Florence Dreux, Sylve et autres poèmes

Par |2022-01-05T11:04:11+01:00 30 décembre 2021|Catégories : Florence Dreux, Poèmes|

Sylve

 

                        À Claire Espanel,

La fenêtre est ouverte.
L’est-elle vraiment ?
Le temps toujours
Abolit le cadre.
Alors l’âme apprend l’arbre
Dans l’humilité du ciel
Et s’émeut du vent
Dis­per­sant ses prières.
Devien­dront-elles nuages,
Tra­ver­sées d’oiseaux ?
Qu’importe !
Ici l’air est vaste
Où les mots ne suf­fo­quent pas.
Mais peut-être faudrait-il se taire ?
Ne rien écrire
Pour ne rien gâch­er du silence ?        
S’immiscer dans les inter­stices du langage ?
Mais com­ment, si ce n’est en empruntant
Les voies mêmes du langage ?

***

Le cœur dit pourtant :
— Célèbre aujourd’hui le vol de l’oiseau :
Milan, mou­ette ou tourterelle, 
Qu’importe ?
Nulle lutte de classe ici,
Nulle distanciation.
Entre ton œil et leurs ailes,
Entre ton lit et leur ciel
La lumière
Et dans celle-ci, leur ombre.
Est-ce au-delà de la fenêtre
Ou au-delà de toi ?
Qu’importe !
Ici est le lieu
De la con­ver­sa­tion secrète.
Si tu ne peux comprendre
Sache écouter.
Habite ce qui t’échappe.

***

Mais déjà les longs fûts gris s’élèvent
Tout chargés d’âmes.
Si la nuit te tient éveillée,
Ne l’empêche pas ;
Elle seule a pou­voir de renais­sance.  
Avec elle, un autre chant ;
C’est Orphée s’enfonçant
Jusqu’aux plus pro­fondes racines
Où l’espoir s’est niché 
Sous la mor­sure du temps.
Dis-moi,
Com­pren­nent-ils, tes frères humains,
Qu’ici se trou­ve leur fondement ?
Et toi, sauras-tu descendre ?
Retrou­ver la terre du commencement ?
Dans tes veines, sens-tu couler
La sève dev­enue sang ?

***

Racines en toi se perdent
Que tu ne soupçonnes pas.
Cherche, 
Explore
Ce qui existe déjà
Et ce qui n’est pas ;
Ce qui est en-deçà de toi
Mais pas encore toi.
N’essaie pas de démêler l’entrelacs,
Le nœud est trop puissant.
Trou­ve l’intervalle
Espère en ton silence. 
Si dire ne se peut,
Ecrire se doit.
Mais déjà le ciel s’incline
Et tu gis,
Horizontale.
Pardonne-leur,
Ils ne savaient pas.
A eux, il reste les étoiles.

***

Le jour est déjà là,
Les vers de la nuit
Perdus.
Qu’importe ?
Les rich­es eaux t’emportent
Au pied des aubes nues.
Poussé par le désir de sève,    
L’arbre s’époumone :
— Je viens du sol d’où sourd la lumière ;
Qu’importe si mes branch­es n’embrassent que l’air,
Elles seules con­nais­sent l’amour du vent !
Survient alors le grand éploiement :
Feuilles, plumes
Corps et rêves                                                
Jail­lis du fleuve vert
Où cha­cun en l’autre s’écoule.
L’écorce se tait
— Riv­ières et tor­rents ont tant de choses à raconter-
Et tu entres, com­prise, dans la pen­sée organique du poème.

***

Sur tes lèvres, une parole :
— Même abattue je reste ;
Embrassée par le regard de l’enfant
Je croîs.

 

Peu­pli­er I

À Gabriel, ces « paroles d’entre les paroles »

 

Nichée d’air dans le grand peuplier
Poudroiements
Pul­sa­tions de lumière

Une brassée de ciel                                        
Absorbe l’œil
 La fenêtre

Affranchie
L’oreille explore
L’oreille espère

-Que dit l’oiseau devenu feuille ?-

Frémisse­ments
Des mur­mures de sève
Sai­sis­sent le pied, la main, le bras
Eploient le corps d’écorce

Env­ole­ment

 

Peu­pli­er II

Bal­let fan­tasque dans le vent
Branch­es de  nuages
Gon­flées de pépiements

Les feuilles s’ébattent
Les milans

L’oreille con­voque l’œil
L’interpelle

-Que dit la feuille dev­enue oiseau ?-

Tres­saille­ments

Les trilles syncopés
Sec­ouent  le cœur, le ven­tre, les reins
Débor­dent  l’arbre

Com­mence­ment

 

Le saule

Le trille de l’oiseau
Pour seul réveil
La rosée
Son éclat en toi
Et le souf­fle du saule
Au-delà de toi

Le cerisi­er blanc

À chaque Printemps
Vir­ginité renouvelée
Par le Vent déflorée

 

 

Le grand acacia

Pour Mar­celle, in memoriam

Bour­rasque dans le grand acacia
L’orage a emporté les feuilles
Par­mi elles, ta vie

Ce matin, pourtant,
Dans l’œil de la tourterelle
Les mêmes bleus, verts et blancs ardents

Les mêmes ?

Observe d’une âme plus attentive
La Nature jamais ne te désavoue

Ce nuage
Cette fleur
Cet éclat
C’est encore un peu de toi
Dans notre devenir 

 

Les chem­i­nantes

                                                                                  À Patrick Chamoiseau

Les longues mains 
Se ferment 
S’ouvrent  
Sur les blés étonnés

Cap­turent
Captent plutôt
Le réel

En  présences
En absences

Promè­nent
Leur rêve de tourterelle
Autour du grand peu­pli­er vert

Effeuil­lent
Le chant de l’oiseau qui ne chante plus

Appel­lent                                                                                                                
L’humus
La voix antérieure                                                                                                                                                    
Acceptent
Inventent
Rassemblent
L’enfant

Par­courent
Le pont des ailleurs
L’indicible entre-là

Ain­si vont les cheminantes
Au silence radieux

Yeux renom­mant toute chose
En ne nom­mant pas

Com­prenant tout

 

Présentation de l’auteur

Florence Dreux

Née en 1977, Flo­rence Dreux a étudié les let­tres clas­siques à Aix-en-Provence avant de s’envoler vers la Réu­nion pour y enseign­er et enfin se pos­er dans les Lan­des où elle aime se per­dre entre vagues et pins pour écouter, tou­jours, la voix du poème. Ses belles ren­con­tres artis­tiques et sa quête per­son­nelle l’amènent aujourd’hui à partager ses textes, par­fois en les oral­isant, tout en con­tin­u­ant son chem­ine­ment en terre de Poésie…

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