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Gérard Baste : Plus rien à dire ?

On a dit à Gérard Baste qu'il est le « Patrick Sébastien », le « Jean-Marie Bigard » du rap français (je le cite)… Peut-être qu’il y a beaucoup de provocation dans certains de ses textes, mais pour ma part je connais un homme posé et réfléchi, qui sait exactement comment et pourquoi...

Comment faire pour émouvoir, toucher, ne pas cesser la lutte… et pourquoi : parce que lui est engagé, bien qu’il s’en défende avec humilité, pour la cause de tous,  pour l’humain, et l’édification d’une société plus juste, plus sociale, et plus… poétique… Et puis, surtout, Gérard Baste refuse la facilité, le star-système et les occasions offertes sur des plateaux qui mènent à devenir un bâillonné de plus.

Le Rap et le Slam est-ce de la poésie mise en musique ou bien de la musique avant tout, accompagnée par un texte…? Est-ce encore et toujours le lieu d’énonciation d’une parole engagée… ?
En tant que rappeurs moi et les membres du groupe (Svinkels) avons grandi avec la montée du FN et le mouvement punk donc on a abordé ces thèmes là. De manière simple et frontale… Et l’évoquer serait simple, serait juste, et ce serait rendre compte de ce pour quoi nous agissons. Mais on ne peut pas non plus ignorer que la parole engagée est de nos jours l’objet d’un investissement de la part de ceux qui énoncent aussi un discours convenu. En gros la « parole engagée » a été récupérée par le système. Et c’est choquant de s’entendre dire que c’est démagogue quand on aborde des problématiques qu’on ne peut pas passer sous silence… C’est ce qui m’a  motivé pour écrire les textes Le Corbeau, ou Réveille le punk. J’ai voulu créer une ambiance à la Clouzot, une atmosphère un peu intimiste qui évoquerait « l’esprit de clocher »… Renaud avait ce discours engagé sans être dans l’énonciation directe des problématiques socio-historiques. C’est en rendant compte du quotidien qu’on peut le mieux témoigner, émouvoir, toucher les gens,  et porter une parole engagée.

 

