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William Blake, The Tyger, Dylan Thomas, Do Not Go Gentle…

Pourquoi Jean Migrenne nous offre-t-il ces deux sources vives que sont William Blake et Dylan Thomas  pour accompagner la fin de notre année 2019 ? Pourquoi ce rapprochement, ce compagnonnage ? 

Nous pourrions voir dans la rencontre de ces deux poètes anglophones une similitude d’inspiration. Le retour aux sources judéo- chrétiennes, ainsi que l’ouverture à l’expression d’une parole éminemment personnelle, une voix intérieure, le discours d’une âme, un monologue du poète vers l’humanité, autant dire une veine romantique. C’est vrai, bien que leur œuvre respective s’inscrive à presque un siècle d’intervalle dans une histoire littéraire qui a bien sûr changé de paysage, répondu à d’autres sources d’inspiration, à d’autres contraintes contextuelles. Malgré cela, ils sont si proches, parce que leurs vers incantatoires s’adressent à la même source qu’est l’âme humaine. Ils en restituent toute la complexité, toute la brillance, toutes les dimensions. Sûrement est-ce pour cette raison qu’ils sont ici, réunis, et que leur voix ne s’est jamais éteinte.

Traduction, Jean Migrenne. 

∗∗∗

William Blake : The Tyger ( 1757-1827)

The Tyger

 

Tyger Tyger, burning bright, 
In the forests of the night; 
What immortal hand or eye, 
Could frame thy fearful symmetry?

In what distant deeps or skies, 
Burnt the fire of thine eyes?
On what wings dare he aspire?
What the hand, dare seize the fire?

And what shoulder, & what art,
Could twist the sinews of thy heart?
And when thy heart began to beat,
What dread hand? & what dread feet?

What the hammer? what the chain, 
In what furnace was thy brain?
What the anvil? what dread grasp, 
Dare its deadly terrors clasp! 

When the stars threw down their spears 
And water'd heaven with their tears: 
Did he smile his work to see?
Did he who made the Lamb make thee?

Tyger Tyger burning bright, 
In the forests of the night: 
What immortal hand or eye,
Dare frame thy fearful symmetry?

 

William Blake, Songs of Experience

 

Le Tigre

 

Tigre, tigre, feu ardent
Des bois du fond de la nuit
Quelle main, quel œil hors du temps
Osèrent ton orde symétrie ?

De quel antre ou de quels cieux
Jaillit le feu de tes yeux ?
Sur quelle aile osa-t-il partir ?
Et de quelle main le brandir ?

Par quel art, quelle vigueur
Bander les arcs de ton cœur ?
Et quand ce cœur se mit à battre,
Quelle main ? Quelle marche opiniâtre ?

Quelle chaîne ? Quel marteau ?
Où fut forgé ton cerveau ?
Quelle enclume ? Quelle horrible peur
Osa contraindre ses terreurs ?

Quand des étoiles churent les armes,
Quand le Ciel fut bain de leurs larmes,
A-t-il vu son œuvre et souri ?
Lui qui fit l’agneau, t’a-t-il fait aussi.,

Tigre, tigre, feu ardent
Au fond des bois de la nuit
Quelle main, quel œil hors du temps
Ont osé ton orde symétrie ?

 

 

∗∗∗

Dylan Thomas : Do Not Go Gentle… (1914-1953)

Do not go gentle into that good night

 

Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave at close of day;
Rage, rage against the dying of the light.

Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.

Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.

Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieved it on its way,
Do not go gentle into that good night.

Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay,
Rage, rage against the dying of the light.

And you, my father, there on that sad height,
Curse, bless me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night.
Rage, rage against the dying of the light.

 

In In Country Sleep, éd. New Directions,  New York, 1952.

 

Ne va pas sans fureur au repos de la nuit

 

Ne va pas sans fureur au repos de la nuit,
L’âge doit s’embraser quand s’éteint la lumière ;
Rage, révolte-toi contre un jour qui périt.

