Gérard Leyzieux, T’empresse
Voilà une poésie qui donne à penser. Non pas la pensée dite rationnelle mais l’autre, celle que François Jullien, dans son magnifique essai : Puissance du pensif, ou comment pense la littérature, nomme la « pensée pensive », celle qui ne refuse ni l’évasif, ni l’imaginaire, ni la sensation. Voilà dans quoi nous plonge Gérard Leyzieux.
Il s’agit dans ce poème de penser le temps, alors qu’il est compté. Longtemps on avait vécu dans l’éternité, voilà que ce mot, éternité, prend un autre sens : elle serait juste après la fin… Voilà que
Les bruits d’éternité t’emplissent d’inconnu
Devant le temps presse, avant il se trouve enfoui
Tant de temps étendu
Recouvre le limon lissé de tes ans
Comme souvent chez Leyzieux on balance du moins au plus
À quinze heures le vent s’élève sur la vie
Un baiser très léger et une simple caresse
Un moment de tendresse
Une seconde pour toujours
Peut-être fallait-il
La découverte du néant
Qui engloutit les jours, les ans
Sans s’émouvoir de rien, de rien
pour comprendre que si dans la joie il y a de la peine, dans la peine il y a de la joie…
Terre t’appelle, dit-il. Si le mot paraît ambiguë, le vers suivant nous rassure : Tu t’y répands au régal charnel total. Encore que, au vers suivant, est évoqué une immersion au plus profond du magma. Ainsi chez ce poète passe-t-on sans cesse du recto au verso… tout en usant de formules si belles comme : Une fleur fane face à frayeur de l’oubli, ou encore Temps m’arche et me boute hors de tout. Et aussi : Fuir en sa chair lui révèle la terre entière… Il faudrait toutes les citer ! Mais ce serait priver le lecteur de ses propres découvertes.
Ce recueil paraît en même temps que Je(u) d’avatars, du même auteur. Il faut croire que Jean-Claude Goiri, l’éditeur de Tarmac, l’apprécie particulièrement. Il lui a réservé deux beaux livres en papier texturé vergé qui rend la lecture très agréable. L’incarnation du texte, cela compte !

Gérard Leyzieux, T’empresse, éd. Tarmac, 2025, 60 pages, 15 €
