Cypris Kophidès, Ce monde en train de naître

Cypris Kophidès saisit le drame contemporain des réfugiés pour nous proposer un récit poétique sur les désastres de l’exode et les douloureuses reconstructions après les traumatismes subis. Le personnage d’Anna est ici la poignante figure de toutes ces femmes et de tous ces hommes ballottés par l’histoire. La poétesse, pour nous parler de ce drame, alterne habilement dans son récit des passages en vers et en prose.

Anna a fui son pays comme d’autres, sous d’autres cieux ou à d’autres époques, ont fui la Grèce des colonels, le Chili de Pinochet, la Syrie d’Assad, ou fuient aujourd’hui l’Afghanistan des talibans ou la Russie de Poutine. Anna fuit la guerre. La voici engagée, nous dit Cypris Kophidès, dans une « interminable marche/sous le gris cendre des nuages », dans « le fracas des bombes ». Avec, à l’horizon, « les fumées rouge et noir des incendies » et, tout près, « les aboiements des ordres criés ». Anna est une artiste. Dans son pays, elle peignait. Elle cuisinait aussi. Anna fuit. Elle se sauve. La voici enfin à l’abri. « La guerre est là-bas au loin/ mais cogne toujours dans les entrailles ». Dans sa folle traversée, un vers du poète grec Yannis Ritsos l’apaisait : « La paix est un verre de lait chaud et un livre posés devant l’enfant qui s’éveille ».

Dans ce pays où elle arrive et qui n’est pas en guerre, il y a Lucia et François qui tiennent une brasserie et qui l’accueillent. Deux bons samaritains qui « cherchent avec elle des locations ». De fil en aiguille, des liens se tissent avec des femmes qui « viennent d’ailleurs » et qui « elles aussi ont franchi des frontières ». Anna respire. Elle pourra même, bientôt, exposer des peintures. Mais peut-on vraiment se guérir du malheur ? La voici happée métaphoriquement par une forêt, « un monde aux lois obscures/ un monde surgi des profondeurs noires/de la terre ». Mais Anna surmontera l’épreuve, se libérera progressivement de ce fardeau. Le récit de Cypris Kophidès laisse entrevoir, au bout de la nuit, une forme de résilience après son « périple intérieur ». Anna se réconcilie avec le monde. Elle découvrira même l’amour.

Cypris Kophidès, Ce monde en train de naître, Diabase, 128 pages, 16 euros.

A travers ce portrait de femme, Cypris Kophidès nous parle, certes, d’une grande tragédie contemporaine et de ses impasses, mais elle laisse poindre de bout en bout, à travers son personnage, la force du désir. Tout est sans doute possible, en dépit du malheur, « tant que la poésie n’aura pas dit son dernier mot » (comme le dit Marc Baron dans son dernier livre). Et d’ailleurs la voix des poètes n’en finit pas de résonner dans son récit poétique. Elle cite Khalil Gibran : « La terre est ma patrie, l’humanité ma famille ». Ou encore le grec Odysséas Elytis : « Voilà pourquoi j’écris. Parce que la poésie commence là où la mort n’a pas le dernier mot ». Née d’un père grec et d’une mère française, Cypris Kophidès a de solides références.

Présentation de l’auteur

Cypris Kophidès

Née d’un père grec et d’une mère française à Tours, Cypris Kophidès vit son enfance dans la campagne tourangelle.

La passion de la lecture s’affirme à ses quatorze ans avec la découverte de la bibliothèque familiale – sa mère est une lectrice – et surtout de la bibliothèque du lycée, et ne la lâchera plus..

De formation psychanalytique et littéraire, elle développe très vite un vif intérêt pour le monde intérieur, sensible, « l’âme humaine ».

Elle découvre l’œuvre de Dostoïevski, Novalis et le romantisme allemand, le surréalisme et sa façon à la fois radicale, ludique et provocante de questionner le monde.

