Chronique du veilleur (61) : Thierry Metz

Une dizaine d'années sépare seulement la date de publication (1988) du premier livre de Thierry Metz, Sur la table inventée, de son suicide, à 40 ans, en 1997. Durant cette décennie, Thierry Metz a vécu beaucoup de drames, celui de la mort accidentelle de son fils Vincent, âgé de 8 ans, en 1988, étant le plus terrible de tous.

 

Sa solitude et ses souffrances n'ont fait qu'augmenter. Son écriture poétique les a suivies, saisies, comme  un apprentissage sans cesse repris du tragique de l'homme. En apprenant la maçonnerie, le poète s'éprouvait physiquement et spirituellement. Il nous dit :

         Je n'ai  pas été maçon pour rien et je n'y suis pas venu pour la seule nécessité. J'ai vite appris que les murs du livre et de la maison sont percés d'ouvertures. C'est ce qui permet d'y revenir.

On voit sur les pages ces ouvertures, des brèches qui souvent saignent comme des plaies. La langue poétique de Thierry Metz est devenue, au fil des manuscrits, plus aiguë, plus trouée de silences, comme si l'indicible la criblait, la perforait d'une lame implacable.

 

Thierry Metz, Lettres à la Bien-aimée et autres poèmes, Poésie / Gallimard, 2025, 10 € 30.

Ecrire    ayant vu mort    l'enfant
               n'est plus écrire.

                   Mais
                   j'ai vu    ce mot   inhumain
                  dit
                  avant

                   s'ouvrir
                   et disparaître.

                   Dehors.

Dans Lettres à la Bien-aimée, le poète s'adresse à Françoise, son épouse, la mère de Vincent. Il la regarde s'occuper de ses deux autres fils. C'est la vie qui va, avec ses occupations quotidiennes, bien simples et bien claires, des rituels domestiques, qu'il faut bien accomplir. Il va quitter la maison, vivre un temps sans domicile fixe, s'étourdir dans l'alcool, séjourner dans des hôpitaux psychiatriques.

                  Je n'écoute plus de musique. Plus le temps. Plus envie. Le peu d'or que je recueille est la voix de celle qui fait le ménage dans les escaliers, dans les toilettes. Elle chantonne. Pour essayer de sortir de tout ça, pour ne pas  y penser.
                  Je ne la connais pas.
                  Sauf qu'elle a une voix. Qu'on voit de loin.
                  Qu'on peut toucher comme un mouchoir.

Que dire à celle qui porte ce même poids de douleur ? La poésie a-t-elle encore un petit peu d'efficience ? Thierry Metz parle d'une « écriture à l'oeil crevé ». Il semble livrer avec elle et en elle un combat ultime, où il sait bien ce qui l'attend, prêt à anticiper la funeste échéance. C'est là ce qui rend cette œuvre poignante dans l'histoire de notre  poésie contemporaine, quand le poète s'écorche aux limites d'un mur infranchissable que le destin a jeté devant lui, et nous dit qu'il n'a d'autre choix que de s'y heurter sans fin :

                  J'ai vidé la page pour que tu puisses entrer.
                  Pour que tu t'habitues aux couleurs de chaque mot.
                  Assieds-toi près du centre, à côté de ma main.
                 Demain je n'aurai pas fini.

Présentation de l’auteur

Thierry Metz

Thierry Metz est né en 1956 à Paris. En 1977, il s’installe à Saint-Romain-Le-Noble et travaille sur les chantiers. Le 20 mai 1988, Vincent, son second fils, est fauché par une voiture sur la nationale qui passe devant sa maison. Le même jour, il obtient le Prix Voronca pour son recueil Sur La Table inventée qui paraît aux éditions Jacques Brémond l’année suivante. Un chantier au centre d'Agen lui inspire Le Journal d'un manœuvre (L'Arpenteur/Gallimard, 1990). Les Lettres à la bien-aimée, où transparaît une tentative impossible de deuil, paraissent en 1995, toujours chez L'Arpenteur/Gallimard. En 1996, il s'installe à Bordeaux. En octobre et novembre, il fait un premier séjour volontaire à l'hôpital psychiatrique de Cadillac, où il lutte contre l'alcool et la dépression. Un mois plus tard, en janvier 1997, il effectue un second séjour dans ce même hôpital. L'Homme qui penche, écrit durant cette période, paraît aux éditions Opales/Pleine page au début de l'année 1997. Le 16 avril 1997, Thierry Metz met fin à ses jours. Source : éditions Unes.

Sur la table inventée, Éditions Jacques Brémond, 1988 (prix Ilarie Voronca 1988) ; nouvelle édition avec des encres de Gaëlle Fleur Debeaux, Éditions Jacques Brémond, 2015 (traduction italienne par Riccardo Corsi, Sulla tavola inventata, Roma, Edizioni degli animali, 2018)

Dolmen suivi de La Demeure phréatique, Cahiers Froissart, 1989 (prix Froissart) ; réédition Jacques Brémond, 2001

Le Journal d'un manœuvre, Éditions Gallimard, coll. « L'Arpenteur », 1990 et 2016; (traduction italienne, Diario di un manovale, a cura di Andrea Ponso, Milano, Edizioni degli animali, 2020)

Entre l'eau et la feuille, Éditions Arfuyen, 199112 ; réédition Jacques Brémond, 2015

Lettres à la bien-aimée, Éditions Gallimard, coll. « L'Arpenteur », 1995

Dans les branches, Éditions Opales, 1995 et 1999

Le Drap déplié, Éditions L'Arrière-Pays, 1995 et 2001

De l'un à l'autre, avec des toiles filées de Denis Castaing, Éditions Jacques Brémond, 1996

 L'Homme qui penche, Éditions Opales / Pleine Page, 1997 ; nouvelle édition revue et augmentée, Éditions Pleine Page, 200813 (traduction italienne par Michel Rouan et Loriano Gonfiantini, L'Uomo Che Pende, Pistoia, Edizioni Via del Vento, 2001) ; réédition avec une préface de Cédric Le Penven, Éditions Unes, 2017

Terre, Éditions Opales / Pleine Page, 1997 et 2000

Dialogue avec Suso, Éditions Opales / Pleine Page, 1999

 Sur un poème de Paul Celan, avec deux encres originales de Jean-Gilles Badaire, Éditions Jacques Brémond, 1999

Tout ce pourquoi est de sel (inédit), avec des illustrations de Marc Feld, Éditions Pleine Page, 2008

Carnet d'Orphée et autres poèmes, avec quatre encres et lavis de Jean-Claude Pirotte, préface de Isabelle Lévesque, Éditions Les Deux-Siciles, 2011 (traduction italienne par Marco Rota, avec trois linogravures de Piermario Dorigatti, Quaderno di Orfeo, Milano, Edizioni Quaderni di Orfeo [archive], 2012)

Tel que c'est écrit, Éditions L'Arrière-Pays, 2012

Poésies 1978-1997 (rassemble ses poèmes jamais parus en livre), préface de Thierry Courcaud (« Dernière rencontre avec Thierry Metz »), Éditions Pierre Mainard, 2017 (Pierre Mainard [archive])

Le Grainetier (récit inédit)14, suivi d'un entretien avec Jean Cussat-Blanc (« Avec Kostas Axelos et les Problèmes de l’enjeu »), préface d’Isabelle Lévesque, Éditions Pierre Mainard, 2019 (Pierre Mainard [archive])

Poèmes choisis

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