Et puis, je me considère comme un poète avant tout, et avant toute chose c’est au texte, à la parole que j’accorde une attention particulière. C’est une posture personnelle bien sûr. J’ai lu et je lis encore de la poésie, car le Rap et la Slam c’est avant tout pour moi un "travail" sur la langue. J’ai grandi avec, et j’ai même eu un prix de poésie pour des textes écrits dans ma jeunesse.  Je suis devenu un rappeur  et ce que je fais est hédoniste, mais avant tout on essaie de mettre de la poésie là-dedans,  en travaillant le langage. Nous faisons  une poésie crue comme celle de  Bukovski par exemple.
Le rap et le slam sont de la poésie du quotidien. C’est une poésie de la rue. Les artistes se sont appproprié la syntaxe et les mots du langage quotidien des jeunes.
Il y a des artistes qui enchainement mots et idées et qui s'emparent du quotidien avec ce matériau-là du langage, comme PNL par exemple… Cette écriture contribue au travail d’évolution de la langue. Je pense que les jeunes ne se posent pas la question, ils grandissent avec ces codes là, et les retrouvent dans des productions qui les interpellent. Et poésie et musique se rejoignent de plus en plus. Certains poètes comme Philippe Katerine commencent à collaborer avec des rappeurs (avec Alkapote). Ils créent ensemble une dynamique spéciale qui donne jour à une poésie typique rythmée et dont la langue séjourne entre une oralité ancestrale et le rythme d’une respiration purement actuelle.
La part du rythme y est-elle proportionnelle à la volonté de porter une parole politique…
Le rap est élaboré à partir d’une rythmique. Les mots sont prévus pour marteler, être martelés,  et il y a une énorme  envie de langage ! J’ai souvent été épaté de voir des jeunes qui n’ont pas un accès de fou à la "culture" mais qui ont des fulgurances magnifiques, qui écrivent à partir d’un rythme transcrit dans et par les mots, des textes qui ont une portée incroyable !
De quoi nous interroger sur le déterminisme, et sur les systèmes qui permettent à certains de s’exprimer alors que beaucoup pourraient témoigner, rassembler, relier l’humain à l’humain. Beaucoup n’ont rien eu dans les mains mais la liberté est là...
Faut-il penser la culture comme un lieu de pouvoir ?
Sur le terrain la culture est un lieu de « petit pouvoir » : on est subventionné mais il faut rester dans le cadre de certaines attentes… Alors que même s’il faut savoir bousculer il est nécessaire  d’être à l’écoute des gens… La poésie, la musique, doivent rassembler, fédérer, unir et permettre à l’humain d’émerger parce qu’il se reconnaissent dans une parole commune. Dans les grands festivals malheureusement beaucoup tiennent les mêmes propos, se positionnent tous de la même manière, parce que c’est « mieux vu »… Il y a toujours les mêmes groupes, qui répondent aux mêmes attentes…
La parole poétique, la musique, le Rap, le Slam, tout ceci est de l’art au sens où c’est façonné de nos chairs, de nos bouches, de nos quotidiens ! Ça appartient à tous.
On en revient à la question de l’engagement, que tu m’as posée au début  : je parlerais alors du  "divertissement" avant tout, car se pose cette question : est-ce que faire de la poésie pour dénoncer n’est pas un peu démagogique ? Je pense pour ma part que si,  parce que on parle à des convertis, à des gens qui attendent ce discours, précisément. Mais je continue à chanter engagé parce que ça donne du souffle  et surtout que les gens prennent conscience depuis peu de toutes les problématiques importantes de notre époque : la couche d’ozone, la pollution, la façon de manger… les gens changent…
Il est également important, voire incontournable, de rappeler que tout discours a du mal à trouver sa voie parce que la priorité de beaucoup de nos frères est remplir le caddie, c’est une lutte quotidienne, qui les tient éloignés de toute nécessité autre que celle de la survie. Leur énergie est tout entière absorbée par ceci, la survie. Tout discours aurait du mal à trouver place, à s’immiscer là-dedans, dans ce quotidien miné par le souci permanent de tenir debout.
Et puis je remarque aussi que ces problématiques qui touchent l’engagement social et (donc) politique trouvent désormais sa voie beaucoup plus facilement dans le cinéma… Bruno Dumont ou  les Frères Dardenne, Audiard (le fils) aussi, dressent des portraits vivaces et réalistes des gens donnés à voir dans un quotidien qui est révélé par une fiction, travaillée bien souvent en corrélation avec une visée documentaire (Bruno Dumont se tient sans cesse sur ce fil ténu qu’est le récit fictionnel et le reportage). Et même si le Rap et le Slam ont contribué à mettre un petit coup d’accélérateur pour ce qui concerne l’énonciation d’une parole de révolte et de résistance, je remarque que beaucoup se tournent vers le cinéma, qui semble prendre le relais en la matière (Grand Corps Malade par exemple).
Peut-être est-ce aussi parce que de nos jours l’image prend le pas sur la lecture, on compte en terme de "vues", pour ce qui est des vidéos que les gens visionnent majoritairement (préférentiellement à la lecture par exemple)…
On utilise donc tous ces vecteurs, et on essaie de continuer, à porter la poésie, le Rap, le Slam, et aussi surtout à ne pas renoncer à faire évoluer les choses…

 

Présentation de l’auteur

Gérard Baste

 

Une  attitude Rock n’Roll, un flow aussi lourd que ses vannes, une générosité qui le pousse à tout partager avec son public , et des collaborations dans tous les sens.

A coups de Santiag’ mais dans la bonne humeur, Gérard Baste a su s’imposer  comme l’« entertainer » incontournable de sa génération.

Des années d’exercice au sein de Svinkels, du Klub Des 7 ou du collectif Qhuit, plus de 800 concerts au compteur le tout en déroulant un parcours hors normes à le télévision ( Game One, CStar , MTV ) .

Et après une dizaine d’albums de groupe et quelques mixtapes, Gégé a enfin sorti son premier opus solo, «  Le Prince De La Vigne » . Un album de vrai rap aux allures de démonstration de force, alternant  bangers épiques et morceaux étonnamment groovy, parfois plus personnels que ce qu’on connait de l’animal.

Depuis déja 20 ans, Gérard Baste assoit à coup de crunch-lines sa place parmi les artistes incontournables du Hip Hop français, et démontre avec aisance que si le rap alternatif existe par ici, il en est peut-être un Prince, et surtout un des Rois !

A venir :

Gérard Baste « Dans Mon Slip Volume 2 » Janvier 2020

Svinkels « Rechute » Printemps 2020

 

 

Poèmes choisis

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