Victor Malzac, Vacance

Uppercut littéraire

 

J’abonde, bouge, avance un peu trop vite, je démarre

des moteurs, des danses, des envies se font en

moi sans gêne, sur la plage ou dans le jardin de

mes parents qui brûle…/…

Victor Malzac : Victor comme Hugo, Malzac comme Balzac, on dirait un pseudo à la Patrick Bruel. Pour l’heure inclassable/insaisissable pour cause de jeunesse, difficile à cerner…( à palper, écrirait-il), malgré ce qu’il écrit et ce qu’on a déjà écrit sur lui ; en dépit de sadite jeunesse.

Le clavier de Victor Malzac est en surface au moins un mix de La Fureur de vivre et de Soudain l’été dernier sans la victimisation. En aussi percutant, quoique en poésie sur le papier et pas en chair et en os à l’écran.

En 1871, les Vilains Bonhommes ont dû ressentir quelque chose d’approchant en entendant Rimbaud lire Le Bateau ivre.

Pas souvent là où on l’attend, Malzac. 

Au fait, où en est-il, aujourd’hui ? Le recueil Vacance remonte à fin 2022. Depuis, vite, en 2024, il y a eu le roman, Créatine, dans une veine voisine, à ce que j’en devine des critiques que je feuillette - mais je préfère ne pas le lire avant d’avoir rédigé ceci. Avant de me jeter dessus après.

Très chic, Vacance, l’objet, dans la collection grise de Cheyne en Ardèche. Très fin, le rouge sous le gris comme une semelle Louboutin.

Moins chic, moins fin, Sète, là où ça se passe, quoique en métamorphose de nos jours, comme Arles et La Ciotat, les vieux bastions communistes maritimes du Midi la rouille, le métal, les pneus, badigeonnés soudain d’investissements libéraux. Car ils ont en fond ce Midi-là le sable et les palmiers du grand renversement, les mots du petit jeune, ou de la petite jeunette - on s’en fiche -, à scooter ou en skate - on s’en fiche.

Victor Malzac, Vacance, Cheyne, 2022.

On s’en fiche parce qu’au-delà de ce qui forcément passera, sera trop marqué par son temps, genre, etc., début des années 2020, il y a son uppercut littéraire.

 

et les disputes et les combats c’est beau et les gens qui

se collent et se battent par terre et les cris et le cri du

perdant c’est beau

 

Le temps de me ramasser, k.o., au bout du bout les grues les chantiers, des étoiles vrillent pêle-mêle, dans mon crâne : Vathek, Forgetting Elena,Cobra, Héliogabale [Beckford, Edmund White, Severo Sarduy, Alberto Arbasino] Pourquoi ces titres-là ? Peut-être parce que je suis, par cette lecture, sonné et brutalement renvoyé à mes amours de jeunesse. A en croire l’éditeur : « La poésie de Victor Malzac chahute les lecteurs. Elle leur fait ressentir à nouveau ce qu’est la vie quand celle-ci n’est encore qu’une promesse qui pointe » ; ou, à en croire la préfacière : « C’est le pari de Victor Malzac : nous donner dix-huit ans à nouveau et le sentiment d’urgence collé au corps comme un maillot mouillé. »

Espérons que la promesse et l’urgence demeureront, pourquoi pas, même après que la vie aura pointé, atteint son zénith et commencé à décliner. Avec une légère dérive style Les Vacances de Monsieur Hulot, sans doute.Espérons que Victor conservera sa promesse, son urgence (… il écrirait : son « muscle »). Souhaitons qu’il continuera à mouiller le maillot. Mais ne le limitons pas à sa jeunesse. Ecoutons, d’ailleurs, son narrateur :

 

je veux qu’on me laisse à tous les corps, les corps

adolescents ou non, les corps neufs et les corps

abîmés, …/…

 

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas ça l’important. L’important, c’est son uppercut littéraire.