Le sage au trépas trouvant raison malgré lui,
Qui n’a vu de ses mots jaillir le moindre éclair,
Ne va pas sans fureur au repos de la nuit.

L’honnête homme, à l’adieu des flots, pleurant son fruit
Fragile et beau dont n’a joué nul golfe vert,
Se révolte et rage contre un jour qui périt.

Le barde fou, pêcheur de l’astre qui s’enfuit,
Découvrant trop tard que ses chants l’importunèrent,
Ne va pas sans fureur au repos de la nuit.

L’homme austère, à sa fin, lorsqu’il voit, ébloui,
Qu’aveugle l’œil fulgure sans être sévère,
Se révolte et rage contre un jour qui périt.

Et toi, mon père, au triste sommet, je t’en prie,
Maudis-moi, bénis-moi, de tes larmes amères.
Ne va pas sans fureur au repos de la nuit.
Rage, révolte-toi contre un jour qui périt.

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

William Blake

William Blake est né le 28 novembre 1757 à Londres où il est mort le 12 août 1827. C'est un artiste peintre, graveur et poète pré-romantique britannique dont l'œuvre a influencé toute la génération romantique européenne. 

© Crédits photos William Blake by
Thomas Phillips, oil on canvas, 1807.

Autres lectures

William Blake traduit par Jacques Darras

La longue préface de Jacques Darras permet de situer William Blake dans son époque, de prendre conscience du fait que sa poésie est singulière. Alors que la plupart des poètes pré-romantiques fuient la [...]

Présentation de l’auteur

Dylan Thomas

Dylan Marlais Thomas est un écrivain et un poète gallois. Il a été reconnu comme l'un des poètes gallois les plus importants du XXᵉ siècle.

 

 

Bibliographie (supprimer si inutile)

Autres lectures




William Blake traduit par Jacques Darras

La longue préface de Jacques Darras permet de situer William Blake dans son époque, de prendre conscience du fait que sa poésie est singulière. Alors que la plupart des poètes pré-romantiques fuient la ville, lui reste à Londres. Jacques Darras souligne l’influence de Jacob Böhme, une filiation mystique visible dans Le Mariage du Ciel et de l’Enfer justement.
William Blake épie les merveilles visibles et invisibles : le silencieux refuge des nids, la lune qui sourit, les anges. On croise de nombreux enfants. Des adultes malheureux aussi : ramoneurs et soldats éreintés, prostituées malades. Les opposés attirent le poète. Ne parler que d’un pôle serait mentir.

This Angel, who is now become a Devil, is my particular friend : we often read the Bible together in its infernal or diabolical sense, which the world shall have if they behave well.
I have also : The Bible of Hell, which the world shall have whether they will or no.

Cet Ange, aujourd’hui devenu Démon, est mon ami favori, nous lisons très souvent la Bible ensemble dans son interprétation diabolique ou infernale, à laquelle le monde pourra accéder un jour s’il se conduit bien.
Je possède également une Bible de l’Enfer, que le monde aura, qu’il le souhaite ou non.

Le texte intitulé Prémisses d’innocence, écrit dix-sept ans après Le Mariage du Ciel et de l’Enfer, s’est élevé sur les mêmes fondations.

To see a World in a Grain of Sand
And a Heaven in a Wild Flower :
Hold Infinity in the palm of your hand
And Eternity in an hour.[…] A Horse misusd upon the Road
Calls to Heaven for Human blood.
Each outcry of the hunted Hare
A fibre from the Brain does tear.[…] It is right it should be so :
Man was made for Joy § Woe,
And when this we rightly know
Thro the World we safely go.[…] Every Morn § every Night
Some are Born to sweet delight.
Some are Born to sweet delight,
Some are Born to Endless Night.

