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Timba bema, Corps humains, Makossa

Corps humains 

Corps humains
Aimants aimés
Noyés, dérivés
Corps rivés, écartelés
Monolithes jetés à la face des soleils rouges
Pénitences

Dans ces labyrinthes froids du destin
Chemins de terre qui s’amorcent et se perdent dans leur propre haleine brumeuse
Où se précipitent ceux que la faim, ceux que la soif poussent comme des troupeaux sans bergers 
en quête de verts pâturages
En quête de bonheur, de communion, d’effusion
À la belle saison

Le ventre plein et le cœur satisfait

Ouvrent les douleurs de la digestion
Pénitences
Vous avez mangé l’herbe sur les versants rocailleux de la montagne
Vous avez bu l’eau de la source qui serpente ses flancs dénudés par les soleils et par les vents
A présent souffrez
Chaque seconde de bonheur, de communion, d’effusion
Qui vous sera accordée
Sera payée au prix du sang qui est le quintuple du prix des larmes

A présent souffrez !
C’est la belle saison, les tempêtes se sont calmées
La douleur est cet ancêtre qui ne sait pas se tenir sage
Elle refuse l’immobilité et appelle le geste, la gesticulation
Elle refuse le silence et appelle le cri rauque, le cri puissant, sauvage, de la bête transpercée par 
la flèche du chasseur
Lèvres ouvertes, gorge déployée, s’échappe de son corps pantelant la signature sonore du refus, 
de l’ultime révolte avant la disparition, l’effacement
Dans ces labyrinthes froids du destin

Pénitences
Monolithes jetés à la face des soleils rouges
Noyés, écartelés
Corps rivés, dérivés
Aimants aimés
Corps humanisés

Le temps de partir, poème et musique par Timba Bema.

Makossa 

Longue le mba ndutu bwambi
Essele mba, mola
Na dipa dipane
Lam dikossa

 

Les eaux grises du fleuve charrient des gerbes éparses de tristesse chlorophylle
Cuites et recuites par le soleil radial, comme ces crânes orphelins des coiffures anciennes qui 
portaient rêves, perles et imaginaires agencés selon les codes intimes de l’horizon
Et ces visages, ces torses, ces peaux que la lame affûtée du scarificateur, autre nom divin du 
poète qui, sur le papyrus des corps, écrit les signes qui alignent astres et destins dans une 
danse à cinq temps – murmuration
Ils étaient devenus, sans le savoir, des corps sans tête, des corps sans rêves qui s’échinent sous 
les eaux impassibles, sous les nuages
Le sable brûlait leurs pieds pour une moisson que jamais ne récolteraient leurs mains, encore 
celles des enfants nés de leurs enfants
Le jour était le règne du labeur, des coups de fouet, coups de pied, coups de gueule, le temps 
du sang vert et de l’angoisse, de l’arc bandé, du piège tendu, du filet rapiécé que l’on jette au 
hasard des marées pour quelques poissons qui dormiront sur la glace en attendant la faim du 
soir et ses charbons ardents
Le retour de la lune, vêtue de sa légendaire robe d’argent
Le bois empilé dans la cour brûle de mille feux – étincelles, claquements
L’accordéon
La guitare
Une bouteille en verre – deux baguettes – et c’est la joie !

Longue le mba ndutu bwambi
Essele mba, a dou
Na dipa dipane
Lam dikossa

Oublié le soleil
Le dos courbé
Oublié le lendemain, le recommencement de la douleur
Seule compte l’heure de la lune
La vérité de la nuit que raconte les pincements de la guitare
Ici la vérité des ombres que raconte la voix tiraillée de l’accordéon
Et celles des femmes témoins, femmes totems qui pleurent les larmes que les hommes n’osent 
pleurer par pudeur
Pleurez pour nous, mères ! Vous qui savez la douleur de l’enfantement, vous savez le prix de 
la vie
Pleurez pour nous, sœurs et chimères ! vous qui savez le secret des saisons et le goût de 
l’amertume lorsque l’orage qui précède la pluie ne balaie pas les feuilles mortes 
dans la cour
L’amertume que les corps soudain debout expulsent par les pores et les narines, les cris et les 
roulements des pieds