Un pavé par page [non, pavé n’est pas le mot : la justification est en drapeau droit], absence de majuscule pour faire poésie, un point, un seul, au bout de chaque page, un point c’est tout.  Pas de fer à droite justification forcée, rien de forcé dans sa prose… poésie… rien de rigide, le drapeau oscille gentiment tel le fanion vert de la p.l.age de Palavas-les-Flots les jours sans coup.e.s de vent. Une p.l.age mi-raide mi-élastique comme la démarche de Monsieur Hulot.

On pourrait penser, jusqu’à un certain point [… « jusqu’à un certain point », répéterait un psychanalyste en ménageant un long silence avant de congédier son patient, avant de partir en vacance.s au bout du bout], qu’on aurait pu appeler cela « vacances » avec un « s ».

Le décor, en effet, est planté sauf que.

 

la mer, la plage sale, ce qu’on voit à la télé, les

reportages, les documentaires, le Crau du Roi le

Cap d’Agde Carnon, Sète, l’étang de l’Or, l’étang de

Thau, les familles, la police municipale qui tourne

en voiture, les sauveteurs, les corps qui gisent, les

noyades, les serviettes…/…

 

La vacance au singulier rôde bel et bien au sein des vacances - témoin l’intrusion du reportage télévisé dans le jour ensoleillé, de la présence ou de l’absence de virgules, qui tournent dans les énumérations comme la police municipale au bord de mer -, vacance du narrateur face à une surcharge d’informations visuelles, auditives, olfactives, sociales.

 

…/… les flamants roses

dans la boue, sur la digue, à l’abreuvoir et dans les

vignes, j’aime ça, c’est moi complètement, c’est moi,

c’est moi aussi le mort dans les sacs en plastique et

dans le sable et dans les ventres, le mortier, dans

 

… vacance ou trop-plein du monde au repos repus à la plage ou du monde actif pas à la plage qui n’en oppresse pas moins le lycéen sur le sable

 

                                                                         …/… je ne

veux pas mes notes, mes contrôles, non, je ne veux

pas de la cantine à midi, du cordon bleu épinards

pâtes carottes pauvres en sel, je ne veux pas de la

pornographie pour compenser.

 

Nous, c’est exactement ce que nous voulons, exactement  ça : je ne veux pas de la

 

pornographie pour compenser.

son uppercut littéraire

dans les salles de sport, dans les jardins publics,

dans le garage ou dans ma chambre, les tractions,

les machines, les haltères, la fonte, je me muscle, je

 

nous voulons son coup bien envoyé qui, dissimulé jusqu’au dernier moment, touche fort au menton.

Dans une énumération qui (pubis, seins, poils) tient de l’enchaînement de boxe, un crochet, d’abord : dans «ses bras vitaux ; puis l’uppercut : ses bras qui me concernent [mes gras].

Certains mots, souvent adjectifs, mais pas seulement, tranchent dans la logorrhée, antithétiques, et pas seulement parce que déchets, plastique et bactéries côtoient la mer et les vagues .

Dans l’énumération qui suit, le premier et le dernier terme sont sémantiquement proches de ceux qu’ils enserrent mais leur léger bond de côté, leur esquive fait des merveilles : je suis proche des bêtes, ça veut dire, des monstres, des juments, des ânes, des poulains, des taureaux, des chiens, des flamants roses, des saillies…[mes gras] Ailleurs, on note : les museauxdes gens. Qui n’est pas une métaphore ou pas tout à fait.

Malzac ne donne pas « tout à fait » dans les figures de style même si, à l’occasion, il joue avec la métonymie comme un chat narquois avec une souris grise prise

 

…/… je remplis

des seaux, je peux rouler des pelles, je peux détruire

des châteaux de sable

 

Il crée, dans une sorte de non sequitur perpétuel qui n’est pas tout à fait un non sequitur, une écriture qui tient la dragée haute aux amateurs de poésie.

Ces « pas-tout-à-fait », et ces « sorte de » font la hardiesse et la réussite de cette langue-là, qui transforme ses ruptures en tremplins de sa récitation.