Des voyages en Scandinavie et en Islande lui font découvrir une relation plus intime à la nature.

Etudes de Lettres modernes et une thèse de doctorat sur l’image féminine, André Breton et le surréalisme.

Elle se tourne conjointement vers l’ésotérisme, étudie les processus de divination, des astres aux arcanes, et la dynamique des rêves.

Cette interrogation sur le « destin » l’entraîne vers l’étude de l’œuvre de Jung, et plus largement de la psychanalyse qu’elle exercera quelques temps.

La peinture devient un support d’expression qui demeure, plus ou moins investi, selon les périodes, tandis que l’écriture s’inscrit dans une continuité, comme une nécessité, avec ou sans publication.

Bibliographie

Elle est l’auteure de deux recueils de poèmes en prose publiés aux Editions Guy Chambelland, A Échos multiples (1979) et La Nuit traversière (1983).

Aux éditions la Tempérance, elle a écrit et édité une monographie sur l’artiste peintre Philippe Gouret, L’éternité Végétale (1993), avec Yannick Pelletier et Serge Hutin.

Éditrice chez Diabase depuis 1995 aux côtés d’Yves Bescond, elle a rédigé diverses introductions, réalisé plusieurs entretiens, avec Jocelyne Ollivier-Henry, Charles Juliet, Georges Bahgory et Yvon Le Men.

Entre 1998 et 2003, elle anime des séminaires sur l’eau, la terre, le feu et l’air, dans une perspective symbolique et analytique, et illustre chaque séance par la vie de héros de la mythologie grecque. Chiron le centaure, protagoniste de son dernier livre « Vingt-deux petits soleils » est l’un d’eux».

Dans L’Enfant de Trébizonde (2015, Diabase), elle questionne l’origine. Entre vérité et fiction, ce récit emprunte à la poésie comme au théâtre. En février 2019, L’Enfant de Trébizonde parait en langue grecque, traduit par Dimitris Daskas, aux Editions Tsoukatos. (Το παιδί από την Τραπεζούντα). Une adaptation théâtrale est en cours.

Dans Vingt-deux petits soleils (2019, Diabase), Cypris Kophidès met en scène Chiron, le docte Centaure. Proche de la mort, il raconte à un jeune enfant fuyant la guerre les moments de bascule de sa vie : La fascination de la force, la rencontre amoureuse, l’échange silencieux avec le paysage.

Auteure d’articles dans différentes revues, elle a écrit récemment « Ni plus ni moins : les Haïkus de Katina Vlachou » pour la revue belge « Traversées » et la revue grecque « Péri Ou », (octobre 2018), « Migrant » dans l’ouvrage collectif « Les Algorithmes de l’étrangéité », Collection Psychanalyse et Anthropologie du CIPA (L’Harmattan, automne 2018), et « La chose » dans l’ouvrage collectif « Fraternellement Charles Juliet » (avril 2019, Jacques André Editeur) en hommage à l’écrivain.

L’interrogation sur le destin, l’acceptation de soi, la métamorphose, la réconciliation avec les forces de la nature, la violence et la place possible de la beauté, autant de thèmes qu’elle n’a de cesse de questionner, aussi bien dans ses entretiens, que dans ses romans et ses récents articles. A chaque nouveau sujet, l’écriture propose un nouveau voyage.

Poèmes choisis

Autres lectures

Cypris Kophidès, La nuit traversière

On connaît la flûte traversière. Voici que l’on découvre la « nuit traversière ». C’est celle qu’évoque Cypris Kophidès dans un court recueil de 20 poèmes en édition bilingue (français-grec). Comment, la lisant, ne pas [...]

Cypris Kophidès, Ce monde en train de naître

Cypris Kophidès saisit le drame contemporain des réfugiés pour nous proposer un récit poétique sur les désastres de l’exode et les douloureuses reconstructions après les traumatismes subis. Le personnage d’Anna est ici la [...]