Découvrir l’Univers dans un Grain de Sable
Voir un Paradis dans la Fleur des Champs :
Contenir dans sa paume l’Infinissable
Lire l’Éternité dans une heure au cadran.[…] Cheval sur les routes qu’on maltraite
Exige que du sang d’homme il y ait dette.
Le moindre cri dans la gorge du Lièvre traqué
C’est fibre au Cerveau de l’Homme arrachée.[…] C’est bien normal qu’il en soit ainsi :
Qu’il y ait Joie § Pleurs dans la vie,
Et si une fois pour toutes tu le sais,
Au monde tu peux tranquillement aller.[…] Toutes les nuits § tous les matins
Naissent au plaisir les autres les uns.
Naissent au plaisir les autres les uns
Et d’autres à la nuit sans fin.

On trouvera dans ce recueil des aphorismes au travers desquels William Blake s’éloigne de la poésie et entre en dialogue avec les philosophes, des sortes de fables aussi.
Un petit lexique, à la fin de l’ouvrage, aide le lecteur à ne pas se perdre en chemin. Car William Blake a créé une véritable mythologie puis écrit de longs poèmes épiques : Le livre d’Urizen par exemple, l’envers de la Bible, l’histoire de la Chute. En voici un court passage, dans lequel il est question d’Enitharmon, déesse égoïste.

Coild within Enitharmon’s womb
The serpent grew, casting its scales ;
With sharp pangs the hissings began
To change to a grating cry.
Many sorrows and dismal throes
Many forms of fish, bird § beast,
Brought forth an Infant form
Where was a worm before.

Lové dans le ventre d’Enitharmon
Le serpent grandit, ses écailles muent ;
Ses sifflements affreusement aigus
Se changent en cris âpres.
Mille chagrins et convulsions horribles
Mille formes de poissons, bêtes § oiseaux
Façonnent, font naître une forme d’Enfant
Là où il n’y avait qu’un ver.

Cet enfant s’appelle Orc. Ce personnage sera le héros révolutionnaire de William Blake. En 1795, la problématique de la Révolution Française est très présente sur le sol de l’Angleterre monarchiste.

Si William Blake a longtemps été considéré comme pré-romantique, son œuvre est finalement assez indéfinissable, si ce n’est justement par sa nature changeante. En outre, William Blake a plusieurs cordes à son arc : il n’a pas écrit seulement mais dessiné, peint, et a aussi été graveur. Il avait quinze ans lorsqu’il a travaillé la première fois chez un graveur. Sept ans plus tard, il a été admis à l’Ecole de l’Académie royale. Et parallèlement à cette formation, il n’a cessé d’écrire et d’illustrer ses textes.




William Blake, The Tyger, Dylan Thomas, Do Not Go Gentle…

Pourquoi Jean Migrenne nous offre-t-il ces deux sources vives que sont William Blake et Dylan Thomas  pour accompagner la fin de notre année 2019 ? Pourquoi ce rapprochement, ce compagnonnage ? 

Nous pourrions voir dans la rencontre de ces deux poètes anglophones une similitude d’inspiration. Le retour aux sources judéo- chrétiennes, ainsi que l’ouverture à l’expression d’une parole éminemment personnelle, une voix intérieure, le discours d’une âme, un monologue du poète vers l’humanité, autant dire une veine romantique. C’est vrai, bien que leur œuvre respective s’inscrive à presque un siècle d’intervalle dans une histoire littéraire qui a bien sûr changé de paysage, répondu à d’autres sources d’inspiration, à d’autres contraintes contextuelles. Malgré cela, ils sont si proches, parce que leurs vers incantatoires s’adressent à la même source qu’est l’âme humaine. Ils en restituent toute la complexité, toute la brillance, toutes les dimensions. Sûrement est-ce pour cette raison qu’ils sont ici, réunis, et que leur voix ne s’est jamais éteinte.

Traduction, Jean Migrenne. 

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William Blake : The Tyger ( 1757-1827)

The Tyger

 

Tyger Tyger, burning bright, 
In the forests of the night; 
What immortal hand or eye, 
Could frame thy fearful symmetry?

In what distant deeps or skies, 
Burnt the fire of thine eyes?
On what wings dare he aspire?
What the hand, dare seize the fire?

And what shoulder, & what art,
Could twist the sinews of thy heart?
And when thy heart began to beat,
What dread hand? & what dread feet?