Je porte ma tenue, mes fringues toutes neuves, découvertes au printemps, je m’embellis de jour en jour sans crainte, je n’abîme rien, sur la plage tout le monde veut mon bien, mon style et mon immense feu de paille, et tout le monde est sans colère, les garçons et les filles s’abandonnent à moi, sans âge, tout le monde court me sauver depuis la cabine, je nage avec tendresse et grande facilité, dans le miroir je me regarde le matin, mes abdos sont tendres, mes mains sont tendres, mes cheveux sont lavés, je m’épie, je me parle, je m’enlève le poids d’un navire en parlant… [mes gras]

Les mots d’une énumération qui va toute à peu près dans un sens se révèlent tout à coup n’avoir que servi de prétexte au poète, qui, pendant ce temps, mesurait son allonge : ses mots n’avaient fléchi les jambes que pour mieux nous porter un coup à distance : un mot qui n’appartient pas à la liste, une idée qui dévie. Ces coups à distance remplacent les rimes d’autrefois, renvoient instantanément la poésie de papa dans les cordes.

Le lecteur est embarqué par le flot vers une métaphore (là on peut sans doute parler de métaphore : « le poids d’un navire »), mais avant cela il est ballotté, cahoté, incapable de lâcher le bordé. L’avancée est rythmée, ô combien rythmée, à en être déclamée sur scène par un Fabrice Lucchini qui ne vous laisse pas un instant de répit.

 

…/… le môle et le théâtre

de la mer, tout m’appartient,…/…

 

Seul le point au bout de chaque page nous permet de reprendre le souffle du narrateur et de rythmer notre lecture.

Et puis comme un cheveu sur la soupe comme il se doit et là est le génie, vient un autre uppercut : mon docteur longtemps. Complément dej’attends ? Le corps d’un autre.

mon docteur longtemps est un coup puissant qui fait des dégâts chez le lecteur la lectrice. Dur à parer. Puissant à quel point, il.elle ne s’en apercevra que plus tard. Allez donc y voir. Allez donc y lire.

 

je suis dans mon corps comme dans un justaucorps.

                            *

ce que j’ai vu ça m’a tué, c’est là, c’est ma demeure,

mon remède, je suis prophète en mon pays, la

Méditerranée c’est le feu, la dinguerie, le territoire

brûle et pleure en pleine canicule, c’est le lieu d’une

maladie grave, d’un aveu, ça vaut bien mon déluge,

mon navire, ma barque et mon école en sacrifice,

et tout le reste est noir …/…  

Tout cela, au fond du fond, est d’un grand, d’un vénérable classicisme. Comme un match de boxe bien mené. Rien de honteux là-dedans. Un grandiose uppercut littéraire. Ca valait la peine, finalement, Victor, d’user tes fonds de  culotte sur les bancs d’école.

 

Présentation de l’auteur

Victor Malzac

Né en 1997, venu du Languedoc, Victor Malzac lit fort, parle bas, ronge ses ongles, marche vite. Il est peut-être drôle. Il codirige une revue de création (L'écharde), fait une thèse sur les animaux et crée des textes sur n’importe quoi. Il a également codirigé la revue Point de chute jusqu'en 2023.

Son premier texte, respire, a paru aux éditions de la Crypte en 2020. Chez Cheyne éditeur, il a publié Dans l’herbe (2021, prix de la Vocation) et Vacance (2022, finaliste du Prix Jean-Follain, du prix René-Leynaud de la Ville de Lyon, du prix Apollinaire-Découverte et du Prix Ganzo-Révélation) ; son prochain texte paraît chez Gallimard en janvier 2024.

© Eloi Céleste

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Victor Malzac, La javel

je n’aurais pas dû te cacher

non, que j’étais comme

comme un immense puits,

une très longue douche froide, qui

n’aura jamais guéri de ça,

pas un jour n’aura guéri de ça,

une douche pas chaude et qui ne guérit

rien, strictement rien, rien de ce jour, de quand,

quand j’ai déménagé

du corps, dans les cartons mon corps, le pull, dans le camion,

mon chien le chien d’amour, ma chienne mon unique

nervure, mon amie, mon poteau,

qui n’aura jamais non plus guéri de ça,

ce jour, ce changement, le linge de ma mère,

de mon père debout, gentil, vivant, gentil,

et ça, ce ça, cette tendresse pour les autres

et les garçons

I

la javel

mercredi

comme une immense douche

 

tu sens comme ça sent moi la javel une très longue douche

pas chaude et qui ne guérit rien.

