la flasque saison

un passeport sans refrain

sans lieu ni sans date

parcourant les bras frais

d'une photo sans visage

 

«Wa loulid a loulid
Ana jit ana jit
Ana jit j'en ai marre
Wakha j'en ai marre

Qelbi li bghak a wa'adi
Wa loulid a loulid
Ana jit ana jit
Ana jit j'en ai marre»2

 

sur les reins

nuit de novembre

lèvres roides      

où passe ta chatte

rubiette

affluente

à la robe des rues

je t'ai quitté

Tanger

quitté

sans un ciel sali en poche

à l'humeur des pareils froids

miaulant l'absinthe des cloches

leur trophée d'acier

un passeport sans refrain

sans lieu ni sans date

parcourant les bras frais

d'une photo sans visage

«Wa loulid a loulid

ana jit ana jit

ana jit

j'en ai marre

 

Wakha j'en ai marre
Qelbi li bghak a wa'adi
Wa loulid a loulid
Ana jit ana jit
Ana jit j'en ai marre»((Chanson populaire du Maroc de Najat Aatabou))

 

Wahran/Oran

 

Wahran 

Oran

sur ton port des joies se portent

et les parlers se meuvent

dans un sobre parfum

les plastiques brûlés

et les costumes ranceux

font la loi à Belcourt

tandis que Les hadiths offrent à la promise un mariage sans égal

les cabarets  baladent la semence

au gré des incomprises

entre les soumises

et les jupes courtes

la barbe noire

et les savates

l'électricité

et les billets gris

les zéros n'en finissent plus

tes femmes aux cigarettes

le trottoir en guise d'autel

et tes hôtels en mine de paille

laissent sur nos lèvres

un baume des plus amers

Wahran

sur les filets du port

des hommes pleurent

ce qu'il  reste de l'été

des balafres algériennes

et des pieuvres entartrées.

 

écouter  Ma Vie dans le camion, de Siham Mehaimzi :

Présentation de l’auteur

Siham Mehaimzi

Siham Mehaimzi est née en 1988 à Agen de parents immigrés marocain descendants d'une tribu Sahraoui. Issue d'un milieu modeste, elle grandit dans un quartier populaire du sud de la France où elle commence à écrire à l'âge de 10 ans. Diplômée en psychologie clinique psychanalytique c'est à l'université au cours des «chantiers d'arts provisoires» qu'elle rencontre le poète Serge Pey qui découvre son travail et la programme à la cave poésie de Toulouse. Auprès de lui, elle participe à la marche de la poésie en hommage à Antonio Machado qui apparaît dans le film documentaire « la boite aux lettres du cimetière ». Formée par la compagnie du « théâtre 2 l'acte », Siham aspire à l'oralité de la poésie à travers laquelle vibre sa mémoire ancestrale, l'exile de sa mère et les questions féministes.

Siham a été publiée dans une anthologie des poètes de la cave poésie dans la revue Mange Monde aux éditions Rafael de Surtis, puis dans la Revue A revue transculturelle littérature action aux éditions Marsa et dans la revue Méninge. Et dans la revue GLAD! sur le genre le langage et la sexualité .

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