Longue le mba ndutu bwambi
Essele mba, a dou
Na dipa dipane 
Lam dikossa

Un extrait de la lecture performance de Les seins de l’amante, le poème de Timba Bema, à l’atelier de mademoiselle F lors du Miam Miam Festival 2019

Présentation de l’auteur

Timba Bema

Timba Bema naît au quartier Bali à Douala. Très tôt, il prend conscience de l’histoire tragique de la lutte pour l’indépendance menée par son pays. Le soir, sur les marches d’escalier de la maison familiale, sa grande tante lui racontait la vie de ses grands-parents, des riches planteurs assassinés dans le Moungo en janvier 1960. Cet évènement attise en lui la passion de l’histoire qu’il assouvit tant bien mal en interrogeant les personnes âgées et en écumant la bibliothèque du Centre Culturel Français. Il commence à écrire quelques poèmes et des histoires courtes à 12 ans. En plus d’écouter les musiciens qui jouaient dans un club huppé de son quartier. Malgré cette passion restée intacte pour la musique qui oscille entre le jazz et les musiques traditionnelles africaines, l’appel des mots est irrésistible. Après la lecture de Le procès de Franz Kafka, il est persuadé que sa vocation est d'écrire. Il est auteur de poésie, de nouvelles, de romans, et participe à diverses associations et revues littéraires. Son poème Les seins de l’amante remporte le Grand Prix Littéraire D’Afrique Noire 2018. En novembre 2021, il publie une odyssée poétique Sauver la ville aux Editions des Sables, qui est son quatrième ouvrage publié.

Bibliographie

Poésie

  • Flashs, Aphorèmes, Brest, Editions Stellamaris, 2021 (ISBN 978-2-36868-683-6)
  • Les bateaux sombrent-ils en silence ?, Variation poétique, Brest, Editions Stellamaris, 2019 (ISBN 978-2368684917)
  • Les seins de l'amante, Poème, Brest, Editions Stellamaris, 2018 (ISBN 978-2368684610)

Nouvelles

  • Sauver la ville, édition des sable, 2022
  • La promise, dans le recueil Filiation, Editions Proximité, Yaoundé, Cameroun, 2020
  • Délices d'Orient, Le Courier, Genève, Suisse, 2020
  • Onirique et lointain, ce Brésil imaginaire, Actualité, Paris, France, 2019
  • Somme toute une banale histoire d'amour, Actualité, Paris, France, 2019
  • Idabato, dans le recueil Tourbillon, Les éditions Encres Fraîches, Genève, Suisse, 2018
  • La future mariée était presque parfaite, dans le recueil Un soir de pluie, Les éditions Encres Fraîches, Genève, Suisse, 2017
  • Accident, Smokelong Quarterly, Washington, États-Unis, 2016. Traduit en anglais par Michelle Baillat-Jones

Tribunes

  • Black Lives Matter : après les marches, ont fait quoi ?, Le temps, Genève, Suisse, 2020
  • L'interdiction de la mendicité : une bonne nouvelle ?, 24 heures, Lausanne, Suisse, 2019
  • Est-ce risqué d'être noir à Lausanne ?, 24 heures, Lausanne, Suisse, 2018
  • Africains, approprions-nous le français !, Le point, Paris, France, 2018
  • Pas de printemps pour le Cameroun !, Libération, Paris, France, 2017

Direction d'ouvrages

  • Anthologie de nouvelles, Histoire du soldat, Les Editions Plaisir de Lire, Lausanne, Suisse, 2020
  • Anthologie poétique bilingue Cendres et Mémoires / Ashes and Memories, Teham Editions, Paris, France, 2019

Autres lectures