 

mais j’ai lavé mes draps

pourtant. lavé mes draps pour

qu’on ne sente rien, pas mon odeur.

l’urine et les médicaments, moi j’ai

 

raccommodé des bouts de linge, ça sentait mauvais

ces gens.

 

II

quand je pense à ces gens la vase

monte

 

monte à contresens je me

je me souviens du pire tu as vu

tous les ans pour mon anniversaire personne

 

ça sèche oui voilà mais quand elle arrive la vase

en nombre, en boucle et trop vite aux narines

je peux te dire

 

c’est ça qui rend qui donne

à mes lessives ce parfum de rongeur

 

des piles de lessive tous les jours non

mais ma mère avait pour coutume de jeter le matelas.

cela ce n’est ce n’est pas tout à fait la vase mais les restes

sur les draps oui par exemple tout jeter tout vendre mais qui

qui peut qui oserait acheter ça non me sentir

 

III

et ces gens

tous ces gens dont je n’ai pas fait

le décompte ou le tri

 

hein

 

froids froids les jambes les pieds les genoux les avant-bras

l’atroce froid comme un très long dimanche sous la douche un jour

ma peau sent si mauvais l’odeur

l’odeur du linge un jour

sans force ou pain sans pain sans plaisir les mêmes

pas les mêmes les autres les gens tous la même nourriture le repas mauvais j’ai commandé

sans désir sans argent sans volonté sans rien ces bras

 

trop durs ces bras les bras des gens les gens violents

jamais vraiment gentils d’ailleurs cachés

voulant mes draps mais non pas toi ton poids.

 

les gens ces gens ont les bras pleins les bras remplis

d’hormones d’hommes de suçons peut-être moi pas moi tous ces coups ces corps

ces corps qui faisaient trop et déjà rien ces corps

à qui j’ai donné ma chemise

 

et mon pain mon tricot

 

et tout l’argent de mon salaire

 

et tout le contenu de ma valise

 

et pour qui j’ai fait la vaisselle

 

et dormi

 

et pour qui j’ai voulu dormir

 

sans politesse qui m’ont vu dormir

 

plus ou moins nue plus ou moins moi dormir

 

hein

 

ces gens qu’on raccompagne en voiture

à l’entrée de chez eux la nuit le soir la mort

l’orgasme nul la mort mourir d’ennui ces gens

qui ne veulent pas qu’on dorme là

qu’on dorme là

 

juste là non sinon dans l’hôtel à

à la porte là juste la porte d’à côté

ces gens qui veulent qu’on dorme dehors

ou dans un autre lit par terre loin

qu’on aille à mille kilomètres d’eux

 

IV

ces gens je les déteste oui ces gens

qui ne sont pas à la gare quand je rentre

quand je reviens ces gens que je dépose à la gare

 

au dépose-minute et forcément

oui qu’on serre fort très fort pourtant qu’on serre à contre-cœur

et dont on porte à bout de bras la valise

 

oui la grande valise de ces gens qu’on raccompagne

avant de retourner dans la vase lente et les mains vides

 

V

de quoi parler de quoi maintenant ah oui

ma mère ? son linge qui sentait mauvais. c’était

un drame un rejet salutaire mes liquides

gaspillés par terre ou dans un sac un sac à la poubelle jaune

ma mère disait souvent tu sais tu seras toujours seul elle

avait tort je n’étais même pas seul j’étais rien du tout.

pas seul je suis certaine oui qu’elle avait tort mais nous ne savions pas

ni coudre ni blesser personne pas mon père ou le voisin ou les hommes.

 

VI

mais elle avait mis sa mère dans un carton l’urne par terre

par terre devant la maison la cendre et moi deux euros tout.

 

tout même ma peluche d’enfant

                       laide,

et mon lit mon livre mes premiers draps de prince mon premier

premier amour c’était personne il avait trop mauvaise odeur.

