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Florence Dreux, Sylve et autres poèmes

Sylve

 

                        À Claire Espanel,

La fenêtre est ouverte.
L’est-elle vraiment ?
Le temps toujours
Abolit le cadre.
Alors l’âme apprend l’arbre
Dans l’humilité du ciel
Et s’émeut du vent
Dispersant ses prières.
Deviendront-elles nuages,
Traversées d’oiseaux ?
Qu’importe !
Ici l’air est vaste
Où les mots ne suffoquent pas.
Mais peut-être faudrait-il se taire ?
Ne rien écrire
Pour ne rien gâcher du silence ?        
S’immiscer dans les interstices du langage ?
Mais comment, si ce n’est en empruntant
Les voies mêmes du langage ?

***

Le cœur dit pourtant :
- Célèbre aujourd’hui le vol de l’oiseau :
Milan, mouette ou tourterelle, 
Qu’importe ?
Nulle lutte de classe ici,
Nulle distanciation.
Entre ton œil et leurs ailes,
Entre ton lit et leur ciel
La lumière
Et dans celle-ci, leur ombre.
Est-ce au-delà de la fenêtre
Ou au-delà de toi ?
Qu’importe !
Ici est le lieu
De la conversation secrète.
Si tu ne peux comprendre
Sache écouter.
Habite ce qui t’échappe.

***

Mais déjà les longs fûts gris s’élèvent
Tout chargés d’âmes.
Si la nuit te tient éveillée,
Ne l’empêche pas ;
Elle seule a pouvoir de renaissance.  
Avec elle, un autre chant ;
C’est Orphée s’enfonçant
Jusqu’aux plus profondes racines
Où l’espoir s’est niché 
Sous la morsure du temps.
Dis-moi,
Comprennent-ils, tes frères humains,
Qu’ici se trouve leur fondement ?
Et toi, sauras-tu descendre ?
Retrouver la terre du commencement ?
Dans tes veines, sens-tu couler
La sève devenue sang ?

***

Racines en toi se perdent
Que tu ne soupçonnes pas.
Cherche, 
Explore
Ce qui existe déjà
Et ce qui n’est pas ;
Ce qui est en-deçà de toi
Mais pas encore toi.
N’essaie pas de démêler l’entrelacs,
Le nœud est trop puissant.
Trouve l’intervalle
Espère en ton silence. 
Si dire ne se peut,
Ecrire se doit.
Mais déjà le ciel s’incline
Et tu gis,
Horizontale.
Pardonne-leur,
Ils ne savaient pas.
A eux, il reste les étoiles.

***

Le jour est déjà là,
Les vers de la nuit
Perdus.
Qu’importe ?
Les riches eaux t’emportent
Au pied des aubes nues.
Poussé par le désir de sève,    
L’arbre s’époumone :
- Je viens du sol d’où sourd la lumière ;
Qu’importe si mes branches n’embrassent que l’air,
Elles seules connaissent l’amour du vent !
Survient alors le grand éploiement :
Feuilles, plumes
Corps et rêves                                                
Jaillis du fleuve vert
Où chacun en l’autre s’écoule.
L’écorce se tait
- Rivières et torrents ont tant de choses à raconter-
Et tu entres, comprise, dans la pensée organique du poème.

***

Sur tes lèvres, une parole :
- Même abattue je reste ;
Embrassée par le regard de l’enfant
Je croîs.

 

Peuplier I

À Gabriel, ces « paroles d’entre les paroles »

 

Nichée d’air dans le grand peuplier
Poudroiements
Pulsations de lumière

Une brassée de ciel                                        
Absorbe l’œil
 La fenêtre

Affranchie
L’oreille explore
L’oreille espère

-Que dit l’oiseau devenu feuille ?-

Frémissements
Des murmures de sève
Saisissent le pied, la main, le bras
Eploient le corps d’écorce

Envolement

 

Peuplier II

Ballet fantasque dans le vent
Branches de  nuages
Gonflées de pépiements

Les feuilles s’ébattent
Les milans

L’oreille convoque l’œil
L’interpelle

-Que dit la feuille devenue oiseau ?-

Tressaillements

Les trilles syncopés
Secouent  le cœur, le ventre, les reins
Débordent  l’arbre

Commencement

 

Le saule

Le trille de l’oiseau
Pour seul réveil
La rosée
Son éclat en toi
Et le souffle du saule
Au-delà de toi

Le cerisier blanc

À chaque Printemps
Virginité renouvelée
Par le Vent déflorée

 

 

Le grand acacia

Pour Marcelle, in memoriam

Bourrasque dans le grand acacia
L’orage a emporté les feuilles
Parmi elles, ta vie

Ce matin, pourtant,
Dans l’œil de la tourterelle
Les mêmes bleus, verts et blancs ardents

Les mêmes ?

Observe d’une âme plus attentive
La Nature jamais ne te désavoue

Ce nuage
Cette fleur
Cet éclat
C’est encore un peu de toi
Dans notre devenir  

 

Les cheminantes

                                                                                  À Patrick Chamoiseau

Les longues mains    
Se ferment                             
S’ouvrent  
Sur les blés étonnés

Capturent
Captent plutôt
Le réel

En  présences
En absences

Promènent
Leur rêve de tourterelle
Autour du grand peuplier vert

Effeuillent
Le chant de l’oiseau qui ne chante plus

Appellent                                                                                                                
L’humus
La voix antérieure                                                                                                                                                    
Acceptent
Inventent
Rassemblent
L’enfant

Parcourent
Le pont des ailleurs
L’indicible entre-là

Ainsi vont les cheminantes
Au silence radieux

Yeux renommant toute chose
En ne nommant pas

Comprenant tout

 

Présentation de l’auteur

Florence Dreux

Née en 1977, Florence Dreux a étudié les lettres classiques à Aix-en-Provence avant de s’envoler vers la Réunion pour y enseigner et enfin se poser dans les Landes où elle aime se perdre entre vagues et pins pour écouter, toujours, la voix du poème. Ses belles rencontres artistiques et sa quête personnelle l’amènent aujourd’hui à partager ses textes, parfois en les oralisant, tout en continuant son cheminement en terre de Poésie…

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