What the hammer? what the chain, 
In what furnace was thy brain?
What the anvil? what dread grasp, 
Dare its deadly terrors clasp! 

When the stars threw down their spears 
And water'd heaven with their tears: 
Did he smile his work to see?
Did he who made the Lamb make thee?

Tyger Tyger burning bright, 
In the forests of the night: 
What immortal hand or eye,
Dare frame thy fearful symmetry?

 

William Blake, Songs of Experience

 

Le Tigre

 

Tigre, tigre, feu ardent
Des bois du fond de la nuit
Quelle main, quel œil hors du temps
Osèrent ton orde symétrie ?

De quel antre ou de quels cieux
Jaillit le feu de tes yeux ?
Sur quelle aile osa-t-il partir ?
Et de quelle main le brandir ?

Par quel art, quelle vigueur
Bander les arcs de ton cœur ?
Et quand ce cœur se mit à battre,
Quelle main ? Quelle marche opiniâtre ?

Quelle chaîne ? Quel marteau ?
Où fut forgé ton cerveau ?
Quelle enclume ? Quelle horrible peur
Osa contraindre ses terreurs ?

Quand des étoiles churent les armes,
Quand le Ciel fut bain de leurs larmes,
A-t-il vu son œuvre et souri ?
Lui qui fit l’agneau, t’a-t-il fait aussi.,

Tigre, tigre, feu ardent
Au fond des bois de la nuit
Quelle main, quel œil hors du temps
Ont osé ton orde symétrie ?

 

 

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Dylan Thomas : Do Not Go Gentle… (1914-1953)

Do not go gentle into that good night

 

Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave at close of day;
Rage, rage against the dying of the light.

Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.

Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.

Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieved it on its way,
Do not go gentle into that good night.

Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay,
Rage, rage against the dying of the light.

And you, my father, there on that sad height,
Curse, bless me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night.
Rage, rage against the dying of the light.

 

In In Country Sleep, éd. New Directions,  New York, 1952.

 

Ne va pas sans fureur au repos de la nuit

 

Ne va pas sans fureur au repos de la nuit,
L’âge doit s’embraser quand s’éteint la lumière ;
Rage, révolte-toi contre un jour qui périt.

Le sage au trépas trouvant raison malgré lui,
Qui n’a vu de ses mots jaillir le moindre éclair,
Ne va pas sans fureur au repos de la nuit.

L’honnête homme, à l’adieu des flots, pleurant son fruit
Fragile et beau dont n’a joué nul golfe vert,
Se révolte et rage contre un jour qui périt.

Le barde fou, pêcheur de l’astre qui s’enfuit,
Découvrant trop tard que ses chants l’importunèrent,
Ne va pas sans fureur au repos de la nuit.

L’homme austère, à sa fin, lorsqu’il voit, ébloui,
Qu’aveugle l’œil fulgure sans être sévère,
Se révolte et rage contre un jour qui périt.

Et toi, mon père, au triste sommet, je t’en prie,
Maudis-moi, bénis-moi, de tes larmes amères.
Ne va pas sans fureur au repos de la nuit.
Rage, révolte-toi contre un jour qui périt.

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

William Blake

William Blake est né le 28 novembre 1757 à Londres où il est mort le 12 août 1827. C'est un artiste peintre, graveur et poète pré-romantique britannique dont l'œuvre a influencé toute la génération romantique européenne. 

© Crédits photos William Blake by
Thomas Phillips, oil on canvas, 1807.

Autres lectures

William Blake traduit par Jacques Darras

La longue préface de Jacques Darras permet de situer William Blake dans son époque, de prendre conscience du fait que sa poésie est singulière. Alors que la plupart des poètes pré-romantiques fuient la [...]

Présentation de l’auteur

Dylan Thomas

Dylan Marlais Thomas est un écrivain et un poète gallois. Il a été reconnu comme l'un des poètes gallois les plus importants du XXᵉ siècle.

 

 

Bibliographie (supprimer si inutile)

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