 

cette personne, ma dinette,

ma dinette dure tout était mauvais dedans.

 

VII

et alors nous avions ce ballon cette chienne et ce jardin pour tout

 

tout mon plaisir était dedans ce carton de deux euros

dehors par terre la dinette mère le petit prince mon épée ma tunique mon petit jouet qui sourit
ma console

ma chienne en rongea les rebords elle mourut

MAMAN J’AI PRIS

D’ENORMES RISQUES

EN RECULANT. TU NE SAIS PAS

TU NE PEUX PAS SAVOIR

MAMAN.

MAMAN TU NE SAIS PAS

TOUT CE QUE J’AI COMPRIS

DE L’HOMME

OU DE MA CHIENNE

EN RECULANT.

DE L’HOMME ET DE LA FEMME

QUI SE FRACASSENT SE DISLOQUENT

ET CREVENT SEULS PAR TERRE

EN NOUS LAISSANT DE PAUVRES RUINES

QUAND ON RECULE A PEINE UN PEU.

Présentation de l’auteur

Victor Malzac

Né en 1997, venu du Languedoc, Victor Malzac lit fort, parle bas, ronge ses ongles, marche vite. Il est peut-être drôle. Il codirige une revue de création (L'écharde), fait une thèse sur les animaux et crée des textes sur n’importe quoi. Il a également codirigé la revue Point de chute jusqu'en 2023.

Son premier texte, respire, a paru aux éditions de la Crypte en 2020. Chez Cheyne éditeur, il a publié Dans l’herbe (2021, prix de la Vocation) et Vacance (2022, finaliste du Prix Jean-Follain, du prix René-Leynaud de la Ville de Lyon, du prix Apollinaire-Découverte et du Prix Ganzo-Révélation) ; son prochain texte paraît chez Gallimard en janvier 2024.

© Eloi Céleste

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Victor Malzac, Vacance

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Victor Malzac, Percussions

PERCUSSIONS

 

Complainte

Poésie PERCUTÉE – les vapeurs de Paris
S’encastrent – les cheminées – le toit qui s’effondre
Sur un échafaudage – c’était ma demeure.

Mes poumons étriqués dans la fumée respirent
– Ils ont rénové la gare.

Au pavé fume amour – incartade à la rue
Entre des passants fous. L’arcane à Notre-Dame
A ricané si fort que mes poumons se crispent. –

Mes poumons suffoquaient dans la joie qu’elle inspire
– A la lune, Notre-Dame.

Chaque attaque me vêt d’une angoisse moderne –
– C’est un manteau de cuir solide à l’arc prosterne.
Chaque monument fume et mon visage attaque –

Mes poumons colorés par les fumées s’allument
– Notre-Dame à genoux – j’ai besoin de repos.

 

Peur

        Ma tête FRACASSÉE
        Percute les pavés de sa ville —

        Sa pierre
        Avalait mon manteau
        Tombe –

        Partout percute
        Et coque
        Ma tête en fer poli
        La mare froide mon manteau – sur les pavés s’assèche
        Et mon manteau n’est pas autre chose qu’un lac 
de cuir un lac de pierre un sac à main pour étouffer ma peau ses pores je transpire 
et m’étouffe je transpire en marchant je marche et le soleil et le soleil 
anxiété
        – dans les anciens récits des épopées périmées.

        Percute mon passé
        Dans les pavés des villes –
        Ma tête s’y réverbère. –

 

Pneumonie

        Mes poumons
        se sont craqués dans ma jeunesse —
        Course trop rapide
        et pluie
        – EXPLOSION
        Dans mes alvéoles s'est aspiré un vent mauvais, – un 
vent si mauvais qu'on en soupira deux ans.

        J'ai cru mourir et
        Je n'avais pas treize ans.
        Que le malheur me suffoque – la tête
        Et je t'en serai reconnaissant – tramontane.

        Il pleut encore
        – c'est pas vrai
        il pleuvra donc aussi longtemps
        que ma poésie parle ?

        À peine ai-je craqué mes poumons
        que mon odeur s'en dégage et s'évapore –
        comme les mauvaises pensées qui m'avaient envahi 
dans mes douleurs les plus terrestres et les plus aiguës 
– piqûres et cachets d'aspirine pour cacher à mon corps 
son oubli –
        et l'empêcher d'en adonner les mots.

        Les mots s'emparaient de mes articulations
        Comme des os brisés craquellent –
        et m'ont donné la force insurmontable
        d'aller courir un peu. –

 

Soleil

Le soleil est trop près de moi –
Il me colle à la peau
Comme elle que j’attends depuis mille ans peut-être. –

– Peut-être à mille mètres
L’angle de chaque vague
Percute mes cheveux. –

C’est la force du monde autour de moi
Qui m’accroche la peau comme l’eau des tropiques
Et m’incite à valser.

Tout s’envole –
Sinon moi.

Tout est près
De moi – râle, ma belle mer,
A quoi bon les cris ?

Depuis trente ans j’attends déjà
Pectoraux blancs, chemise ouverte,
Face au vent que je nargue

Aux vagues qui prenaient le risque d’enrager
Et le soleil près de moi –

Râle, à quoi bon les cris ?

 

Pluie dispute

La nuit tombait sur toi sur la fenêtre tombe
En haut de ton immeuble – regarde les volets
Couleur lavande et les oiseaux qui s’envolaient
Du rebord de tes yeux tes cernes des colombes. –

Les bras en croix tu cries – qu’a-t-on fait de tes yeux
Bercés de solitude et fermés près de la
Fenêtre sur quoi tombe la pluie. Car il a
Plu sur Paris ce soir – persistent dans les cieux

Des étoiles. – Tes yeux tombent de la fenêtre
A l’approche du soir, puisque la pluie délave
Les vitraux fatigués de tes cernes. – L’eau claire

Et l’eau sombre ici-bas font des flaques. Peut-être
Est-ce là que la veille à la fenêtre grave
Tu as froissé puis mis à l’eau mes vers ? –

 

 

 

Présentation de l’auteur

Victor Malzac

Né en 1997, venu du Languedoc, Victor Malzac lit fort, parle bas, ronge ses ongles, marche vite. Il est peut-être drôle. Il codirige une revue de création (L'écharde), fait une thèse sur les animaux et crée des textes sur n’importe quoi. Il a également codirigé la revue Point de chute jusqu'en 2023.

Son premier texte, respire, a paru aux éditions de la Crypte en 2020. Chez Cheyne éditeur, il a publié Dans l’herbe (2021, prix de la Vocation) et Vacance (2022, finaliste du Prix Jean-Follain, du prix René-Leynaud de la Ville de Lyon, du prix Apollinaire-Découverte et du Prix Ganzo-Révélation) ; son prochain texte paraît chez Gallimard en janvier 2024.

© Eloi Céleste

Autres lectures

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PERCUSSIONS   Complainte Poésie PERCUTÉE – les vapeurs de Paris S’encastrent – les cheminées – le toit qui s’effondre Sur un échafaudage – c’était ma demeure. Mes poumons étriqués dans la fumée respirent – Ils [...]

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Nouvelles voix : Victor Malzac

PERCUSSIONS

 

Complainte

Poésie PERCUTÉE – les vapeurs de Paris
S’encastrent – les cheminées – le toit qui s’effondre
Sur un échafaudage – c’était ma demeure.

Mes poumons étriqués dans la fumée respirent
– Ils ont rénové la gare.

Au pavé fume amour – incartade à la rue
Entre des passants fous. L’arcane à Notre-Dame
A ricané si fort que mes poumons se crispent. –

Mes poumons suffoquaient dans la joie qu’elle inspire
– A la lune, Notre-Dame.

Chaque attaque me vêt d’une angoisse moderne –
– C’est un manteau de cuir solide à l’arc prosterne.
Chaque monument fume et mon visage attaque –

Mes poumons colorés par les fumées s’allument
– Notre-Dame à genoux – j’ai besoin de repos.

 

Peur

        Ma tête FRACASSÉE
        Percute les pavés de sa ville —

        Sa pierre
        Avalait mon manteau
        Tombe –

        Partout percute
        Et coque
        Ma tête en fer poli
        La mare froide mon manteau – sur les pavés s’assèche
        Et mon manteau n’est pas autre chose qu’un lac 
de cuir un lac de pierre un sac à main pour étouffer ma peau ses pores je transpire 
et m’étouffe je transpire en marchant je marche et le soleil et le soleil 
anxiété
        – dans les anciens récits des épopées périmées.

        Percute mon passé
        Dans les pavés des villes –
        Ma tête s’y réverbère. –

 

Pneumonie

        Mes poumons
        se sont craqués dans ma jeunesse —
        Course trop rapide
        et pluie
        – EXPLOSION
        Dans mes alvéoles s'est aspiré un vent mauvais, – un 
vent si mauvais qu'on en soupira deux ans.

        J'ai cru mourir et
        Je n'avais pas treize ans.
        Que le malheur me suffoque – la tête
        Et je t'en serai reconnaissant – tramontane.

        Il pleut encore
        – c'est pas vrai
        il pleuvra donc aussi longtemps
        que ma poésie parle ?

        À peine ai-je craqué mes poumons
        que mon odeur s'en dégage et s'évapore –
        comme les mauvaises pensées qui m'avaient envahi 
dans mes douleurs les plus terrestres et les plus aiguës 
– piqûres et cachets d'aspirine pour cacher à mon corps 
son oubli –
        et l'empêcher d'en adonner les mots.

        Les mots s'emparaient de mes articulations
        Comme des os brisés craquellent –
        et m'ont donné la force insurmontable
        d'aller courir un peu. –

 

Soleil

Le soleil est trop près de moi –
Il me colle à la peau
Comme elle que j’attends depuis mille ans peut-être. –

– Peut-être à mille mètres
L’angle de chaque vague
Percute mes cheveux. –

C’est la force du monde autour de moi
Qui m’accroche la peau comme l’eau des tropiques
Et m’incite à valser.

Tout s’envole –
Sinon moi.

Tout est près
De moi – râle, ma belle mer,
A quoi bon les cris ?

Depuis trente ans j’attends déjà
Pectoraux blancs, chemise ouverte,
Face au vent que je nargue

Aux vagues qui prenaient le risque d’enrager
Et le soleil près de moi –

Râle, à quoi bon les cris ?

 

Pluie dispute

La nuit tombait sur toi sur la fenêtre tombe
En haut de ton immeuble – regarde les volets
Couleur lavande et les oiseaux qui s’envolaient
Du rebord de tes yeux tes cernes des colombes. –

Les bras en croix tu cries – qu’a-t-on fait de tes yeux
Bercés de solitude et fermés près de la
Fenêtre sur quoi tombe la pluie. Car il a
Plu sur Paris ce soir – persistent dans les cieux

Des étoiles. – Tes yeux tombent de la fenêtre
A l’approche du soir, puisque la pluie délave
Les vitraux fatigués de tes cernes. – L’eau claire

Et l’eau sombre ici-bas font des flaques. Peut-être
Est-ce là que la veille à la fenêtre grave
Tu as froissé puis mis à l’eau mes vers ? –

 

 

 

Présentation de l’auteur

Victor Malzac

Né en 1997, venu du Languedoc, Victor Malzac lit fort, parle bas, ronge ses ongles, marche vite. Il est peut-être drôle. Il codirige une revue de création (L'écharde), fait une thèse sur les animaux et crée des textes sur n’importe quoi. Il a également codirigé la revue Point de chute jusqu'en 2023.

Son premier texte, respire, a paru aux éditions de la Crypte en 2020. Chez Cheyne éditeur, il a publié Dans l’herbe (2021, prix de la Vocation) et Vacance (2022, finaliste du Prix Jean-Follain, du prix René-Leynaud de la Ville de Lyon, du prix Apollinaire-Découverte et du Prix Ganzo-Révélation) ; son prochain texte paraît chez Gallimard en janvier 2024.

© Eloi Céleste

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